Abonnement à Agridape

Accueil / Publications / AGRIDAPE / Femmes et agroécologie / Promotion de l’agroécologie au Sénégal : la Fondation New Field appuie des (...)

Promotion de l’agroécologie au Sénégal : la Fondation New Field appuie des associations féminines en Casamance

En Casamance, une région du Sud du Sénégal à vocation agricole mais centre de la rébellion armée, les femmes et leurs organisations font face à d’énormes contraintes pour assurer leurs activités de production agricole. Pourtant elles sont les garantes de la sécurité alimentaire et nutritionnelle au sein de leurs ménages. C’est ainsi que la Fondation New Field a mis en œuvre un vaste programme de soutien aux associations de femmes rurales, pour renforcer l’égalité des sexes et fournir des ressources qui facilitent le bien-être de la famille et de la communauté.

Un contexte de développement difficile

Connue pour ses ressources naturelles riches et la fertilité de son sol, la Casamance, région située au sud du Sénégal, a longtemps approvisionné le reste du pays avec une surabondance de nourriture. Cependant, durant le régime colonial et la période post-indépendance, les ressources de la Casamance furent détournées au profit de l’élite au pouvoir, laissant la population locale dans des difficultés économiques extrêmes. La marginalisation touchait particulièrement la majorité Diola, qui diffère du reste du pays par ses cultures et pratiques religieuses – un système social égalitaire et décentralisé, qui accorde la priorité aux femmes et leur octroie un rôle de premier plan dans la production alimentaire.
Dans les années 1970, l’aide internationale a afflué dans le pays en réponse aux graves sécheresses sahéliennes, mais dans les années 1980, les programmes d’ajustement structurel de la Banque Mondiale et du FMI ont eu un impact négatif sur le financement public pour l’agriculture au Sénégal. Depuis 1982, l’émergence d’un mouvement de rébellion armée pour l’indépendance de la Casamance a donné lieu à vingt années de violent conflit avec les forces gouvernementales, qui ont conduit à la destruction de villages, au déplacement de dizaines de milliers de gens et à la stagnation de l’économie locale, dynamique par le passé.
Depuis l’accord de paix de 2004, les femmes qui sont rentrées dans les villages et sont retournées à l’agriculture en Casamance développent leurs propres organisations paysannes et leurs réseaux pour tirer profit de nouvelles opportunités : le droit à la propriété foncière, un processus de décentralisation qui donne plus de pouvoir de décision et de ressources aux communautés rurales et le financement international pour améliorer les routes et augmenter l’accès aux marchés.
Cependant, diverses contraintes persistent pour les agricultrices, telles que les mines qui n’ont pas été dégagées des rizières, la salinisation du sol, le poids du travail domestique, l’analphabétisme, le manque d’accès aux capitaux, la non inclusion dans la formulation des politiques agricoles et des priorités au plan national, et la forte pression du gouvernement et du secteur privé pour l’adoption des méthodes d’agriculture qui favorisent la dépendance à l’égard des semences hybrides et autres intrants extérieurs.

Appuyer les associations de femmes

Les donateurs et les organismes de développement sont souvent réticents à accorder un financement direct aux groupes de femmes rurales. Entre 2006 et 2012, New Field Foundation, basée aux Etats-Unis, a mis au point un programme novateur, en collaboration avec des partenaires locaux, afin d’accorder des subventions communautaires aux associations de femmes rurales pour les activités agricoles, les technologies durables et le partage des connaissances.
Entre 2006 et 2012, New Field Foundation a fourni 90 subventions à 20 organismes à but non lucratif, au service des femmes rurales en Casamance, pour un total de 3,5 millions de dollars. À leur tour, six des associations bénéficiaires ont attribué 257 subventions communautaires, totalisant plus de 1,3 million de dollars et profitant à 116 associations de femmes rurales.
L’identification et le suivi des progrès au sein des associations de femmes rurales en Casamance sont un défi, puisque le changement se produit lentement, surtout à cause des contraintes culturelles. Néanmoins, certains changements positifs rapides se produisent lorsque les femmes rurales s’organisent, identifient les problèmes et trouvent des solutions, comme par exemple élire plusieurs de leurs représentantes au Conseil municipal pour influencer le budget du district rural, ou installer une décortiqueuse de riz qui réduit le travail domestique de quelques heures à quelques minutes.
Une évaluation publiée en 2014 par New Field Foundation a enquêté sur 379 femmes bénéficiaires de subventions. Elle a montré que l’octroi de 5 000 dollars par an, pendant au moins deux ans, aux organismes communautaires des femmes a amélioré le bien-être des participantes et de leur ménages, ainsi que leur stabilité économique. Parmi les avantages, l’éducation des enfants, la santé et l’alimentation ont été particulièrement améliorées. Par exemple, pour 72% des femmes interrogées, les activités subventionnées les ont aidées à mieux répondre aux besoins de santé de leur famille.
En ce qui concerne l’alimentation, 78% des femmes ont déclaré que les activités soutenues par les subventions ont amélioré la nutrition familiale, 55% ont déclaré une meilleure qualité des aliments et 36% ont augmenté les quantités de nourriture de leur foyer. AJAC-Lukaal estime que les membres de ses réseaux qui reçoivent des subventions produisent 60% de leurs besoins alimentaires. Malgré ces améliorations, certaines difficultés persistent pour l’approvisionnement de la Casamance rurale en nourriture, où, particulièrement pendant la période de soudure, les familles ont du mal à assurer trois repas quotidiennement.

