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Innovations et savoirs endogènes pour adapter l’élevage des ruminants en zone sèche du Cameroun.

L’eau est sans doute un objet de crainte et en même temps de toutes les attentions dans différents contextes du monde marqué par le changement climatique. La vague des sécheresses dévastatrices récentes, notamment en Afrique ne laisse pas beaucoup d’illusions sur les enjeux de l’eau pour des peuplades curieusement amoureuses des vastes terres qui s’érodent et craquellent à perte de vue, supportant difficilement un bétail certes rustique, mais décharné, et une variété de céréales bien maigre pour pouvoir contribuer à un confort alimentaire minimal. L’innovation constitue donc un impératif pour adapter les activités agricoles et pastorales au Sahel. Dans cet article, nous partageons le récit de Moustapha un jeune éleveur vivant dans la région de Maroua au Cameroun.

Le Sahel, un concentré des insécurités plurielles

La longue bande de terres sèches au Sud du Sahara qui s’étire de la Mauritanie au Tchad a reçu le nom de Sahel. Pas très riche comme appellation, mais devenue aujourd’hui un symbole de toutes les incertitudes, et aussi surtout des insécurités plurielles, et pour les populations, et pour les États. La pluviométrie de cette vaste région dépasse rarement 500mm d’eau par an, et pour une période n’excédant pas trois mois. Aussi paradoxalement qu’il peut paraître, l’eau qui manque une partie de l’année est l’eau qui parfois emporte tout sur son passage : hommes et familles, maisons et bétails, champs et semences, rêves et espoirs comme dans la grande vallée de Maga tout le long du Chari dans la région de l’Extrême Nord du Cameroun. L’insécurité alimentaire y plane une bonne partie de l’année. La riziculture ou la cotonculture assistées par l’État peinent à nourrir une des régions les plus densément peuplée du pays. Ce même Sahel exerce une attraction morbide des enjeux géostratégiques des puissants d’ici et d’ailleurs pour un sous sol de tant de convoitises fossiles. Et on peut comprendre le malheur des habitants et amoureux de ces terres au vent rude et sec, aux sols durs et aux arbres rares. Le nomadisme et la transhumance sont aujourd’hui des pratiques d’adaptions qui manquent de repères et d’efficacité.

L’itinéraire d’un jeune clairvoyant et ambitieux

Avec un esprit vif et très curieux, Moustapha est un jeune qui ne se donne pas de répit pour agir avec générosité et entièreté. Toujours souriant et parcourant rapidement les espaces de la concession familiale et des autres points d’activité, ce jeune Peuhl encore dans sa vingtaine, tout frêle dans son corps détonne d’énergie dans sa voix et ses ambitions. Élevé entre les bovins de son père et la volaille de sa maman, malgré la proximité de la grande ville de Maroua, Moustapha vivant à moins de 2km de l’aéroport international de Maroua Salack ne se sent nullement inferieur aux pairs partis « faire la moto » en lieu et place de l’élevage des ruminants et de la culture de la terre. C’est en fait, que ce jeune, apparemment peu scolarisé est un fin observateur de son milieu et de l’évolution des choses. L’immense expérience tirée des savoirs de la famille ont très tôt fait de lui une personne de confiance en raison de la qualité de ses raisonnements et des choix apportés dans son élevage familial. Il a commencé par faire des choix prudents des animaux devant entrer dans son cheptel personnel. Il ne se voyait pas en nomade ou en transhumant saisonnier, susceptible de tomber entre les mains des coupeurs-de-route et autres brigands transfrontaliers sahéliens. Il a alors porté son choix sur des animaux capables de résister aux affres des températures extrêmes et de s’abreuver chichement, pour lui rendre la tache facile. C’est auprès d’autres éleveurs avertis qu’il a acquis des taureaux et vaches du type zébu, arborant une bosse immense et un fanon impressionnant, et mangeant un fourrage tantôt sec, tantôt frais selon la saison. La consommation du lait caprin sortant des simples recettes familiales lui a donné l’idée de s’acheter quelques femelles sahéliennes plus au nord de Maroua et d’apprendre en autodidacte la traite et la petite transformation. Seul et parfois traité avec peu d’égards il peinait à avancer dans ses projets.

