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Des périmètres bocagers pour reverdir le Sahel : l’expérience de la ferme pilote de Guiè au Burkina Faso

La ferme pilote de Guiè au Burkina Faso et l’association AZN qui la porte, peuvent être considérées comme des exemples en matière d’innovation paysanne. Au cours de ses 20 ans d’existence, cette ferme a servi de cadre d’expérimentation de nombreux concepts d’aménagement rural alliant production agricole et protection de l’environnement. Le bocage sahélien et les techniques agricoles mises en pratique en son sein font chaque jour davantage leurs preuves contre l’avancée du désert. Le projet essaime puisque aujourd’hui deux autres fermes pilotes, dans le centre-est et le nord du pays, vulgarisent également des moyens de restaurer les sols et des techniques agro-sylvo-pastorales respectueuses du milieu.

Dans la zone sahélienne, la rigueur des conditions climatiques rend l’activité agricole très difficile. Surpâturage, déboisement, ravinement, rayons solaires intensifs sur un sol nu se sont ligués avec la sécheresse permanente pour rendre la productivité agricole aléatoire. Les rendements sont constamment en baisse et les populations restent des proies faciles pour la famine, la malnutrition, etc.

La situation est alarmante mais pas désespérée car des solutions existent. Afin de restaurer les sols et d’aller à l’encontre de « la fatalité », la ferme pilote de Guiè, située à 60 km au nord de Ouagadougou, dans la région du plateau central du Burkina Faso, met en œuvre des aménagements ruraux respectueux et réparateurs de l’environnement.

Son initiateur Henri Girard explique que cette terre, considérée comme ingrate et maudite, autant par ses habitants que par le reste du monde, est pleine de ressources et de richesses. M. Girard se dit fier et heureux de participer à cette réconciliation de l’homme avec son environnement et pourquoi pas à une reconquête du désert.

Une des réponses apportées par la ferme de Guiè est la création d’un bocage sahélien, « wégoubri » en langue moré. Selon les explications du responsable de la cellule des Aménagements Fonciers à Guiè Seydou Kaboré, « le bocage peut être défini comme un paysage rural de prairies et/ou de champs entourés de haies vives et de bois. C’est un milieu équilibré créé par l’homme où il associe l’arbre, la culture, l’élevage et où l’Homme et la Nature vivent en harmonie. La particularité du bocage sahélien est de garder l’eau là où elle tombe par des aménagements de diguettes, de mares et de haies vives, afin d’atténuer l’action érosive des eaux de la mousson et de maintenir la biodiversité d’un milieu extrêmement fragile. »

La création de haies vives autour des cultures et des prairies a plusieurs utilités. Elles permettent, en premier lieu, de replanter les arbres qui ont été arrachés en plein champ. Elles sont aussi un espace de vie pour la faune, retiennent l’humidité et facilitent l’infiltration de l’eau, luttant ainsi efficacement contre l’érosion des sols. Dans une zone où les vents peuvent être très violents et abîmer les cultures, les haies agissent comme des barrières naturelles et des brise-vents. Ainsi, des centaines de milliers d’arbres ont déjà été plantés ou semés depuis 20 ans. Les plants pour les différents aménagements (bords de routes, haies) proviennent de la pépinière de la ferme. Cela permet aussi de faire revivre certaines espèces locales en voie de disparition du fait de la déforestation. Le bois est également utilisé pour les constructions ou pour la cuisine. Aujourd’hui, plus de 730 hectares de périmètre bocager ont déjà été aménagés sur l’ensemble des trois fermes pilotes de Guiè, Filly et Goèma.

Une agriculture durable

Le bocage sahélien est un système qui s’accompagne de pratiques culturales très élaborées. L’une de ces pratiques est le Zaï, une technique traditionnelle de culture de la région nord-ouest du Burkina Faso, le Yatenga. Elle consiste à creuser un trou dans le sol avant d’y semer la graine. La cuvette ainsi formée autour du plant permet de garder l’humidité et de lui fournir de l’eau en l’absence de pluie. A Guiè, cette pratique a été enrichie. « Nous creusons des entonnoirs plus grands pour y rajouter un peu de compost bien mûr afin d’aider la plante à se développer », explique Benjamin, le responsable des champs expérimentaux de la ferme. Grâce à cette technique, il n’est plus nécessaire de labourer tout le champ. Les paysans peuvent préparer les trous en saison sèche et semer à la saison des pluies. Ensuite, le travail d’entretien se limite à un sarclage localisé, c’est à dire à désherber au pied de chaque plant. « Le Zaï permet de multiplier les rendements par trois, de les sécuriser et de réduire la dépendance aux aléas climatiques », indique Henri Girard.

Cela étant, le zaï est associé à d’autres pratiques afin d’instaurer une agriculture durable dans cette zone sahélienne. La rotation des cultures permet d’éviter l’épuisement du sol et l’invasion des parasites et adventices liés à une culture donnée. De plus, elle permet de sortir de l’agriculture sur brûlis devenue impossible du fait de l’augmentation de la population et de la raréfaction des terres. Mais la rotation des cultures va de pair avec la jachère. C’est à dire, un temps de réparation du sol, où on laisse la végétation s’installer spontanément. Les plantes qui vont se développer sont celles capables de résoudre les carences du sol. Les techniciens de la ferme de Guiè recommandent la jachère pâturée. Le passage du bétail et la fumure qu’il dépose sur place redonne à la terre les éléments nutritifs dont elle a besoin pour être plus productive. Les jachères sont délimitées par une clôture électrique solaire.

