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L’agroécologie : Un sous-secteur peu considéré dans les politiques agricoles du Sénégal

Dans le cadre de l’initiative pour la promotion de l’économie verte du GEC (Green economy coalition), l’UICN Sénégal et IED Afrique mènent des conversations avec les acteurs des exploitations familiales pour recueillir les pratiques et les préoccupations dans l’agroécologie.

Les résonnances enregistrées dans la Zone des Niayes (Diender et Keur Moussa) auprès des acteurs de la filière montre que l’agroécologie souffre principalement d’absence de subventions de l’Etat destinées aux intrants (engrais bio, produits phytosanitaires bio…), de manque d’infrastructures de conservation, de commercialisation des produits, de la forte dépendance à l’eau pluviale, des changements climatiques et ses conséquences sur le sol.

Malgré la diversité des dynamiques publiques et privées dans l’agriculture, les exploitations familiales évoluent toujours dans un environnement socioéconomique difficile. Pour redonner vie à ce sous-secteur et lui assurer une durabilité, les efforts devront être orientés vers la promotion d’une agriculture viable et durable.

Défis et enjeux d’une agriculture durable

Dans un contexte de démographie croissante, les besoins en alimentations croissent également lus en plus. L’un des enjeux majeurs de l’agriculture durable devient alors la sécurité alimentaire. D’où l’élaboration par le Sénégal, d’un Programme national d’Investissement agricole pour la Sécurité alimentaire et la Nutrition (PNIASAN, un document en instance de validation) avec un coût estimatif de 2. 465 milliards de FCFA.

L’agriculture conventionnelle a montré ses limites et participe pour beaucoup à l’émission de gaz à effet de serre et à la dégradation des ressources naturelles. La dépendance vis-à-vis du climat est très caractéristique des systèmes de culture pratiqués au Sénégal. Les dérèglements climatiques ont un impact sur les activités agricoles des exploitations familiales qui représentent 90% du secteur (Guèye et al, 2015). « Depuis des années 2000 (à l’exception de l’année 2014) le pays enregistre une pluviométrie normale à excédentaire provoquant un ruissellement très important qui a davantage contribué à la dégradation des terres, à l’érosion des sols et à l’inondation de parties basses » (Guèye et al, 2015).

Dans la commune de Keur Moussa (localité située dans la zone des Niayes), les populations de Landou en souffrent énormément. « Avec la sécheresse, nous avons presque perdu toutes nos terres. Les jeunes du terroir sont tous partis en zones urbaines pour fuir le chômage et la pauvreté », regrette Daouda Diouf, le chef de village de Landou et animateur de la Fédération Woobin qui se bat depuis 2006 dans le cadre d’ un projet de Défense et Restauration des sols (DRS) appuyé par l’ONG Enda Pronat . Pauline Ndiaye, chargée du suivi-évaluation du projet Bio Niayes de Enda Pronat explique que son projet était venu « pour promouvoir l’agroécologie, mais puisque la zone souffrait de dégradation des sols, il a fallu commencer par la DRS pour récupérer des terres ».

En plus des conséquences des changements climatiques, les projets d’infrastructures de l’Etat comme l’AIBD (4000 ha) et ses infrastructures connexes (TER, Autoroute à péage, immobiliers, etc) sont venus accentuer les menaces qui planent sur les écosystèmes) et éprouver davantage les populations de la zone (villages délocalisés, perte de champs …) alors que la lutte contre la pauvreté (ODD 1) devrait passer par l’optimisation des facteurs de croissance comme l’agriculture qui occupe plus de 60 % de la population du Sénégal ( Draft LPSDA, 2018)

Pour développer l’agroécologie, il est nécessaire de renforcer la conservation et la transformation des produits. Ceci permettrait de limiter les pertes, de créer une plus-value et de valoriser les emplois, notamment pour les femmes et les jeunes. Dans le marché de Mbawane (commune de Diender), Ndèye Fall et ses collègues Ngoné Gueye et Khady Sall, toutes productrices de légumes bio, peinent à trouver des acheteurs. « Mon mari et moi investissons chaque année près de 4 millions de francs Cfa. Nous subissons parfois de lourdes pertes en raison des difficultés d’écoulement. Nos produits pourrissent ainsi car nous n’avons pas d’infrastructure de conservation. Le marché de Mbawane ne dispose même pas d’infrastructures adéquates pour sauver nos marchandises de la pluie, du vent et du soleil », confie Ndèye Fall aux enquêteurs de l’UICN Sénégal et IED Afrique en début novembre 2018.

