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Leadership et autonomisation des femmes rurales au Sénégal : quelques exemples de pratiques écologiques

Le rôle des femmes dans la sécurité alimentaire et le développement de l’agroécologie est indéniable. Au Sénégal, elles sont les pionnières de l’agroécologie à travers le micro-jardinage. Dans cet article, Maïmouna Dieng revient sur diverses initiatives en faveur de l’agroécologie menées par des femmes et leurs organisations au Sénégal. Cet article est basé sur une étude récente réalisée par Pesticide Action Network (PAN) Africa qui consistait à diffuser les bonnes pratiques agricoles des femmes agricultrices du Sénégal.

Les femmes jouent un rôle essentiel dans la production
agricoledans de nombreux pays en développement.
Ainsi, dans les pays à faible revenu
où l’agriculture assure en moyenne 32% de la croissance du produit intérieur brut (PIB) et où quelque 70% des pauvres vivent et travaillent en milieu rural, les femmes constituent une part considérable de la main-d’œuvre agricole et produisent la plupart des aliments consommés localement (FAO, 2010-2011). La FAO (2011) estime que les femmes produisent 60 à 80 % des aliments de consommation familiale dans la plupart des pays en développement et sont responsables de la moitié de la production alimentaire mondiale.

Si la tendance générale est aujourd’hui à l’urbanisation, la population sénégalaise reste encore dans sa grande majorité rurale (plus de 60%). Les femmes rurales représentent 52% de la population (ANSD, 2009). En dépit de leur poids démographique sous-tendu par un potentiel productif reconnu pour le développement économique et social du pays, la place réservée à la femme ne reflète pas son importance stratégique.

Depuis presque deux décennies, l’approche écologique est de plus en plus reconnue par les agriculteurs comme solution durable au développement agricole et au développement dans son sens large du terme. C’est ainsi que de nombreuses organisations non-gouvernementales et organisations paysannes ont adopté l’agriculture biologique ou agroécologique.
Un certain nombre d’organisations non-gouvernementales dont PAN Africa ont effectué un travail de sensibilisation et de formation sur les dangers liés à l’utilisation abusive des engrais et pesticides de synthèse. C’est dans cet environnement que l’agriculture biologique ou écologique s’est fait peu à peu une place.

Pendant longtemps, les détracteurs de l’agriculture écologique ou biologique l’ont qualifiée d’"agriculture de femmes" et considèrent que ces techniques ne sont pas applicables aux grandes surfaces. Aujourd’hui encore, les techniques assimilées au niveau des blocs maraîchers sont très peu appliquées dans les exploitations familiales orientées sur les cultures céréalières et à l’arboriculture. En diffusant les connaissances et en favorisant les connexions, les groupes de femmes aident à construire des connaissances agricoles empiriques, à améliorer leur autonomie par la production alimentaire et à partager les techniques d’amélioration des rendements.

L’agroécologie est un thème dont on entend beaucoup parler et pourtant peu connu. Selon Olivier De Schutter (Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation), « l’agroécologie est l’application des concepts, principes et méthodes visant à l’établissement d’agrosystèmes durables ».Une approche agro-écologique apporte divers avantages sociaux, économiques et environnementaux. L’agroécologie rend également plus autonomes les agriculteurs qui consolident l’économie de leur exploitation en s’émancipant des groupes industriels distributeurs d’intrants (semences, engrais, pesticides) à un prix fixé selon leur bon vouloir.

Les femmes promeuvent l’agriculture écologique au Sénégal comme alternative crédible au modèle agricole conventionnel dans une logique de développement durable et de sécurité alimentaire.
Cette publication a été faite dans le cadre du programme « Finding Leadership and Opportunities for Women » (FLOW) qui œuvre notamment, pour l’autonomisation, la capacitation des femmes, la valorisation des connaissances et pratiques agricoles des femmes rurales. Les activités sont coordonnées par Pesticide Action Network Asie et Pacifique (PAN AP) basée à Penang en Malaisie.

Quelques expériences d’agriculture écologique des femmes rurales au Sénégal

La Fédération des Femmes Producteurs Maraîchers des Niayes (FFPMN) compte plus de 700 femmes rurales. Un groupe de femmes de la fédération exploitent un champ collectif à Sangalkam d’une superficie de deux ha qui a été mis à leur disposition par la Fédération des producteurs Maraichers des Niayes (FPMN) dans le but de les rendre autonome et de valoriser leurs pratiques agricoles.
Elles y cultivent principalement de la pomme de terre. Pour la première campagne, le semis a eu lieu en janvier 2015 et la récolte en Avril 2015. Elles ont utilisé au total 675 Kg de compost environ (80 sacs), en plus de dix sacs de fumier comme engrais et fertilisants naturels. La préparation du sol a été une étape importante ; elles ont remué le sol et arroser avant le semis grâce à l’appui d’un technicien.

