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Développement rural et agricole communautaire dans le Nord du Nigéria : les Innovations institutionnelles du CBARDP
L’objectif général du Programme de développement rural et agricole communautaire appuyé par le FIDA (FIDA-CBARDP) consiste à améliorer les moyens de subsistance et les conditions de vie des populations démunies en milieu rural en privilégiant les femmes et autres couches vulnérables. Le CBARDP a couvert 69 LGA (secteurs administratifs locaux)/207 communautés à travers les sept États participants de Borno, de Jigawa, de Katsina, de Kebbi, de Sokoto, de Yobe et de Zamfara du Nigeria dans les différentes zones agro-climatiques du Nord-Ouest et du Nord-Est du Nigeria. En raison de l’appropriation du programme par les États participants, plus de 80 LGA et 300 zones villageoises sont couvertes. D’après les estimations, le nombre de bénéficiaires cibles s’est élevé à 400 000 ménages ruraux (soit 3 millions de bénéficiaires individuels). Si l’on intègre les zones où les États respectifs ont élargi la modalité du Programme à sa période de mise en œuvre, le CBARDP a, selon les statistiques, directement et indirectement bénéficié à 720 000 ménages ruraux (soit 5,5 millions de bénéficiaires individuels).
Le CBARDP a introduit un éventail d’innovations allant des processus des boutiques d’intrants agricoles rurales (RUFIS), des associations de services financiers (FSA) aux pratiques dans la gestion, l’exploitation et l’entretien des associations de développement communautaire (CDA). Les innovations les plus marquantes sont les suivantes :
• Approche des associations de développement communautaire et du développement impulsé par la communauté
Dans les communautés souffrant par le passé de l’absence d’un groupe fonctionnel pour le développement, la cohésion et la transparence entre les différents membres de la communauté étaient quasi inexistantes. Les femmes étaient écartées du processus décisionnel au niveau communautaire.
Récemment, à travers les CDA, un processus décisionnel participatif intégrant les femmes a été lancé au niveau communautaire pour la planification, la mise en œuvre et le suivi des activités. L’un des enseignements à tirer de la mise en œuvre est que la participation communautaire au développement nécessite une institution principale bien structurée comme la CDA pour promouvoir le capital social, instaurer la confiance et la transparence entre les membres des différents groupes et garantir la représentation des femmes dans les comités de la CDA afin qu’elles puissent exprimer leur priorités.
La mise en œuvre a également permis de prendre conscience de l’utilité des plans d’action communautaire (CAP) pour les communautés rurales dans l’identification, la hiérarchisation et l’exécution des projets de développement. Toutefois, il est nécessaire de renforcer les CDA et de créer des comités d’entretien au sein des communautés pour garantir l’entretien et la pérennité des différentes infrastructures même après le retrait du CBARDP.
• Associations de services financiers (FSA)
L’accès au crédit s’avère difficile. Par conséquent, en cas de besoin, les gens empruntent à des amis et à des parents, aux prêteurs d’argent (à des taux d’intérêt élevés allant jusqu’à 50 %) dans les zones villageoises. Les incohérences des conditions de prêt, telles que la demande de garantie, ainsi que les réalités socioculturelle et le niveau scolaire faible, voire inexistante, des agriculteurs ne permettent pas à ces derniers de comprendre les conditions de prêt ni de savoir comment s’y prendre avec les institutions financières.
Les FSA appuyées par le CBARDP permettent actuellement à leurs membres d’accéder à un crédit abordable en temps opportun et ont supprimé les exigences de garantie. Même si le modèle FSA est perfectible, l’on a constaté que la sensibilisation continue et résolue, la prise de conscience, un manuel d’utilisation simplifié (traduit en langue locale), des formations (y compris des visites d’étude) et l’inculcation d’un sentiment d’appropriation des FSA par leurs membres ont contribué à l’efficacité des associations de services financiers.