Profils des organisations subventionnées

Comité Régional de Solidarité des Femmes pour la Paix en Casamance, CRSFPC/USOFORAL

En 1999, les organisations de femmes se sont réunies lors d’un forum qui a conduit à la naissance du Comité Régional de Solidarité des Femmes pour la Paix en Casamance /USOFORAL — ou « tenons-nous main dans la main » dans la langue Diola. Le comité met ses membres en relation avec des partenaires financiers et techniques. Il soutient également un réseau d’associations de femmes rurales, REFECE, qui compte plus de 1 000 membres dans 24 groupes ruraux à travers quatorze villages.

Association Sénégalaise de Producteurs de Semences Paysannes (ASPSP)

Un certain nombre d’associations agricoles féminines reçoivent une formation sur les pratiques agro-écologiques de l’ASPSP, qui relie quinze organisations agricoles régionales, avec un total de 63 000 membres, majoritairement des femmes. ASPSP favorise l’autonomie en semences, en collectant et en encourageant la production de variétés de semences locales. L’organisation tient une foire annuelle de la semence au Sénégal et, tous les deux ans, elle organise une foire de la semence Ouest Africaine à laquelle prennent part des agriculteurs de toute la région. ASPSP aide les associations de femmes à construire des connaissances agricoles empiriques, à améliorer leur autonomie dans la production alimentaire et à diffuser des techniques agro-écologiques d’amélioration des rendements.
World Education
La radio communautaire est un moyen important pour les associations de femmes rurales. En 2007, World Education a créé un réseau de radios locales, promouvant la paix et le développement. Ces radios appartiennent et sont gérées par les organismes communautaires locaux, et beaucoup promeuvent une agriculture durable. Elles donnent la parole aux agriculteurs, femmes et hommes, avec un large partage des pratiques agricoles locales et des débats sur les nouvelles technologies.

Association des Jeunes Agriculteurs et Eleveurs du Département d’Oussouye (AJAEDO)

AJAEDO est une association de jeunes agriculteurs et éleveurs. 75% de ses membres sont des femmes. AJAEDO accorde des subventions communautaires et assure la formation à ses 21 groupes communautaires, pour la production agricole, le maraîchage, la création de boutiques communautaires et d’autres activités qui permettent aux femmes rurales d’accroître leurs ressources alimentaires et leur revenu. En 2008 et 2009, AJAEDO a conduit avec succès un projet pilote auprès de cinq associations de femmes, utilisant des pompes solaires et l’irrigation au goutte à goutte pour produire des légumes biologiques, ce qui a permis une réduction considérable de la charge de travail pour les femmes et une augmentation des rendements. AJAEDO a élargi le procédé à dix autres groupes de femmes en 2011.

Association des Jeunesses Agricoles de Casamance (AJAC-Lukaal)

AJAC-Lukaal fournit des services agricoles et techniques aux associations rurales et contribue à transférer les subventions des donateurs internationaux aux communautés rurales. AJAC-Lukaal a quelque 3 500 agriculteurs membres, dont 75% de femmes. De 2006 à 2010, l’organisation a accordé trente-six subventions de 5 000 dollars à 16 groupes de femmes rurales. Ces associations ont utilisé ces subventions à des fins diverses : installation de pompes solaires pour l’irrigation goutte à goutte, production d’engrais organiques, amélioration de la conservation des semences, construction de puits, mise en place de systèmes d’irrigation et construction de clotures de protection des champs. Tous les bénéficiaires reçoivent la formation aussi bien en techniques d’agriculture biologique qu’en gestion financière et gestion de projets. Parmi les bénéficiaires de l’AJAC, six associations de femmes se sont engagées dans un processus d’obtention de titres fonciers sur les terres qu’elles cultivent. Cela a inspiré les femmes des villages voisins, qui ont demandé à leurs dirigeants de leur accorder la propriété des terres qu’elles cultivent.

