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Crise pétrolière au Nigéria : les agriculteurs de Kaduna s’orientent vers l’agroécologie

La récente baisse des prix du pétrole à travers le monde a engendré des crises économiques dans les pays producteurs. Le Nigeria figure parmi les pays dont l’économie dépend presque uniquement des recettes pétrolières. Par conséquent, en raison de la diminution de celles-ci, plusieurs mesures d’austérité ont été prises par le gouvernement fédéral. Cela a finalement causé quelques difficultés à la population, en particulier celle qui vit en zone urbaine. Toutefois, ces mesures économiques se sont avérées bénéfiques pour certains petits exploitants agricoles dans la ville de Kaduna, au nord du Nigeria. Aujourd’hui, les agriculteurs mettent au point, tout au long de l’année, des produits diversifiés issus de leurs activités agricoles.

Depuis plus d’un siècle, les populations vivant le long de la rivière Kaduna pratiquent l’irrigation. La rivière traverse la ville et se jette dans le fleuve Niger. Les agriculteurs produisent différentes variétés. Cependant, les principales cultures sont les céréales, les légumes et les fruits. La pratique la plus répandue était la monoculture qui permettait aux agriculteurs de cultiver le maïs, les tomates, l’oignon, le chou, etc. Une fois récoltés, ces produits sont acheminés vers les marchés urbains de la ville. Les agriculteurs bénéficient facilement de l’accès au fumier animal. En effet, nombreux sont les nomades peulhs qui campent à la périphérie de la ville. De nombreux petits éleveurs de volaille sont également présents un peu partout dans la ville. Ce sont quelques-unes des raisons pour lesquelles, depuis des décennies, la pratique de l’agriculture urbaine est florissante à Kaduna. Elle est également répandue dans d’autres villes du Nigeria.

Pratique de l’agroécologie

Au cours de ces deux dernières années, les agriculteurs se sont rendu compte de l’importance de l’agroécologie et en ont conclu qu’elle constitue la meilleure forme de pratique agricole. La plupart des tomates cultivées par les agriculteurs dans l’Etat de Kaduna et dans d’autres Etats du Nigeria avaient été détruites par un parasite dévastateur. Le ravageur de cultures a été identifié par l’Institut de Recherche Agricole (IAR) comme étant une mineuse de feuille de tomate (Tuta absoluta). Cependant, certains agriculteurs ont pu s’estimer chanceux que le ravageur n’ait eu qu’un effet minime sur leurs cultures, la tomate n’étant pas l’unique produit agricole cultivé. Les cultures de tomate ont été intercalées entre celles de poivre, d’aubergine africaine, de gombo, etc. Malgré la destruction des tomates par le ravageur des cultures, les agriculteurs ont pu récolter d’autres. Après s’être rendu compte de la chance qu’avaient ceux qui pratiquaient la culture intercalaire, tous les agriculteurs cultivent désormais la tomate en y intercalant d’autres cultures. En d’autres termes, grâce à la plantation de cultures différentes, les agriculteurs sont aujourd’hui des adeptes de la diversification. Il est par ailleurs intéressant de noter que ces cultures sont fertilisées à l’aide d’excréments d’animaux et d’autres déchets disponibles dans la ville. C’est ce qui rend ainsi la pratique de l’agroécologie très appréciée chez les petits exploitants agricoles urbains de la ville de Kaduna.

Selon Adamu Musa, l’un des petits exploitants agricoles de Kaduna, l’agroécologie présente de nombreux avantages. Elle permet aux agriculteurs de cultiver différents types de produits agricoles. Cette variété de cultures leur permet de disposer davantage de produits alimentaires sur le marché. Cette forme d’agriculture permet aussi aux producteurs d’augmenter leurs revenus. Les agriculteurs récoltent et commercialisent leurs produits à différents moments, assurant ainsi la répartition des revenus. Grâce à l’agroécologie, M. Adamu Musa est désormais en mesure d’envoyer ses enfants dans l’une des écoles privées de la ville.