Le processus simple de demande de crédit pour garantir la participation de tous constitue un autre enseignement à tirer. Il convient toutefois de noter le financement limité de la production agricole, car plus de 90 % du crédit financier devait financer le petit commerce et les produits non agricoles. L’on a également relevé que les montants des prêts n’étaient pas suffisamment élevés pour sortir les gens de la pauvreté de façon durable. À moins de prendre des mesures délibérées pour injecter du capital dans les FSA et lever la limite du nombre d’entreprises à financer, augmenter les montants des prêts et allonger la durée de remboursement, les fonds prêtables continueront d’échapper aux agriculteurs communautaires.
• Renforcement de la productivité des cultures
Avant les interventions du CBARDP, les agriculteurs s’adonnaient à de mauvaises pratiques agronomiques en utilisant principalement des variétés locales et des intrants inappropriés. La production des principales cultures, notamment le mil, le riz, le sorgho, le maïs, l’arachide et le dolique (niébé) était donc la plupart du temps destinée à leur subsistance. Grâce au CBARDP, la productivité des grandes cultures s’est accrue.
À cela s’ajoutent l’utilisation des semences de variétés améliorées, l’amélioration des pratiques agronomiques, notamment l’application appropriée des engrais (placement latéral du compost dans certains endroits) et la pratique adéquate du désherbage. Cela dit, les résultats auraient été meilleurs si le programme avait noué des liens plus solides pour renforcer l’accès au marché et la qualité de la vulgarisation. Il s’avère donc nécessaire de se concentrer sur les chaînes de valeur prioritaires et de former des associations de producteurs pour augmenter la marge des agriculteurs du programme.
Les actions qui se sont avérées efficaces sont l’introduction et la distribution de semences, l’irrigation, suivies de la formation sur l’utilisation de variétés améliorées et l’utilisation des engrais. L’utilisation d’engrais chimiques dans les zones villageoises du programme reste encore très en deçà des pratiques recommandées et l’agriculture bio dans ces zones est limitée, quoique potentiellement viable. Parmi les autres enseignements à tirer, il convient de noter la nécessité d’intégrer les actions de vulgarisation privées dans la mise en œuvre, l’incorporation de messages de vulgarisation appropriés concernant la population des plantes, la méthode d’application des engrais et la fréquence de désherbage, la nécessité d’une collaboration entre les instituts de recherche (IAR, Institut de recherche du lac Tchad et ICRISAT).
L’on a également appris que l’adoption des meilleures pratiques est plus rapide et a donc eu plus d’impact avec des visites d’étude et des journées sur le terrain. Le changement d’attitude est progressif, d’autant plus qu’elle implique des agriculteurs locaux peu instruits et aux ressources limitées.
• Production de semences communautaires
Dans la plupart des communautés, ce sont des semences locales qui sont utilisées et l’accès à des semences améliorées et de qualité fait défaut. Dans un certain nombre d’États, comme l’État de Yobe, la production de semences communautaire s’est révélée être une solution viable pour faire parvenir les semences aux communautés locales.
Cependant, les groupes cibles ont la possibilité d’améliorer la qualité de la production des semences communautaires car leur modèle n’a été testé avec succès que dans l’État de Yobe. Il est nécessaire de renforcer les compétences techniques du personnel du programme au niveau SSO et CDDT sur la production de semences et la mise à disposition d’unités de manutention et de conditionnement de semences au niveau des producteurs pour renforcer la qualité et le revenu des producteurs de semences.
• Clinique para vétérinaire
La clinique para vétérinaire, dispositif de services de santé animale lancée en 2005 pour les communautés bénéficiaires du programme, est destinée à offrir un accès rapide aux premiers soins pour le bétail, ainsi qu’à gérer et à traiter des maladies animales mineures au sein des communautés.
En outre, la clinique prend en charge et offre des services de vaccination complémentaires dans les communautés. Ces actions permettent de réduire considérablement la mortalité du bétail, d’améliorer la production/productivité et de renforcer les rendements économiques pour les éleveurs dans les communautés du FIDA.
La clinique compte des médicaments généraux et courants tels que les vermifuges, les antibactériens, les multivitamines et les antiseptiques. Les autres articles de la clinique sont composés de blocs de sel, de son et d’autres aliments de bétail.
