Abonnement à Agridape

Accueil / Publications / AGRIDAPE / Recherches sur la résilience au Sénégal et au Burkina Faso : les premières (...) / Changements climatiques autour du lac Bagré : la résilience des agropasteurs (...)

Changements climatiques autour du lac Bagré : la résilience des agropasteurs face aux recompositions territoriales

Dans la zone sahélienne d’Afrique de l’Ouest, l’adoption de l’irrigation s’est amorcée après les crises climatiques des années 1970 et semble s’accentuer ces dernières années avec le phénomène des changements climatiques. Face à la dégradation du potentiel productif des terres et la rareté de l’eau, la construction de retenue d’eau et la mise en place de périmètres irrigués sont considérées comme des moyens pour développer les régions semi-arides, en créant de nouvelles activités agricoles beaucoup plus productives. Le Burkina Faso, pays sahélien faiblement doté en ressources naturelles et soumis aux caprices de la pluviométrie, tente de sortir de l’ornière, à travers la maitrise de l’eau à des fins d’irrigation. Les exemples sont légion autour du lac Bagré.

La construction de nombreuses retenues d’eau fait de ce pays, l’un de ceux qui disposent du plus grand nombre de barrages dans le monde (Mob, 2012). Une bonne partie de ces retenues d’eau sert à la production agricole en saison sèche.

Pourtant, à côté de l’agriculture, le soussecteur de l’élevage, sans bénéficier des mêmes gros investissements, est pratiqué par 82,4% des ménages ruraux. En outre, il demeure la première source de revenus monétaires des ménages ruraux (38,8%) et leur permet ainsi financer leur accès aux services sociaux de base (Mra, 2011). Il a faiblement bénéficié des avantages liés à la création de retenues d’eau. La question de la marginalisation du secteur de l’élevage est d’autant plus cruciale que, dans les zones aménagées de Bagré par exemple, la cohabitation entre l’agriculture en général et notamment celle irriguée avec l’élevage commence à devenir problématique. En effet, l’identification des potentialités hydroagricoles sur le cours du fleuve Nakambé a guidé les décideurs politiques dans la mise en place d’un vaste programme de développement des vallées des Voltas. Il a permis d’assainir la vallée et de démarrer, depuis les années 1980, des projets de développement de l’hydro-agriculture (Yaméogo, 2015).

A l’inverse, la course vers les terres agricoles s’est réalisée au détriment des espaces pastoraux, avec pour corollaire le bouleversement des systèmes traditionnels d’exploitation et d’usage de l’espace. On assiste, depuis la mise en eau du barrage de Bagré et la construction des périmètres irrigués, à une dynamique des stratégies paysannes guidée par la compétition pour l’usage et la gestion de l’espace (Diakité N., 2012). Les dynamiques observables depuis les années 1980 ne risquent-elles pas d’entrainer de nouvelles mobilités spatiales, notamment dans le groupe des éleveurs ? Quelles sont les réponses locales face à ces mobilités ? De quelles manières l’action du programme PRESA peut-elle permettre une large appropriation des résultats de la recherche ? Ce sont autant d’interrogation qui ont motivé l’équipe Migration du PRESA Burkina à investiguer auprès des populations riveraines du lac Bagré.

Les résultats préliminaires de ces investigations permettent de confirmer la vulnérabilité des acteurs du territoire au changement climatique, le développement de nouvelles capacités de résilience face aux mutations en cours, l’identification de nouvelles parties prenantes pour une appropriation et diffusion des résultats de la recherche.