Les agriculteurs ont confirmé disposer d’un sol toujours sain, car toujours protégé par les cultures intercalaires. Le risque d’éclaboussures de pluie a été ainsi réduit au minimum, particulièrement pendant la saison des pluies. L’agroécologie permet également de lutter contre les attaques des cultures par les ravageurs. De nombreux agriculteurs ont déclaré que la pratique de l’agroécologie a entraîné une diminution des ravageurs tels que la noctuelle de la tomate (Helicoverpa armegera). Les agriculteurs bénéficient à présent d’une répartition importante de la clientèle. De nombreuses personnes vont à leur rencontre pour acheter différents produits frais. Les détaillants préfèrent parfois se rendre dans les exploitations urbaines plutôt que rurales. Grâce à l’agroécologie, les familles adoptent désormais un mode de vie plus sain. De nombreux agriculteurs attestent que leurs femmes et leurs enfants sont en meilleure santé grâce à la variété de fruits et légumes récoltés pour leur consommation.

Rôle du gouvernement, des ONG et des groupements d’agriculteurs

La majorité des agriculteurs qui cultivent leurs produits agricoles le long de la rivière se plaignent de la négligence du gouvernement et des organisations non-gouvernementales (ONG). Il est difficile pour eux d’obtenir des intrants tels que les engrais et les pesticides. Bien que le Projet de Développement Agricole de l’Etat de Kaduna (ADP) se déroule dans la municipalité, facilitant ainsi l’accès aux agriculteurs, ces derniers avouent être restés de nombreuses années sans voir un des membres du personnel d’ADP. Ils ont été laissés à eux-mêmes sans bénéficier d’un conseil innovant. Aussi la résolution prise par le gouvernement actuel de relancer l’agriculture comme alternative au pétrole, est un gage d’espoir pour les agriculteurs, comme en atteste déjà la création de coopératives de producteurs. La plupart des ONG orientent également leurs aides vers les agriculteurs ruraux, oubliant que les agriculteurs ne se trouvent pas que dans les zones rurales.

De manière générale, les agriculteurs ont relevé différents défis auxquels l’agroécologie est confrontée le long de la rivière Kaduna. Il s’agit notamment d’une insuffisance des installations de transformation en ce sens que la plupart des produits cultivés par les agriculteurs sont périssables ; ce qui précipite leur pourrissement. Ainsi, les agriculteurs sont généralement contraints de vendre leurs produits rapidement et donc à bas prix.
En outre, on peut noter une absence d’agent de vulgarisation : les agriculteurs sont laissés à eux-mêmes, sans le moindre soutien d’agent technique Leur accès aux techniques agricoles modernes est de ce fait limité. Ensuite, ils sont confrontés à un manque de machines : seule une poignée d’agriculteurs est en mesure d’acheter des machines de pompage destinées à l’irrigation. Par conséquent, certains agriculteurs étaient obligés d’attendre que d’autres aient fini d’utiliser leurs machines afin de pouvoir les emprunter ou les louer. Le temps d’attente peut entraîner le flétrissement de leurs récoltes, entraînant un faible rendement.

Enfin, il y a le débordement de la rivière : certains agriculteurs ont eu la malchance, l’année dernière, de voir la plupart de leurs cultures emportées par le débordement des eaux durant la saison des pluies. Les agriculteurs n’avaient jamais constaté ce phénomène auparavant. Ils ont donc été pris au dépourvu.

La pratique de l’agroécologie a réussi à se faire une place dans les zones frontalières de la rivière Kaduna, capitale nigériane du Nord. La majorité des agriculteurs ont mis en pratique le concept de diversification, permettant à la plupart des populations de sortir de la pauvreté. Il est également intéressant de noter que les personnes à faible revenu qui cultivent le long de la rivière sont désormais en mesure d’envoyer leurs enfants dans des écoles privées de la ville. Cette situation laisse penser que si la pratique de l’agroécologie s’étend aux autres grandes villes du Nigeria, elle contribuera à baisser le niveau de pauvreté chez les petits exploitants agricoles urbains.

Ahmed Inusa Adamu
Professeur au Collège d’Agriculture de Samaru (Université Ahmadu Bello de Zaria, Nigeria)
inusaahmed@gmail.com.