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Editorial : Rompre avec le sous-investissement

Le sommet des chefs d’ Etat africains de Maputo avait suscité beaucoup d’espoir chez les agriculteurs et les pasteurs du continent. En effet, en 2003, les gouvernements africains s’étaient mis d’accord pour allouer 10% du budget national au secteur agricole.

Prenant acte du sous-investissement public dans l’élevage en Afrique, la conférence des ministres responsables des ressources animales de l’Union africaine avait préconisé dès 2005 d’ajouter un engagement spécifique sur l’élevage. Ainsi, 30% de cette part devraient être consacré au sous-secteur de l’élevage. Les ministres avaient chargé le Bureau Interafricain des Ressources Animales de l’Union africaine et les communautés économiques régionales de suivre l’application de cette décision.

Les organisations de producteurs n’ont voulu être en marge du suivi d’un tel engagement. Dix ans après Maputo, on constate que les pays sahéliens figurent dans le peloton des Etats ayant affecté 10 % de leurs budgets respectifs au secteur primaire. Mais l’engagement pris pour l’élevage n’est pas encore matérialisé. C’est ce que révèle une étude réalisée en 2014 par l’Association pour la Promotion de l’Elevage en Savane et au Sahel (APESS). Selon cette organisation, « toutes les analyses des dépenses publiques agricoles sur la période, et même antérieurement s’accordent sur le constat du sous-investissement dans le sous-secteur de l’élevage de ces pays ».

Le paradoxe reste que l’élevage pèse pour près de la moitié du PIB agricole de ces pays et reçoit en moyenne autour de 10 % des dépenses consacrées à l’Agriculture, parfois un peu moins au Burkina Faso (7 % en moyenne), parfois un peu plus au Niger (15 %). On est donc très loin des 30 % des dépenses agricoles préconisées par les ministres chargés des ressources animales, selon l’ APESS. Il s’y ajoute que l’aide internationale occupe une large part dans le financement de l’élevage. Dans un contexte pareil, le pastoralisme ne saurait jouir d’allocations suffisantes pour améliorer la productivité animale et ses mécanismes de gouvernance.

Vocation des terres à préserver

Néanmoins, depuis 2015, des initiatives comme le Programme Régional d’Appui au Pastoralisme au Sahel (PRAPS) tentent d’améliorer « la productivité, la durabilité, la résilience des moyens de subsistance des pasteurs », en sécurisant « les modes d’existence et les moyens de production des populations pastorales ».
Au même où ces types de projet sont mis en œuvre, on constate parallèlement l’accroissement des investissements privés dans les espaces agro-sylvo-pastorales. Cette situation est liée au phénomène de l’acquisition de terres à grande échelle. Au Sénégal,l’organisation Cicodev avait révélé que près de 17% des terres arables étaient attribuées, en 2011, à des supposés investisseurs.

Face à la volonté politique d’accroitre les investissements dans le secteur agricole, la sécurisation des espèces pastorales est un enjeu de taille, surtout au Sahel où l’élevage occupe une place importante dans les productions agricoles. Les communautés pastorales doivent accéder à l’eau et au pâturage dans une région où la mobilité constitue le facteur déterminant pour la valorisation du cheptel.
En plus, l’accès aux ressources naturelles est de plus en plus contrarié par la disparition progressive des jachères, l’occupation des couloirs de passage, l’extension des terres de cultures par défrichage de terres pastorales, entre autres.

La création de zones dédiées au bétail apparait alors comme un moyen de réaliser des investissements conséquents en faveur des exploitations familiales pastorales et d’appuyer d’avantage la production animale.
Dans le contexte actuel de croissance démographique et d’expansion des villes, la problématique de l’aménagement se pose donc comme une dimension fondamentale pour prendre en charge les besoins d’espaces pour les productions agricoles. Toutefois, on note dans les pays sahéliens, l’amélioration du cadre légal offrant plus de sécurité au pastoralisme, même si l’application demeure faible. C’est le cas de la loi d’orientation agro-silvo-pastorale du Sénégal.

Capacités d’adaptation à renforcer

Vulnérables et souvent peu soutenues par les politiques publiques, les communautés pastorales ont toujours su compter sur leurs systèmes de mobilité pour s’adapter aux contraintes rencontrées. Les variabilités climatiques doivent davantage attirer l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité d’investir dans le pastoralisme, un moyen de subsistance viable. Elle contribue à la stabilité sociale dans ce contexte de bouleversements climatiques. Avec l’évolution du climat et la croissance démographique, l’accès et le contrôle des ressources naturelles peuvent être sources de conflit.

En 2007, dans un article publié par le Washington Post, Ban Ki-Moon identifiait le changement climatique comme une cause profonde du conflit au Darfour, région particulièrement pastorale. Il y indiquait que les relations entre les éleveurs nomades et les fermiers sédentaires se sont dégradées à la suite de la baisse du niveau des précipitations pour conduire à des conflits qui ont atteint des proportions dramatiques à partir de 2003. Selon Ban Ki-Moon, « c’est un manque d’eau et de terres qui a engendré une des pires tragédies qu’ait traversée le continent africain ». Cette opinion est aujourd’hui l’une des perspectives autour de laquelle est axé le débat sur les conséquences du changement climatique au niveau sécuritaire.

Les multiples avantages que le pastoralisme offre aux communautés sahéliennes doivent donc inciter les décideurs à plus de considération, si tant est que la préservation des moyens de subsistance est une priorité en zones semi-arides. Les faibles soutiens publics reçus à ce jour semblent traduire une faible prise en compte des enjeux. Au Tchad par exemple, la recherche a montré qu’une valorisation du dromadaire consoliderait la résilience des pasteurs. Cette filière a besoin d’une meilleure organisation au regard du potentiel de résilience qu’elle offre. Cette considération est également nécessaire dans le Ferlo sénégalais où l’expérimentation de l’unité pastorale a livré des résultats. A Dahra Djolof par exemple, les éleveurs vivent les impacts du changement climatique sans l’organisation et les investissements adéquats.

Plus au nord, les pasteurs de Guélakh-Peulh développent une stratégie d’adaptation, à travers une ferme agricole intégrée. Si ces derniers travaillent à profiter de l’agropastoralisme, les femmes de Kolda ont du mal à jouir de la filière lait faute de moyens suffisants . A ce niveau, la santé animale est un gage de productivité. L’Organisation Mondiale de la Santé Animale intervient dans ce domaine au Sénégal, dans le cadre du PRAPS. Ce programme cherche par ailleurs à générer des outils qui visent à stimuler la productivité animale. D’autres innovations sont nécessaires et même indispensables pour sécuriser les moyens de subsistance des communautés pastorales, surtout celles qui garantissent une gestion équitable et durable de la ressource foncière.