La culture de la pomme de terre est effectuée d’octobre à décembre. La récolte de la première campagne (2015) a permis d’avoir une production de plus de onze tonnes. Toute la production a été écoulée sur plusieurs marchés au Sénégal. Après la vente de la production, elles ont remboursé le fumier, les semences qui avaient été pris à crédit et avec le reste de leur argent, elles comptent acheter une pompe immergée pour faciliter l’arrosage, des semences et des engrais pour la production de la prochaine campagne.

Le CEEDD et les femmes au cœur du micro-jardinage écologique

Le Centre d’Ecoute et de Développement Durable (CEEDD) a été créée en 2005 par Mme Seck avec la participation de 5 groupements de femmes engagées dans le développement de leurs communautés.Mme Seck à travers le centre a initié des formations aux techniquesde micro-jardinage qui permettent la culture hors sol de légumes et d’herbes aromatiques dans les habitations et établissements scolaires. La culture se fait sur des tables dans les locaux de CEEDD et elles cultivent des légumes locales et à moindre cout car elles utilisent des engrais organiques et les déchets ménagers (arrêtes de poissons, légumes…) comme fertilisants.
Les cultures biologiques s’inspirent du cycle naturel des plantes ; elles sont des solutions adaptées aux sols stériles, à l’insuffisance de ressources en eau ou d’espaces de culture.
Le micro-jardinage est pratiqué en système flottant avec de plaques de polystyrène et de mousses), sur sol (mélange de terre et de fumier ou de compost d’ordures ménagères) ou encore sur substrats solides (coques d’arachide, balles de riz et cailloux). Les cultures hors sols sont installées sur :
- des bacs en bois (de formes carrées, d’un mètre de côté avec une profondeur d’environ, 20 cm, supportés par des piètements en bois) ;
- des matériaux de récupération (pneus, bidons, plastiques) ;
-  des caissons vides de poisson.
Le micro-jardinage procure une nourriture diversifiée et de proximité pour les familles, en plus d’être une source de revenus. Actuellement, plus de 300 femmes sont impliquées et participent aux activités de micro-jardinage, à la transformation et la commercialisation des légumes et fruits.

Le Réseau National des femmes Rurales du Sénégal (RNFRS)

Le Réseau National des Femmes Rurales du Sénégal (RNFRS) regroupe 135 organisations de base et quinze organisations dans les onze régions du Sénégal. Le RNFRS regroupe des femmes actives dans l’agriculture et Mme Tiné Ndoye en est un bel exemple. Tiné Ndoye exploite six ha de terre et y cultive avec ses enfants du poivron, de la tomate, des oignons verts, des choux et du piment etc. Elle fait aussi de l’arboriculture. Son système d’arrosage repose sur deux petits forages et deux motopompes. Les bénéfices tirés de la récolte ont permis d’acheter le système goutte à goutte.

Avec les formations en agriculture saine et durable dont elle a bénéficié en plusieurs occasions en Afrique et dans le Monde, elle n’utilise plus que des bios pesticides dans son champ. Elle emploie les bouses de vache, du compost pour fertiliser la terre et le neem comme bio pesticide pour traiter et lutter contre les ennemis qui s’attaquent aux cultures.
Le chou qu’elle a cultivé lors de la campagne 2014/2015 permis de récolter 110 sacs vendus sur les marchés de Dakar. Après la vente de sa production, elle a fait une recette de plus de trois millions de F CFA.

Expérience des femmes de Malam-Hoddar (Tambacounda, Sénégal)

La zone de Tambacounda est un site où le développement du maraîchage est confronté à plusieurs contraintes, notamment le manque d’eau, la température élevée et surtout l’insuffisance de connaissances des bonnes techniques de production De nombreuses femmes de la région de Tambacounda participent à la valorisation des excédents d’eau des forages pour le maraîchage. Depuis fin 2014, les femmes du GIE Deggo exploitent un périmètre maraicher financé par l’ASBL Malem-Auder de la Belgique. La parcelle d’environ 5000 m² a permis aux membres du GIE d’expérimenter la pratique du maraichage. La parcelle a été subdivisée en 45 planches de culture, soit une planche par femme active avec des plantations de maïs comme brise-vent.

Les principales cultures sont : la menthe, la tomate, le bissap, le niébé, le gombo, la patate douce, la laitue, la betterave, l’aubergine, le piment, le concombre, l’aubergine amère... A ces cultures maraîchères on peut ajouter des arbres : Moringa oleifera, papayer, manguier. Les intrants utilisés sont naturels : feuilles de neem et d’Eucalyptus comme bio pesticides ; coques d’arachides et déjections des animaux comme fumier. Les recettes obtenues du maraichage ont été de 119 085 F CFA. Chaque bénéficiaire du périmètre verse la moitié de son revenu pour l’exploitation, l’autre moitié est versée à la caisse pour préparer la prochaine campagne et mener d’autres activités parallèles.