Élevage et culture : deux entités complémentaires

Le bétail trouve sa place dans cet équilibre du bocage sahélien. Afin d’éviter le surpâturage et le « broutage » des jeunes arbres par les troupeaux, ceux-ci paissent toujours sous la garde d’un berger ou dans des pâturages clos. De plus, le bocage préserve les cultures des animaux. En effet, la divagation permanente du bétail, comme c’est l’usage traditionnellement, ne permet pas à la végétation de se régénérer. Il est possible de limiter l’action destructrice d’un élevage extensif en délimitant des zones dédiées à l’élevage qui prennent en compte le nombre d’animaux à l’hectare. Afin de garantir une nourriture de qualité toute l’année, la ferme de Guiè stocke le fourrage (foin et ensilage). Ainsi, le bétail en meilleure santé a une meilleure productivité et il est une entité complémentaire aux cultures. Par exemple, le nettoyage de la jachère par le troupeau permet d’éviter l’écobuage. La nuit, le bétail dort dans un parc, ce qui permet de récupérer le fumier qui servira pour le compost. Celui-ci est aussi fabriqué à partir des déchets verts. En effet, lors d’opérations de débroussaillage et d’entretien des haies, les végétaux sont broyés et compostés. Seydou Kaboré donne un autre exemple de la complémentarité entre élevage et culture. « Nous pratiquons le déprimage des céréales, notamment avec le mil. En juillet, donc avant la montaison, les animaux pâturent les céréales en herbe. Cette pratique apporte une ressource en fourrage et favorise le tallage de la céréale. »

Récupération des eaux de pluie

Dans cette zone sahélienne où il ne pleut que durant cinq mois, de juin à octobre, les précipitations peuvent être diluviennes. Elles ravinent le sol et ne s’infiltrent pas. Depuis quelques années, les pluies se raréfient et cela entraine de mauvaises récoltes. À Guiè, la construction de diguettes et de mares permet de récupérer l’eau de pluie et d’utiliser l’excédent pour abreuver le bétail, garder l’humidité... Ainsi, dans le point bas de chaque champ est creusée une mare qui récolte le surplus d’eau de pluie. La concentration de l’eau au niveau de ces mares permet à celle-ci de s’infiltrer lentement vers les nappes phréatiques. Des digues plus hautes sont également bâties pour protéger les routes, les cultures et amener l’eau dans des bassins plus grands, où les réserves subsistent toute l’année (ou presque).

Des résultats encourageants

L’adoption de ces pratiques, permet une amélioration de la structure du sol dans le temps et l’assurance d’une récolte minimale satisfaisante les années sèches. Cela se traduit par une reprise de confiance des paysans, une reconquête des terrains abandonnés et par une augmentation progressive des rendements. Il est difficile d’avoir une idée chiffrée de l’augmentation des récoltes auprès des paysans qui adoptent (en partie ou complètement) ces pratiques. Cependant, AZN a mesuré les résultats obtenus dans ses propres champs expérimentaux. Ainsi, elle constate une relative stabilité des récoltes entre 2006 et 2011 avec une moyenne annuelle de 2 673 kg/ha. Avec en particulier pour l’année 2011 une augmentation des rendements par rapport aux autres agriculteurs de la région. A Guiè la saison 2011 s’est caractérisée par des pluies satisfaisantes en quantité mais avec une répartition inégale dans le temps. Pourtant en 2011 sur les champs expérimentaux de la ferme pilote 2667 kg/ha de sorgho ont été récolté en moyenne et 2020 kg/ha de mil, contre 2515 kg/ha et 1483 kg/ha en 2010.

D’autre part, il est possible de comparer les rendements entre les champs zaï et ceux cultivés de manière traditionnelle. En 2009, 2010 et 2011, les gagnants des lauréats du concours agricole Ruralies obtiennent en moyenne des rendements trois fois supérieurs à ceux des paysans qui utilisent les méthodes culturales « classiques ». Sawadogo Waongo agriculteur à Guiè témoigne de son expérience. Depuis qu’il a adopté le zaï, il lui reste du mil dans son grenier d’une année à l’autre. Grâce à cette pratique, il ne craint plus les longues périodes de soudure où il fallait dépenser des sommes colossales pour acheter du mil afin de subvenir aux besoins alimentaires de la famille. Au contraire, il peut même vendre le surplus non consommé de sa récolte pour améliorer sa santé financière.

Animation et transmission

La vocation des trois fermes pilotes est non seulement de mettre en place ces aménagements, mais aussi de les diffuser et d’accompagner les agriculteurs volontaires. En effet, ces fermes rassemblent 12 villages et permettent aujourd’hui à 9 groupements fonciers sur une surface totale de près de 800 hectare, de bénéficier d’un accompagnement dans l’adoption de nouvelles pratiques. Cependant les fermes de Filly et Goèma peuvent aussi intervenir dans d’autres villages environnants.

A Guiè, les habitants des villages alentours se rassemblent petit à petit pour regrouper leurs parcelles et les transformer en périmètres bocagers. Au sein de l’équipe d’AZN une section animation est chargée de mener des enquêtes en vue de remettre des primes d’excellence. Quatre équipes parcourent pendant le mois de juillet les différents périmètres bocagers, elles notent le travail réalisé par les agriculteurs dans leurs champs (plantation de haies vives, des arbres d’axe de champ et de bord de mare, rotation culturale, etc.) Les équipes profitent de cette occasion pour donner des conseils et pour mieux expliquer le bien-fondé des différentes techniques préconisées par la ferme. Afin d’encourager les paysans, la ferme de Guiè organise chaque année un concours, « Les Ruralies » qui récompense les plus beaux champs zaï et les meilleures réalisations bocagères.

Estelle Millou

Journaliste

estelmi@hotmail.com

Sources : http://eauterreverdure.org/ ; http://www.azn-guie-burkina.org/les-films-de-l’azn