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Editorial
Vulgarisation, conseil agricole et sécurité alimentaire
L’explosion démographique, qui induit des besoins alimentaires de plus en plus
importants, et le changement climatique, qui dérègle les systèmes de production, ont rendu le défi d’une sécurité alimentaire durable encore plus difficile à relever pour beaucoup de pays. Avec une population mondiale qui dépasse, aujourd’hui, les 7 milliards d’habitants et qui risque de grimper, dans les quatre décennies à venir, à près de 9 milliards, l’agriculture ne saurait soutenir plus longtemps une hausse continue de la demande alimentaire mondiale, à moins qu’un réajustement des systèmes de production soit opéré de façon régulière avec le développement et la mise à la disposition des agriculteurs de moyens, de connaissances et de nouveaux systèmes d’organisation pouvant leur permettre d’atteindre des niveaux de productivité et de production de plus en plus importants. Il faut aussi s’assurer que les moyens techniques utilisés n’engendrent pas une dégradation irréversible des écosystèmes naturelles réceptacles de la production agricole, pour asseoir une sécurité alimentaire durable.
L’agriculture familiale, base de la survie de 50 à 80% des populations vivant dans les pays en développement où l’accroissement démographique est le plus marqué, a besoin de se réajuster pour s’adapter à l’évolution constante de la demande en produits alimentaires. Mais, le rôle important joué par les services de conseil et de vulgarisation agricoles donne des raisons d’espérer que l’agriculture familiale pourrait contribuer de manière plus efficiente à la sécurité alimentaire si elle est mieux encadrée. En effet, les conseillers et vulgarisateurs agricoles assurent le rôle de courroies de transmission des résultats de la recherche et assurent le lien entre chercheurs, agriculteurs et communautés, permettant ainsi la diffusion et la mise à l’échelle des connaissances scientifiques, des informations utiles aux producteurs et des technologies les plus innovantes susceptibles de contribuer à l’amélioration de la productivité et de la production.
La vulgarisation et le conseil agricoles permettent aux paysans de prendre en charge de manière plus efficiente, leurs besoins d’approvisionnement en intrants de toutes sortes, en équipement, en transformation et commercialisation des produits agricoles. De façon générale, ils permettent de
lutter contre la pauvreté en créant les conditions d’amélioration des revenus et des conditions de vie des paysans.
Le conseil et la vulgarisation agricole valorisent, par ailleurs, les savoirs et savoirs faire locaux en mettant les communautés au cœur du dispositif de
conseil. Les technologies suggérées pour renforcer la productivité sont, le plus souvent, conçues par les communautés elles mêmes.
Promouvoir l’innovation pour vaincre la pauvreté
Faciliter l’accès à l’innovation est un gage de performance pour les exploitants familiaux.
Dans ce cadre, les communautés locales sont dépositaires d’un savoir et d’un savoir faire insoupçonnés dont la valorisation pourrait permettre de trouver des réponses aux défis de la production.
Pour aider les agriculteurs de la région de Mopti, au Mali, des ONGs ont organisé une visite d’échange d’expériences qui a amené les producteurs du
cercle de Tominian à découvrir les vertus de la Régénération naturelle assistée (RNA) chez leurs homologues du cercle de Bankass. Depuis plus d’une décennie, ces paysans développent cette technique agro-écologique qui leur a permis de régénérer les sols dans leurs parcelles de culture,
d’accroître leurs productions et de reverdir leur terroir.
Durant cette visite, les échanges d’expériences ont permis aux paysans de Tominian de comprendre la pertinence d’un tel système. De retour dans
leurs villages respectifs, les paysans ont partagé ce qu’ils ont vu à Bankass. C’est ainsi qu’en peu de temps, la diffusion de la méthode de la RNA s’est faite comme une trainée de poudre. Un des facteurs de succès de cette visite a été l’implication des femmes qui ont joué un rôle non négligeable
dans la dissémination de la RNA.