Comité d’Appui et de Soutien au Développement Economique et Social des régions de Ziguinchor et de Kolda (CASADES)

CASADES travaille actuellement avec 62 groupes de femmes rurales pour promouvoir l’agriculture, l’élevage et le commerce, et particulièrement pour soutenir la riziculture pour la consommation domestique et la commercialisation.

DIRFEL-Kolda

DIRFEL-Kolda est une branche de l’Organisation nationale des femmes de la Casamance, DINFEL. Son objectif est d’accroître le rendement des femmes propriétaires de petites exploitations d’élevage. La plupart de ses 200 femmes membres sont des principaux soutiens des familles, collectivement responsables de quelque 7 000 personnes dans leurs foyers. Les activités consistent en la formation des femmes en élevage traditionnel, au développement des compétences en business, à l’augmentation de la participation civique et au soutien à la sécurité sanitaire et alimentaire de la famille à travers la production biologique de fruits et légumes pour la vente et la consommation domestique

Forum pour un Développement Durable et Endogène (FODDE)

FODDE favorise la sécurité alimentaire pour les ménages pauvres, l’égalité d’accès aux services sociaux de base et le renforcement des capacités des organisations communautaires dans la région de Kolda, une zone d’immigration dont l’approvisionnement alimentaire est en baisse à cause de la déforestation et de la mauvaise gestion des terres. Actif dans 70 villages, FODDE a un impact direct sur environ 26 000 personnes. Les subventions communautaires- en moyenne de 5 000 dollars- permettent aux associations de femmes de cultiver des légumes, de produire du riz et de l’huile de palme, et d’exercer d’autres activités qui améliorent leur qualité de vie.

Des résultants satisfaisants

Favoriser l’autonomisation des femmes rurales en Casamance
Les subventions attribuées aux femmes et leurs associations leur ont permit d’effectuer des investissements pour favoriser leur autonomie et développer des activités génératrices de revenus.
Entre autre, les groupes de femmes rurales du programme de subventions communautaires ont :
- Acheté des semences, du bétail et les équipements agricoles de base, qui ont considérablement augmenté la production alimentaire, la nutrition et le revenu communautaire ; augmenté la superficie des terres cultivées collectivement par le groupe, de quelques hectares à plusieurs centaines d’hectares ;
- obtenu des titres fonciers officiels pour assurer la possession du groupe enregistré pour les activités agricoles collectives ;
- acheté, installé et entretenu des technologies agricoles durables pour accroître les revenus du groupe et réduire le travail des femmes. L’équipement est constitué de pompes solaires, de plates-formes multifonctionnelles et de décortiqueuses de riz ;
- introduit des activités pour traiter et ajouter de la valeur aux produits cultivés localement, avec USOFORAL, qui a installé une usine de production de vinaigre à partir des excédents de mangues. L’usine peut produire 30 000 litres de vinaigre « La Délice » par an, qui est commercialisé au Sénégal et dans les pays voisins. Les bénéfices engrangés supportent les coûts de l’exploitation d’USOFORAL et des membres des groupes ;
- planté et récolté une plus grande diversité de cultures pour la consommation locale, tels que le chou, la carotte, le gombo, l’oseille, le pamplemousse, la mangue et l’orange. La production utilise des semences traditionnelles de Casamance ainsi que des variétés de semences améliorées d’autres régions du Sénégal ;
- partagé des connaissances pour accroître la production agricole de manière durable du point de vue culturel, écologique et financier ;
- fourni la formation et le soutien à 500 femmes pour mettre en place un programme de micro finance et d’épargne combiné avec l’information sur la santé ;
- veillé à ce que trois femmes rurales soient élues dans les conseils départementaux et autres institutions locales qui décident de la procédure d’allocation des ressources agricoles et de formulation des politiques agricoles locales ;
- maintenu le contact avec les membres des conseils départementaux pour les informer des questions des femmes rurales ;
- construit le leadership des femmes rurales et des réseaux et attiré des financements supplémentaires pour leurs groupes.

Note :

Cette étude de cas a été produite par l’Oakland Institute. Elle est co-publiée par l’Oakland Institute et l’Alliance pour la Souveraineté Alimentaire en Afrique (AFSA). Une collection complète d’études de cas est disponible à www.oaklandinstitute.org et www.afsafrica.org.

Site web de la Fondation : www.newfieldfound.org