De l’eau bien gérée et des produits laitiers de qualité

L’appui de la SNV-Cameroun lui remettra non seulement le sourire, mais plus encore des bases aux ambitions de son cœur, et pour lui et pour sa communauté. Fort de sa bonne connaissance du milieu et en même temps de ses grandes compétences innovatrices, Moustapha devint rapidement un interlocuteur accepté pour sa communauté. Il partagea ses convictions selon lesquelles la transhumance n’était plus qu’un gros risque. Selon, lui, ce n’était pas l’élevage des ruminants qui posait problèmes, mais le système de leur exploitation inappropriée. Sa vision clairvoyante fut l’objet d’attention soutenue du fait que l’on le voyait agir, même en situation complément nouvelle. La production du lait (produit répétable) et moins de la viande (produit terminal) lui semblait un des moyens les plus efficaces pour alléger la vie des ménages ruraux. La petite coopérative mise sur pied ne manqua pas de grandir et de se trouver une clientèle régulière dans la grosse ville de Maroua. SNV Cameroun apporta des appuis considérables en matière de formation et de premiers équipements pour améliorer et allonger la durée de vie des produits laitiers. Qui pouvait soupçonner que derrière l’excellente saveur du lait caprin de Moustapha se cachait une démarche ingénieuse de la valorisation des ressources en eau ? Fort des ambitions de la coopérative dont il était le porte flambeau, la collaboration avec la SNV avait abouti à la création au village de Moustapha de deux pratiques nouvelles changeant tout d’un coup : la mise en place d’un biodigesteur produisant de l’énergie, laquelle alimentait une exhaure d’un forage capable d’alimenter plus de 4,000 bovins par jour, bien au delà des 2500 bovins du village. Moustapha en avait les commandes et de ce fait, sillonnait entre l’alimentation et le suivi du biodigesteur, et l’ouverture du forage pour l’approvisionnement en eau en fin d’après midi. Il avait repéré un Yaéré (petite zone inondable dans le sahel) dans lequel il cultivait du brachiaria (fourrage bien apprécié des chèvres et vaches laitières) maintenant presque toute l’année, et en toute indépendance.

Les retombées de la maîtrise de l’eau pour la communauté derrière la colline
Moustapha entretient dans sa ferme plus de 40 chèvres qu’il suit individuellement et dont le lait est destiné en priorité à une clientèle régulière faite d’expatriés. La culture locale qui en fait de l’aliment pour jeunes enfants faibles tarde à ouvrir les portes. Il peinait en Avril 2014 à satisfaire la demande. L’existence d’une source d’eau à moins de 100m de sa ferme est aujourd’hui une grosse marque de satisfaction. Il est devenu un modèle pour le village dont il connaît tous les bergers, lesquels lui reconnaissent une vision porteuse d’espoir. Ce village des faubourgs de Maroua dont la traduction littérale signifie « communauté derrière la colline » au soir entend des milliers de pintades sauvages saisonnières s’approcher en raison de sa production agricole. Moustapha a déjà des idées derrière la tête. Avec maintenant le biogaz, pourquoi encore couper du bois ? « L’arbre assure la régularité des pluies » me souffle-t-il sourire convaincu en tapotant le jeune baobab dont il avoue être le planteur il y a 4 ans. Vous avez dit « l’eau c’est la vie » ?

Moustapha vous en contera bien un peu plus d’un bout ! D’ailleurs, il ne rêve que d’une chose, visiter d’autres régions sahéliennes comme le Burkina Faso où il aurait entendu parler des systèmes de maîtrise de l’eau dans les milieux difficiles. Il sait que partout, ceux qui ont la force de la conviction ne se laisse pas terrasser, même sous une canicule de 40oC, le sourire est de mise, car l’essentiel est fait. Et il fallait le faire, redit Moustapha en inspectant sn bétail et lorgnant l’horloge de son téléphone portable. Il y a une livraison en instance !

Félix Meutchieye

Ingénieur Agronome,

Enseignant-Chercheur, Coordonnateur Projet Chèvres Cameroun

Université de Dschang-Cameroun

Abdoulaye Kone

Coordonnateur du Programme Sécurité Alimentaire Nord Cameroun

SNV-Cameroun