Des résultats satisfaisants et des bénéfices non négligeables pour les membres

Au Sénégal, l’insécurité alimentaire est un problème majeur en milieu rural. Ceci explique pourquoi les groupes de femmes rurales qui pratiquent l’agriculture écologique ont comme priorité d’améliorer et d’augmenter la production d’aliments variés susceptibles d’être consommés par leurs propres familles et communautés. Ces groupes ont donc acheté des matériels et des outils agricoles, introduit des systèmes d’irrigation et diversifié les cultures. Grâce aux nouvelles réformes foncières, plusieurs groupes sont devenus officiellement propriétaires de terres, leur garantissant une production agricole pour de nombreuses années à venir.

L’impact sur l’éducation et la santé familiales

Les interviews réalisées dans le cadre de cette étude, ont montré que les femmes qui s’activaient dans la production contribuent de manière significative aux revenus du foyer. Mieux, elles utilisaient toujours toutes les ressources supplémentaires pour envoyer leurs enfants à l’école et s’assurer qu’ils ne manqueraient ni de livres, ni de vêtements, ni de fournitures scolaires. Plus de moyens étaient investis dans la santé, l’achat d’aliments supplémentaires, ou pour faire des menus travaux dans la maison. En outre, le statut des femmes rurales s’est amélioré considérablement au sein de leurs familles et de leurs communautés. Les témoignages recueillis ont signalé également une diminution des cas de violence domestique et une plus grande autonomie de ces femmes agricultrices.

Quelques facteurs limitants

D’après les agricultrices, le marché n’est pas ouvert aux produits issus de l’agriculture écologique. En effet, les politiques agricoles sont surtout favorables aux cultures de rente destinées à l’agro-industrie. Ainsi, grâce aux soutiens dont elle bénéficie, l’agriculture d’exportation met sur le marché des produits moins chers que ceux produits localement de manière agro-écologique. Or, dans un contexte de pauvreté, les produits les moins chers auront la préférence des consommateurs. C’est pourquoi des politiques agricoles qui soutiennent la production agro-écologique sont indispensables à la souveraineté alimentaire et nutritionnelle des pays en développement.

Conclusions et recommandations

Les femmes, à travers leurs activités agricoles mais aussi à travers leurs activités liées à la reproduction, jouent un rôle fondamental dans la nutrition et la sécurité alimentaire de la famille. L’agriculture écologique réduit la dépendance aux intrants tout en améliorant la fertilité des sols, la productivité et la biodiversité. Les pratiques écologiques offrent aux agricultrices un meilleur contrôle et leur permettent de répondre à leurs propres besoins et d’augmenter leurs revenus tout en atténuant leur exposition aux chocs climatiques. Face aux nombreuses difficultés qu’elles rencontrent, des recommandations sont formulées :
- Renforcement des capacités des productrices
Il est nécessaire de renforcer les capacités des femmes sur les pratiques et techniques agro-écologiques. Ce qui favoriserait le partage des connaissances pour accroître la production agricole de manière durable du point de vue culturel, écologique et financier. Cela passe par l’innovation, la science et la technologie, en vue de renforcer la production agricole et d’améliorer les conditions de vie économique des femmes. Des investissements et un cadre politique favorables sont nécessaires pour une démultiplication de ces approches à une grande échelle.

-  Mettre en place des mesures nécessaires pour que les femmes puissent se faire entendre et soient représentées

Dans toutes les organisations de producteurs rencontrées, peu de femmes sont membres individuels. Elles adhèrent, dans leur grande majorité, par le biais des groupements féminins par le jeu de la représentativité démocratique, elles accèdent difficilement aux postes de responsabilité. Il serait pertinent de veiller à ce que plus de femmes rurales et productrices soient élues dans les conseils départementaux, régionaux et autres institutions locales qui décident de la procédure d’allocation des ressources agricoles et de formulation des politiques agricoles locales.

- Renforcer le leadership et développer la connexion entre groupes de femmes
Vu le rôle important des femmes dans l’agriculture, il urge de construire le leadership des femmes rurales et des réseaux et attirer des financements supplémentaires pour leurs groupes. Les activités en milieu rural doivent être associées à des actions de plaidoyer en vue que les décideurs et les partenaires techniques et financiers changent les politiques pour une réelle prise en charge des problématiques des femmes dans l’agriculture au sens large.

Maïmouna DIENE
Chargée de programme
PAN Africa
Email : maimounadiene@pan-afrique.org

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