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Editorial : EbA ou agroécologie
Malgré ses effets négatifs multiformes sur les économies, le changement climatique se révèle comme étant une « aubaine » pour la mise à l’échelle de l’agroécologie. En effet, pouvoirs publics comme acteurs de développement se sont manifestement mobilisés pour trouver et appliquer les meilleures stratégies d’adaptation à la variabilité climatique.
Sur le plan agricole, une unanimité s’est construite autour de la pertinence de partir des ressources offertes par les écosystèmes pour bâtir des réponses durables capables de relever concomitamment les défis de l’élimination de la faim et la pauvreté, de la valorisation de la biodiversité et de la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
En d’autres termes qui s’accommodent plus avec les agendas politiques, il faut promouvoir une adaptation basée sur les écosystèmes (EbA en anglais). Celle-ci a la double valeur d’offrir des services écosystèmiques aux populations rurales mais aussi d’atténuer les émissions de gaz nuisibles à l’environnement en ce qu’elle bannit l’utilisation des produits chimiques au profit de la biodiversité.
Les ressources des écosystèmes au cœur de la stratégie
Les essais de définition font flores mais s’accordent tous sur les bienfaits écologiques, sociaux et économiques. L’ EbA est perçue comme un « recours à la biodiversité et aux services écosystémiques, dans le cadre d’une stratégie d’adaptation globale, aux fins d’aider les populations à s’adapter aux effets négatifs des changements climatiques ».
Mieux, « l’adaptation fondée sur les écosystèmes fait appel à la gestion durable, à la conservation et à la restauration des écosystèmes pour fournir des services permettant aux populations de s’adapter aux effets négatifs des changements climatiques. Elle est considérée comme « un moyen d’adaptation facilement accessible aux pauvres des zones rurales, qui peut avoir des effets bénéfiques sur les plans social, économique et culturel, contribuer à la conservation de la biodiversité, et renforcer les connaissances traditionnelles des populations autochtones et des communautés locales » . N’est-ce pas une autre manière de paraphraser l’Agroécologie ?
En tant que système de production agricole qui s’appuie sur les fonctionnalités offertes par les écosystèmes, l’agroécologie est considérée comme une réponse complète aux défis conjoints de la sécurité alimentaire et nutritionnelle, de la conservation de la biodiversité, du changement climatique et de la valorisation des savoirs et savoir-faire traditionnels par les institutions internationales et régionales .
Autrement dit, l’ agroécologie permet d’augmenter les productions agricoles en quantité et en qualité, de renforcer les interactions biologiques et de préserver l’environnement et les ressources naturelles en minimisant les quantités de substances toxiques qui polluent le sol et l’eau, de maintenir une grande diversité d’espèces et génétique dans l’espace et le temps.
Ce système est créateur d’emplois pour les jeunes et les femmes dans la mesure où il utilise la main-d’œuvre locale à la place du recours systématique à la mécanisation. De ce fait, l’ agroécologie est une stratégie qui permet d’atteindre en même temps plusieurs Objectifs de développement durable (ODD) tels que le souhaite la communauté internationale, d’ici 2030.
Pour un changement de paradigme
Depuis le Sommet de la Terre organisé Rio, en 1992, dont l’un des résultats est la Convention sur la diversité biologique, les acteurs reconnaissent la valeur de l’écosystème dans les stratégies de développement durable aussi bien au niveau national que régional. Et puis, le système alimentaire, bâti autour de l’agriculture industrielle, a fini de montrer ses limites et ses méfaits sur l’environnement.
Ce constat a amené IPES-Food à appeler à un changement de paradigme pour passer de l’agriculture industrielle à des systèmes agroécologiques diversifiés (juin 2016) . Sur cette nouvelle base, cette équipe de recherche préconise un modèle agricole fondamentalement différent, basé sur la diversification des exploitations et des paysages agricoles, le remplace¬ment des intrants chimiques, l’optimisation de la biodiversité et des interactions entre différentes espèces.