Les leviers pour une transition verte

Les préoccupations recueillies auprès des acteurs de l’agroécologie entre Diender et Keur Moussa sont principalement liées aux changements climatiques, au foncier, à l’eau, à la subvention des intrants et à la commercialisation. Pour rendre durable ce type d’agriculture, la dynamique de transition verte doit être axée sur la réponse aux facteurs sus cités. Il s’agit de :

  • La défense et la restauration des sols (exemple de Landou à Keur Moussa) pour faire face aux changements climatiques et gérer durablement les ressources naturelles
  • Prendre des mesures politiques pour faciliter l’accès à la terre et surtout sa sécurisation face à la menace des projets immobiliers et des industries d’extraction, etc.
  • Faciliter l’accès à l’eau qui constitue l’une des conditions préalables à la pratique de l’agriculture. Mme Mayeu Ka, agricultrice de produits bio à Mbawane dans la commune de Diender (zone des Niayes) estime que le manque d’eau est un frein au développement de l’agroécologie. « L’activité agricole a fortement diminué dans la zone à cause du manque d’eau. L’agriculture écologique prend plus d’eau car le cycle des cultures peut aller jusqu’à trois mois, contre un à deux mois pour les cultures conventionnelles », explique-t-elle.
  • Faciliter l’accès aux intrants bio notamment des engrais (unités de compostage), des semences paysannes (unité de production de variétés de semences) et renforcer le dispositif de protection des cultures en développant les moyens de lutte biologique (produits phytosanitaires bio). Par exemple à Diender, Mayeu Ka, agricultrice bio, membre de la Fédération des agropasteur de Diender (FAPD) raconte que la fédération leur accorde trois sacs de fumier de coque en raison de 1.500 frs le sac. Ce qui lui semble « très insuffisant ». Nous cherchons le complément en fumier d’élevage payé entre 700 ou 1000 frs le sac. Or, nous préférons le fumier en coque car une seule utilisation sur les plantes peut suffire jusqu’à la récolte. Là où, il faut au moins trois passages en fumier d’élevage qui est plus coûteux et moins efficace », regrette Mayeu Ka.
  • Mettre en place des d’infrastructures de conservation, (centres de conditionnement et magasins de stockage pour les filières fruits et légumes).

Les raisons pour donner un visage vert à l’agriculture

Avec 49,5 % des ménages occupés par le secteur, l’agriculture reste le principal moteur de la performance du secteur primaire au Sénégal. La valeur ajoutée (VA) agricole est passée de 344 milliards FCFA en 2012 à 520 milliards FCFA en 2016, soit une variation relative de 51,2 %. En 2016, le sous-secteur agricole représente 58,6% du PIB du secteur primaire et a contribué au PIB réel national à hauteur de 9,1%. Le ministère de l’Agriculture et de l’Equipement rural (MAER) a élaboré, en 2014, le Programme d’Accélération de la Cadence de l’Agriculture Sénégalaise (PRACAS) qui constitue l’instrument sectoriel agricole de mise en œuvre du PSE (Plan Sénégal émergent) pour la période 2014 – 2017.

Toutefois, dans sa politique agricole le Sénégal ne prévoit pas de lignes de subventions spécifiques aux intrants bios. Pourtant, le pays regorge d’une proportion importante de pratiquants de ce type d’agriculture au niveau des exploitations familiales qui s’activent principalement dans la production céréalière (mil, riz, maïs, sorgho, fonio) et horticoles (fruits et légumes). Dans le sous-secteur agricole et de l’horticulture en particulier, la production de légumes est établie à 953 310 tonnes en 2016 (Draft LPSDA, MAER 2018-2022).

La zone des Niayes représente l’une des principales zones de production de légumes au Sénégal. De Diender à Keur Moussa, les conversations que l’UICN Sénégal et l’IED Afrique ont eu avec les acteurs révèlent que les contraintes du secteur de l’agroécologie sont essentiellement liées à la difficulté d’accès à l’eau et au foncier, à la forte avancée de l’urbanisation dans les périmètres d’horticulture, à l’absence de subventions aux intrants et d’infrastructures de conservation et aux contraintes de commercialisation

Des opportunités saisissables par l’agroécologie

  • L’agroécologie souffre de la dépendance à l’eau pluviale, des pertes enregistrées à cause du pourrissement des récoltes qui ne trouvent pas d’acheteurs. La Compagnie Nationale d’Assurance Agricole du Sénégal (CNAAS) s’offre donc à elle comme une opportunité pour prendre en charge le volet assurance agricole indexé aux risques climatiques. Etant donné que la capacité de couverture des risques agricoles est chiffrée à 15 milliards de francs FCFA par région (Ministère de l’Agriculture ,2018).
  • A travers la LPSDA, 2018, on constate que d’autres alternatives de financement s’offrent à l’agroécologie. « Le développement des systèmes financiers décentralisés, d’assurance et densification de réseaux de la CNCAS, du SAFIR, du FNDASP, FADSR, CNAAS » constitue autant d’offres de produits et services financiers profitables à l’agroécologie.
  • Dans le programme national d’investissement agricole de la sécurité alimentaire et nutritionnelle (PNIASAN) dont la validation est prévue le 10 décembre 2018, est inscrit un projet de gestion durable des terres.
  • La position géographique stratégique du Sénégal offre une opportunité à l’agroécologie de labéliser ses produits pour trouver une alternative aux difficultés de commercialisation. Le Label pourra permettre l’accès à différents marchés de la sous-région et d’outre-mer

Références

  1. Amadou Thierno Gueye et al, 2015, Sénégal : revue du contexte socioéconomique, politique et environnemental : rapport d’étude
  2. MAER, 2108, Lettre de politique sectorielle de développement de l’agriculture (LPSDA, 2018 2022 )
  3. AGRIDAPE 2013. Volume 29 N° 4, Agriculture familiale Durable
  4. Encyclopédie du développement durable N° 185 Mars 2013 : Economie Verte, histoire et définitions, article extrait du rapport de l’Association 4D, Pour une économie écologique et équitable