Intervenant toujours au Mali, l’association SAA/SG 2000, s’est distinguée dans l’appui qu’elle apporte aux agriculteurs pour faciliter l’accès à des équipements et aux matériels agricoles. Elle part des résultats de la recherche pour vulgariser des technologies prometteuses en vue d’améliorer la productivité et la production des petits producteurs (semences améliorées, engrais, produits
phytosanitaires, bonnes pratiques agronomiques).
L’intervention de SAA/SG 2000 est basée sur le principe des plateformes d’apprentissage depuis les champs de production jusqu’aux opérations
post-récolte et d’amélioration de la qualité des produits destinés à la consommation et à la commercialisation.
Les actions de l’association ont permis à plus de 30.000 petits producteurs des Régions de Koulikoro Mopti, Ségou et Sikasso d’améliorer leurs productivités et leur production et ainsi d’assurer leur sécurité alimentaire et d’améliorer leurs
conditions de vie.
Au Sénégal, l’ANCAR a apporté un appui conseil important aux riziculteurs de la région de Ziguinchor confrontés depuis quelques années à un problème de salinisation qui compromet la culture du riz. L’ANCAR a procédé à un criblage
des technologies de lutte anti-sel produites par la recherche et sur la base de déterminants d’acceptabilité socioculturelle, de pertinence scientifique, d’efficacité technique, de viabilité économique et de durabilité écologique, elle a
accompagné les riziculteurs dans la valorisation des technologies suivantes : la digue anti-sel ; le chaulage et le phosphatage ; le paillage/mulching ; et la pépinière volante de vétiver pour la bio-ingénierie.
Renforcer l’autonomie des agriculteurs par le biais de la formation
Le renforcement des capacités des producteurs et de leurs organisations à les diffuser à grande échelle permet la transition des systèmes de production inefficaces vers des systèmes plus durables et plus productifs. Dans le nord du Burkina Faso, les producteurs des communes de Gayeri et de Bilanga et certains de leurs partenaires ont interpellé l’Association Nourrir Sans Détruire
(ANSD), une structure d’appui focalisée sur la promotion des technologies agro-écologiques, pour les aider à trouver des solutions appropriées
à la dégradation avancées de leurs ressources naturelles et à la baisse de la productivité agricole.
En réponse aux sollicitations des producteurs et productrices, l’ANSD, en partenariat avec les services techniques agricoles de l’État et les ONG partenaires locaux ont organisé une rencontre avec les représentants des villages pour approfondir l’analyse de la situation, convenir des
solutions à appliquer et élaborer un plan d’action.
A l’issue de cette rencontre entre ces différents acteurs, il a été convenu d’un plan de formation des formateurs qui permet de mettre à la disposition de l’ensemble des villages des personnes compétentes pour assurer la formation
de leurs pairs dans la promotion et la conduite des
technologies agro-écologiques.
Renforcer le rôle des femmes
Les femmes constituent d’excellents vecteurs d’informations en partageant des messages importants à d’autres membres de la communauté.
Ce rôle important des femmes s’est illustré dans le cadre de la lutte, contre les pesticides, engagée dans le Nord du Ghana. Avec le support de CIKOD, une ONG locale, elles ont lancé une initiative contre l’usage des pesticides dont la forte concentration dans les aliments peut être source de maladie voire causer la mort. Cette campagne appelée ‘Nous sommes la solution’, a consisté à
organiser une foire alimentaire pour promouvoir les qualités nutritives des produits biologiques locaux mais aussi partager des histoires avec les
autres membres de la communauté (famille et amis) à propos des effets négatifs de l’usage des pesticides.
Cette campagne menée par les femmes a contribué à la diffusion des pratiques qui n’utilisent pas de produits chimiques. Dans le village de
Kunyukuo et Tongo, par exemple, les femmes n’étendent plus de pesticides. Elles ramassent les excréments d’animaux et les utilisent comme insecticide et comme engrais biologique pour leurs cultures.