IPES-Food reconnait que « les systèmes agroalimentaires d’ aujourd’hui ont réussi à fournir de grandes quantités de produits alimentaires aux marchés internationaux ». « Cependant, ils produisent aussi un grand nombre d’effets négatifs : dégradation généralisée des terres, de l’eau et des écosystèmes, fortes émissions de gaz à effet de serre, perte de biodiversité, faim et carences persistantes en micronutriments alors que parallèlement on assiste à une augmentation rapide des taux d’obésité et de maladies liées à l’alimentation, et épuisement des agriculteurs dans toutes les régions du monde. »
Défaut d’appropriation politique
Ce numéro de la vue AGRIDAPE s’inscrit dans cette dynamique de valorisation des pratiques EbA. Les différentes expériences dont elle fait l’économie ont un dénominateur commun : l’agroécologie. Tous les contributeurs ont mis le focus sur la valorisation de ressources locales pour assurer la sécurité alimentaire des communautés, une adaptation et une résilience plus durables au phénomène climatique. Cela passe également par une protection naturelle des cultures, la restauration des sols, la diversification des sources de production alimentaires, l’autonomisation des femmes et des pratiques agro-forestières locales.
Autour du Lac Tchad, un grand réservoir d’eau connectant le Sahara à l’Afrique tropicale, par ailleurs considéré comme une victime du changement climatique, les communautés y trouvent l’opportunité de développer de l’agriculture de subsistance. Le rétrécissement du plan d’eau fait place à des zones exondées propices à des types de culture. Ces expériences témoignent encore une fois de la vision holistique de l’agroécologie et de l’EbA.
En réalité, les approches agroécologiques ont fini de prouver leur efficacité. L’engagement politique, c’est tout ce qui manque à leur amplification. Si les pouvoirs publics sont convaincus que l’agroécologie est une stratégie d’adaptation à la variabilité climatique, ils demeurent encore dubitatifs sur sa capacité à nourrir une population en croissance, donc à satisfaire la demande alimentaire. Ce faisant, les acteurs engagés pour l’avènement d’une agriculture plus écologique doivent continuer le travail de plaidoyer en valorisant les expériences existantes et en associant la recherche dans l’amélioration des pratiques culturales.
Décennie de l’agriculture familiale ou de l’agroécologie ?
Ainsi, la question de la transition agroécologique en Afrique pourrait être mieux adressée au niveau politique à partir de 2019, l’année de démarrage de la célébration de la Décennie de l’agriculture familiale. En effet, l’Assemblée Générale des Nations Unies l’a adopté le 20 Novembre 2017 avec pour objectif « l’amélioration de la vie des agriculteurs et agricultrices sur les cinq continents ».
La déclaration de la Décennie garantit la continuité du succès du processus de l’Année internationale de l’agriculture familiale (2014). Ce qui a plus ou moins impulsé la mise en place de politiques publiques et facilité la réalisation de l’Agenda 2030 du Développement Durable. Les contributions diversifiées des exploitations familiales, laboratoires de l’agroécologie par excellence, au bien-être des communautés ne font plus l’ombre d’un doute, mais toutes les formes d’agriculture familiale ne sont pas écologiques.
L’approche conventionnelle basée sur la forte utilisation des fertilisants chimiques, des pesticides et la monoculture nuit aux ressources naturelles et contribuent à l’émission de gaz toxiques. Par conséquent, elle ne favorise guère une adaptation durable des agriculteurs. Malheureusement, c’est le modèle dominant que l’on retrouve dans la plupart des pays africains avec un fort soutien politique. Il est donc nécessaire de s’accorder sur le contenu programmatique à donner à cette décennie dont la finalité doit être l’engagement réel des décideurs politiques dans une transition agroécologique, si l’on veut nourrir durablement l’Afrique en préservant les écosystèmes pour les générations futures.