MIGRATION SPONTANÉE

C’est en fuyant les sécheresses, notamment la pénurie d’eau, que les éleveurs du Nord se sont installés dans la vallée du Nakambé depuis les années 60. Ce mouvement vers les vallées s’est accentué avec les grandes sécheresses des années 70. En s’installant dans les vallées, les éleveurs ont trouvé une ressource d’eau pérenne et du fourrage, notamment le bourgou qui pousse après la décrue du Nakambé. Au-delà des ressources hydrauliques et fourragères, la vallée du Nakambé était un espace ouvert presque inhabité du fait de l’épidémie d’onchocercose. Cette maladie a contraint les autochtones bissa à coloniser les glacis au détriment des vallées pourtant fertiles (Lacoste, 1984). Avec autant d’avantages, l’élevage s’est fortement développé. La construction du barrage de Bagré en 1994 a accru la disponibilité en eau et l’attrait du territoire devenu hydraulique. Mais l’aménagement des périmètres irrigués a progressivement réduit les espaces pastoraux. Même l’identification de zones pastorales ne semble plus résoudre le problème d’accès aux ressources fourragères.

POUR LA CULTURE DU RIZ

En marge des migrations spontanées des éleveurs fuyant la pénurie d’eau pour le bétail, l’Etat s’est également investi pour sécuriser une partie de la production agricole, en installant des populations autour des retenues d’eau artificielle. Les migrations organisées dans ce cadre ont concerné les populations limitrophes de Bagré (Bagré village, Bané, Tenkodogo). Mais avec le grand projet et l’ampleur de l’incertitude climatique, l’espace de recrutement s’est élargi. Les migrants agricoles sont recrutés majoritairement dans les provinces du Boulgou et du Zounweogo. D’autres étaient originaires du Ganzourgou, du Kouritenga et du Houet.

A l’inverse, certains producteurs victimes de la récurrence des crises climatiques, dont les effets réduisent les possibilités de récolte tout en entrainant la baisse des rendements, ont fait l’option de la migration spontanée. Aussi colonisentils les zones d’aménagement et les centres urbains notamment Tenkodogo et la capitale Ouagadougou. Dans la zone aménagée de Bagré, ils colonisent le quartier Tchindpenguin, qui signifie pénétrer de force, matérialisant ainsi leur installation non autorisée dans la zone du projet. L’afflux des migrants dans la zone d’aménagement pose un problème de saturation de l’espace agro-sylvo-pastoral dont les capacités de charge sont atteintes voire dépassées.

Les entretiens avec les acteurs politiques ont permis de cerner les capacités locales de gestion de ces afflux massifs de migrants dans la vallée.

DIVERSITÉS D’ACCUEIL

Pour répondre à l’afflux massifs de migrants organisés et/ou spontanés, les approches sont différentes selon le mode d’arrivée. Les migrants organisés sont accueillis et installés par le projet Bagrépole. A cet effet, ils perçoivent un ensemble de commodités au nombre desquels : un site pour construire un habitat, des matériaux de construction, un lopin de terre irriguée et un autre pour des cultures pluviales. Ils perçoivent également des aides alimentaires leur permettant de passer la campagne agricole, dès leur arrivée sur le site. Quant aux autres acteurs, aucun mécanisme n’est mis en place pour leur accueil. Ce sont plutôt les relations sociales qui favorisent et gèrent ces migrations. Les associations de ressortissants d’autres localités à Bagré servent parfois de relais dans l’accueil des migrants, en attendant qu’ils obtiennent l’accord des responsables coutumiers. Après plus de deux décennies de confrontation d’acteurs aux logiques spatiales et migratoires différentes dans les espaces péri-lacustres, le milieu connait des changements exigeant de nouvelles stratégies de résilience

L’AGRO-PASTORALISME : UNE FORMULE D’ADAPTATION

Face à la pression de l’agriculture irriguée et à la recomposition de l’espace pastoral, les activités d’élevage ont été contraintes d’évoluer et de s’adapter. Ainsi, grâce aux nouvelles opportunités alimentaires (paille de maïs et de riz, drèche de tomates et de haricot…) qu’offre l’irrigation pour le bétail, les agriculteurs investissent dans l’élevage (photo1). Deux raisons majeures guident ce choix. D’une part, le bétail constitue une épargne sur pied ; les ressources tirées de la vente du riz y sont réinvesties. D’’autre part, les animaux sont utilisés pour la traction lors des opérations culturales dans la rizière. En plus de moderniser l’exploitation, l’introduction de la traction permet de gagner du temps réutilisable pour d’autres activités.