Dans le centre ouest du Burkina Faso, les pesanteurs sociales font que les femmes, pourtant jouant un rôle important dans la production agricole, sont les laissées pour compte dans la distribution des terres. Dans la commune rurale de Cassou par exemple tout le patrimoine foncier est géré par les hommes. Mais depuis l’adoption de la loi sur le foncier rural en juin 2009, un dialogue
social très innovant a été engagé au sein de la commune pour ouvrir la propriété foncière aux femmes. Des causeries débats et des animations
impliquant l’ensemble des acteurs ont permis de sensibiliser les hommes sur l’importance de renforcer l’autonomie foncière des femmes. Suite à ces débats, de nombreux propriétaires fonciers ont accepté de concéder une partie de leurs terres à leurs femmes.
Promouvoir la souveraineté alimentaire à travers la valorisation des produits locaux
Afin de favoriser la production de vivres pour nourrir les familles, améliorer la diversité des productions agricoles pour la nutrition et réduire les risques causés par les changements climatiques, le Center for Indigenous Knowledge
and Organisational Development (CIKOD) du Ghana a organisé une foire des mets traditionnels en juin 2011 dans le district de Lawra. Plus de trois
cents (300) femmes agricultrices et des centaines d’hommes et d’enfants des zones traditionnelles de Lawra et Nandom dans la région Upper West
ont participé à l’exposition des aliments et des semences locales.
La foire a eu pour résultat de renouveler la popularité des mets traditionnels, tout spécialement le tubani, qui étaient autrefois méprisés tout particulièrement par les jeunes.
Le directeur du ministère de l’Alimentation et de l’Agriculture, séduit par cette initiative, a invité les acteurs à renouveler de telles initiatives qui participent de manière efficace à la promotion des produits alimentaires locaux.
Au Cameroun, les chèvres constituent une richesse encore peu exploitée. Le « Projet chèvres Cameroun » a mis en place une plateforme d’innovation regroupant des acteurs clés des différents maillons de la filière à travers le
Cameroun, à savoir le gouvernement, les institutions de formation et de recherche agricoles, les organisations d’éleveurs de chèvres, les ONGs,
les commerçants, les restaurateurs, les institutions de micro-finance et le monde des médias, dont l’objectif est d’encourager et de structurer l’appropriation et le transfert de savoirs pour le développement de la production caprine locale.
Le but du projet est la réduction de la pauvreté en milieu rural par l’élevage des espèces locales.
Toujours, au Cameroun, un programme de recherche-action basé à l’Université de Dschang essaie de promouvoir la consommation des petits
cobayes afin de booster l’élevage caviacole et contribuer au développement de cette filière aux potentiels énormes.
Pour atteindre le plus grand nombre de consommateurs sur le plan géographique et les sensibiliser sur les qualités nutritives des ces petits animaux, le programme a mis en place une plateforme multi-acteurs et a impliqué les médias.
Des émissions radio et des documentaires TV ont été diffusées, dont certaines dans les langues nationales. Des entrepreneurs de différentes échelles se sont mis au jeu explorant d’autres possibilités d’investissement inattendues. Les
messages de vulgarisation diffusés par les mass-media mettent en exergue les atouts de production et les possibilités de transformation et d’ouverture sur le marché. Des communicateurs travaillent avec l’équipe du projet pour assurer
la meilleure continuation des actions en cours.
Quelques défis à relever
La vulgarisation et le conseil agricoles revêtent une importance stratégique pour les agriculteurs familiaux. Ils constituent, pour les exploitations familiales, des stimulants essentiels aux changements nécessaires pour s’adapter à
l’évolution constante du monde et à la transition vers des systèmes de production capables de nourrir durablement le monde et surtout de lutter
efficacement contre la pauvreté, au niveau local.
Cependant, les dispositifs de conseil mis en œuvre n’échappent pas toujours aux critiques. En effet, des outils et approches mal choisis et adaptés à un contexte qui ne sied pas donne rarement des résultats probants. Il s’avère dès lors nécessaire de relever le défi de l’adaptation de ces outils et approches aux contextes présidant à leur mise en œuvre afin de guérir l’agriculture familiale de ses maux, d’asseoir une sécurité alimentaire durable pour les paysans et lutter efficacement contre la pauvreté.