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INTERVIEW : Genre et résilience face au changement climatique au Sénégal
Les changements climatiques sont de plus de plus perceptibles dans les zones semi-arides du Sénégal et soumettent les populations à des conditions de vie particulièrement difficiles. Si le fait de se pencher sur les questions de genre ne devait pas en théorie exclure l’attention portée aux hommes, on observe néanmoins une tendance à se concentrer sur les femmes et leur statut, car, le changement climatique affecte différemment les femmes et les hommes. Dans cette interview, IED Afrique donne la parole à Mamadou Diop, Chercheur Associé à IED Afrique et Point focal pour le Sénégal et le Burkina Faso sur les questions de Genre dans le cadre du projet Promouvoir la Résilience des Economies en zones Semi-Arides (PRESA)
8 mars 2017
IED Afrique : Selon vous, quels sont les principaux secteurs d’activités dans lesquels les femmes sont bien représentées au Sénégal ?
Mamadou DIOP (MD) : Vous savez, il n’est pas facile de s’exprimer en termes de secteurs dominés par les femmes dans notre pays surtout à l’absence de statistiques officielles. Certes, le dernier recensement nous donne des statistiques sur les iniquités de genre mais ces dernières sont focalisées essentiellement sur des aspects comme l’alphabétisation, la scolarisation, la formation professionnelle, etc.
Cependant, il est admis qu’en milieu urbain les femmes sont très présentes dans le secteur informel notamment la restauration, la teinture, le commerce de détail, les services. Mais c’est surtout en milieu rural que la présence des femmes dans les secteurs d’activités est plus significative. Plusieurs rapports ont montré que les femmes rurales sénégalaises constituent près de 70% de la force de travail et assurent un peu plus de 80% de la production agricole notamment dans les cultures vivrières. Elles sont dans le maraîchage, l’exploitation et la vente du sel, la transformation de produits agricoles et la vente de céréales, de fruits et légumes, etc.
Dans le secteur de la pêche, le rôle prépondérant des femmes dans la transformation des produits halieutiques n’est plus à démontrer au niveau des pêcheries surtout artisanales. Bref, même si elles ne se positionnent pas en dominatrices, les femmes sont présentes dans les principaux secteurs de développement du pays notamment l’agriculture, l’élevage, la pêche, la foresterie où elles remplissent des fonctions vitales pour l’économie du pays.
IED Afrique : Quelles peuvent être les conséquences aussi bien sociales qu’économiques des impacts négatifs des changements climatiques sur ces secteurs ?
MD : Vous savez, à l’instar de la plupart des pays du Sahel, Le Sénégal à une économie qui repose en bonne partie sur l’agriculture, l’élevage, la pêche et le tourisme. Ces quatre secteurs ont la particularité d’être très vulnérables aux changements climatiques. Si vous prenez des documents comme le PANA, la récente revue du contexte socioéconomique, politique et environnemental du Sénégal et les revues thématiques réalisées dans le cadre du PRESA, la vulnérabilité de ces secteurs est très bien établie, étayée par des données scientifiques et confirmée par différents scenarii. Ainsi, les cycles de sécheresse notés dans ce pays de même que les hausses de températures ont eu des incidences notoires sur la productivité voire la production de ces secteurs. Ce faisant, puisque les groupes les plus vulnérables s’activent dans ces secteurs, les effets néfastes des évènements extrêmes sur ces dits secteurs de même sur celui des infrastructures, se répercutent inéluctablement sur l’économie du pays, la santé, l’éducation, l’emploi, la mobilité, etc.
Par exemple, les pertes sur le plan économique des pluies hors saison de 2002 étaient énormes sans compter les conséquences sur le plan psychosociologique sur certaines catégories socioprofessionnelles comme les éleveurs. Prenons aussi le phénomène des « pirogues de la mort » autrement appelé « Barça wala Barsakh ». Il s’agit essentiellement d’une aggravation de l’émigration clandestine à la suite de départs massifs vers l’Europe et particulièrement vers l’Espagne de milliers de jeunes qui travaillaient dans des secteurs fortement touchés par les péjorations climatiques notamment la pêche, l’agriculture et l’élevage.
IED Afrique : Considérant le rôle central que jouent les femmes dans les sociétés africaines, que ce soit pour le bien-être des ménages, pour l’éducation des enfants, pour la forte contribution du travail agricole et aux dépenses quotidiennes, etc., quel lien pouvez-vous faire entre genre et résilience ?
MD : D’aucuns disent que les effets des changements climatiques sur un territoire donné sont les mêmes pour ses habitants. Suivant cette logique, on est tenté de dire que les habitants du monde rural sénégalais qu’ils soient agriculteurs, éleveurs, pêcheurs, exploitants forestiers, etc. souffrent presque de la même manière des évènements extrêmes qui affectent leur secteur d’activité. Mais les hommes et les femmes comptent sur différents capitaux et ressources pour faire face aux changements climatiques.
Au Sénégal, plusieurs rapports ont montré que les femmes sont moins instruites et plus touchées par la pauvreté que les hommes.
En milieu rural, elles sont plus dépendantes aux ressources naturelles, contrôlent une infime partie des terres, généralement les moins productives et sont principalement assignées à des tâches à forte intensité de travail et nécessitant plus de temps. Autant de facteurs qui font que les femmes sont plus vulnérables que les hommes et donc plus affectées par les effets adverses des changements climatiques. Alors, du moment que la vulnérabilité est différenciée, les réponses doivent être forcément différenciées.
D’où la nécessité de tenir compte aussi bien des besoins des hommes que ceux des femmes dans les politiques de résilience surtout des économies. D’ailleurs l’importance du rôle des femmes et des jeunes dans l’économie sénégalaise fait qu’il est impossible de penser à la résilience sans ces deux groupes ou catégories.
(Nous vous proposerons la suite de l’Interview dans un prochain article)