La clinique est gérée par un personnel habilité et formé (des jeunes) en matière d’élevage. Ce personnel est également en contact avec les agents de santé animale des autorités locales qui leur apportent un appui technique. Le gérant de la clinique para vétérinaire reçoit également des formations périodiques et participe à des formations de remise à niveau à l’intérieur et à l’extérieur de sa collectivité locale.
Le gérant est cependant étroitement surveillé par les comités de mise en œuvre pertinents de l’Association de développement communautaire (comités S&E et agricoles) pour à la fois satisfaire les besoins en santé animale de la communauté et entretenir la clinique à des prix abordables pour les bénéficiaires, mais selon des modalités rentables.
Le gérant est également formé à la tenue de registres pour consigner les ventes, le nombre d’animaux traités et le nombre de personnes ayant bénéficié des services.
Jusqu’ici, les cliniques para vétérinaires ont atteints leurs objectifs dans la plupart des communautés où elles sont implantées. L’on doit en créer davantage en raison de leur importance vitale pour le développement du secteur de l’élevage dans les communautés participantes.
• Accès aux intrants agricoles par le biais des RUFIS
L’intervention du programme dans l’accès aux intrants a eu lieu dans les zones d’implantation des boutiques d’intrants agricoles (RUFIS). Les RUFIS sont exploitées comme une entreprise par les bénéficiaires et par zone villageoise. Chaque propriétaire de RUFIS a été choisi par la communauté, formé aux produits et à la manutention et a bénéficié d’une aide semences pour acheter des intrants sur la base du recouvrement intégral des coûts par paiements échelonnés.
Les RUFIS étaient reliées aux fournisseurs d’intrants publics (Conseil national des semences et sociétés nationales d’approvisionnement en semences) et aux distributeurs d’intrants agricoles privés (Notore, Afri-Agro, Golden Fertilizer, Tak, Inganchi Seeds, Premier Seeds, Maslaha, Seed Project, etc.) pour l’approvisionnement en engrais et en produits agrochimiques.
Le principal impact des boutiques d’intrants communautaires est d’avoir permis aux agriculteurs ruraux d’accéder facilement à des intrants de haute qualité en petites unités, ce qui rend ces dernières abordables. Cette innovation a également poussé davantage les distributeurs d’intrants à commencer à conditionner les engrais en petites unités abordables pour les agriculteurs ruraux. Les boutiques sont également devenues des entreprises viables pour ceux qui ont abandonné l’école.
L’étude d’impact a enregistré un total de 165 transactions des boutiques d’intrants à travers les États où le programme est implanté. Le nombre de boutiques d’intrants agricoles établies a dépassé l’objectif de 150 %. Notore, un opérateur privé clé, fournit des engrais en petits conditionnements de 10 kg, format très populaire parmi les agriculteurs à faible revenu. Les États de Katsina et Kebbi caracolent en tête de la liste, 96 % des personnes interrogées utilisant des engrais chimiques. Ils sont suivis par l’État de Zamfara avec 86 %, de Borno avec 77 % et de Yobe avec 66 %. Les rendements auraient augmenté, entraînant donc la hausse des revenus des ménages, et la sécurité alimentaire se serait renforcée.
• Version modifiée des champs-écoles (FFS) et vulgarisation de l’équipe de développement impulsé par la communauté (CDDT)
Dans les États du Nord, même si les capacités varient à des degrés divers, celles des services de vulgarisation restent limitées, tandis que la sensibilisation est faible et les messages tributaires de l’offre.
En outre ces services manquent de fonds pour les déplacements et la logistique. Ces problèmes sont aggravés par la faible scolarisation des agriculteurs. Le modèle de champs-école modifié du CBARDP a favorisé la diffusion des technologies, tandis que les responsables agricoles de la CDDT et les spécialistes de divers secteurs basés au niveau de l’administration locale ont animé des formations techniques ciblées et des activités sur mesure visant à faire adopter de meilleures pratiques agronomiques pour la production agricole chez les agriculteurs cibles des zones du programme.
Les enseignements à tirer comprennent entre autres la limitation de la taille du champ-école pour le rendre gérable afin que les compétences nécessaires puissent être dispensées avec efficacité. Dans ce cadre, les membres de la communauté, à savoir les CDDT/SMS, sont bien placés pour comprendre les priorités des communautés et fournir des services axés sur la demande.