Quant aux éleveurs, ils s’adonnent à l’agriculture dans les zones pastorales de Tcherbo et de Doubegué, pourtant interdites d’agriculture. D’autres en revanche réajustent leur circuit de transhumance ou quittent la vallée. Confrontés à un espace pastoral qui s’amenuise du fait de la densité d’exploitation, les acteurs de l’élevage réajustent leurs trajectoires pour s’adapter à la nouvelle configuration du paysage agraire. Nombre d’éleveurs migrent vers les zones frontalières de la Côte d’Ivoire et du Ghana pour s’y installer.

NAISSANCE DE NOUVEAUX PARCOURS MIGRATOIRES

Les investissements dans l’irrigation nourrissent, en marge de la lutte contre les effets du changement climatique, le dessein de maintenir les jeunes dans leur terroir. Cet objectif a prévalu pendant la phase pilote du projet Bagré de 1980 à 1994. Avec les premières installations de producteurs rizicoles pour le Grand Bagré, en 1995, cette ambition s’est effritée dès les premières difficultés (attaques parasitaires, problèmes de financement de la campagne, mévente du riz). Les producteurs, les autochtones notamment, ont préféré céder ou revendre leurs parcelles rizicoles pour migrer au Gabon, en Guinée équatoriale et en Italie. En revanche, les migrants installés ont développé des capacités de résilience qui leur ont permis de rester sur le périmètre. Ils tirent profit présentement de l’embellie des prix de vente du riz local.

LES ATOUTS DE LA RECHERCHE PRESA

Le programme de recherche, en s’intéressant aux mécanismes d’accueil des migrants, a mis à nu l’absence de dispositif local pour gérer les questions migratoires dans les communes rurales. Aussi les différents acteurs reconnaissentils la nécessité de décentraliser ces structures au niveau local, au regard des nouvelles arrivées mais aussi des départs vers des destinations au Burkina Faso et à l’extérieur. L’analyse a révélé un accroissement de la conflictualité entre agriculteurs et éleveurs autour de l’accès aux ressources hydrauliques et fourragères dans la zone de Bagré.

La recherche PRESA, en questionnant les acteurs sur les problématiques des milieux péri-lacustres, participe déjà à un éveil des consciences sur les impacts des changements climatiques sur les migrations. L’accroissement des risques climatiques pourrait donc accroitre les problèmes tout en exigeant des réponses plus appropriées. Ces acteurs locaux ont été sollicités pour être des parties prenantes du projet PRESA.

A cet effet, ils participeront aux sessions de restitution des résultats de la recherche. En outre, les acteurs politiques ont été invités à favoriser le contact avec les élus au niveau de l’Assemblée nationale pour une large diffusion, mais aussi pour faire des plaidoyers en vue de l’adoption de lois prenant en compte les questions du changement climatique. Ces plaidoyers viseront aussi à accorder plus d’égards aux migrants climatiques.


Dr. Bassolé Clotaire Pr. Dipama Jean-Marie & Dr. Yameogo Lassane LERMIT Université Ouaga 1 Pr Joseph KI-ZERBO-

Bibliographie

DIAKITE N., 2012, étude du schéma directeur de développement agricole de la zone de concentration de Bagré : composante élevage.

LACOSTE Y., 1984, Unité et diversité du Tiers monde, Paris, La Découverte. MOB, 2012, Elaboration du schéma directeur d’aménagement et de mise en valeur de la zone d’utilité publique de Bagré, Rapport d’étude 2 et 3.

MRA, 2011, Contribution de l’élevage à l’économie et à la lutte contre la pauvreté, les déterminants de son développement, rapport d’étude.

YAMEOGO L., 2015, Le pôle de croissance de Bagré dans la nouvelle projectualité du développement au Burkina Faso, Rivista Geografica Italiana, num. 122, pp. 305-322.