• Irrigation et production agricole en saison sèche
Dans les endroits où l’eau souterraine n’était autrefois pas suffisamment exploitée et utilisée à des fins d’irrigation et où l’agriculture en saison sèche n’était pas pratiquée, le CBARDP a encouragé des technologies simples et rentables, telles que les puits tubulaires ou forages à injection d’eau, les pompes à eau et les dispositifs solaire de levage d’eau qui ont permis aux agriculteurs d’extraire l’eau souterraine des plaines inondables pour l’irrigation.
Grâce à l’irrigation, les cultures de saison sèche (oignon, poivron, tomate, pastèque et légumes à feuilles) et d’autres cultures ont été rendues possibles. L’implication des agriculteurs, surtout les jeunes et les femmes, tout au long de la saison et la création de revenus familiaux supplémentaires se sont traduites par l’amélioration de l’apport nutritionnel des ménages, l’existence d’une source de revenus pendant la saison sèche et la promotion de l’emploi des jeunes.
L’enseignement à tirer est que l’agriculture en saison sèche constitue un moyen d’exploiter les périodes d’inactivité des agriculteurs et d’accroître les revenus de ces derniers.
• Entreprises de transformation de produits agricoles
En général, la transformation mécanisée dans les zones villageoises est insuffisante et, le plus souvent, elle se fait manuellement. Lorsqu’il existe un avantage comparatif dans la production de matières premières, la propriété individuelle d’entreprises artisanales et de transformation agricole comme l’extraction de l’huile d’arachide, la production de farine de maïs, l’usinage du riz et la fabrication de pain contribue à ajouter de la valeur aux produits locaux destinés à la vente.
Les entreprises ont de riches enseignements à tirer de cette réalité, notamment une meilleure gestion, des liens solides avec les producteurs, l’accès sans problème aux matières premières, l’impact clair au niveau des ménages, etc. La vérité est que même si l’approche des groupes doit être maintenue pour faciliter l’accès aux services, la propriété d’entreprises génératrices de revenus doit être une affaire individuelle. L’entrepreneur sera certes encouragé à former des groupements pour tirer parti des économies d’échelle afin d’accéder aux services, y compris influencer les politiques, mais la propriété d’entreprises doit être exclue.
• Compléments alimentaires
La malnutrition est un problème répandu chez les enfants, les femmes enceintes et allaitantes dans les villages ciblés par le programme. Le programme a contribué à renforcer l’état nutritionnel des enfants, des femmes enceintes et mères allaitantes dans les villages du programme par le biais de compléments alimentaires, qui sont des aliments fortifiés.
L’utilisation des ressources alimentaires locales (mil, soja, arachide, sucre) trouvées dans les Nutripacks communautaires a été l’œuvre de groupements féminins. Il existe un marché pour les aliments nutritifs et enrichis sous forme de Nutripacks qui offre aux femmes des opportunités commerciales pour la production et la vente. La commercialisation de l’alimentation s’avère nécessaire pour la rendre facilement disponible et abordable comme les autres aliments pour bébés dans les marchés.
• Accoucheuses traditionnelles (AT)
Des taux élevés de mortalité maternelle et infantile ont été relevés dans tous les États participants. Les femmes accouchaient sous l’assistance de matrones formées à la manière traditionnelle, des femmes âgées la plupart du temps. Les accoucheuses traditionnelles opérant dans les communautés ont reçu une formation, des trousses et ont été enregistrées.
Désormais, les jeunes AT collaborent avec les plus âgées pour réaliser des accouchements sans risque dans les villages, ainsi que pour promouvoir l’hygiène personnelle des femmes. Grâce à cette synergie entre les anciennes et les nouvelles AT, les villages du programme sont assurés d’avoir à leur disposition des femmes plus jeunes à même de continuer à fournir les services. Le réapprovisionnement des trousses peut continuer dans la durée grâce aux paiements effectués par les pères de famille dès l’accouchement. Les taux de mortalité maternelle et infantile ont respectivement diminué de 60 % et de 55 % dans les zones villageoises du programme.
Par Nura Lawal Daura
Agricultural officer IFAD-CBARDP/Nigeria