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Evaluation de la vulnérabilité des populations aux inondations à Ouagadougou : cas des secteurs de Paspanga, Kilwin et Kossodo

L’objectif de cette étude est d’évaluer la vulnérabilité des populations aux inondations dans la ville de Ouagadougou. La méthodologie adoptée est basée sur une analyse multicritères à travers une grille d’évaluation. Il ressort de l’étude que les facteurs prépondérants de la vulnérabilité des populations aux inondations au niveau des trois secteurs choisis sont le bâti et la perception des populations des risques d’inondation.

Contexte

Les inondations constituent un risque majeur dans le monde entier et particulièrement en Afrique. Ces inondations pour le cas de l’Afrique sont pour la plupart dues à des pluies extrêmes, qui semblent prendre de plus en plus de l’ampleur ces dernières décennies.

L’Afrique de l’Ouest est l’une des régions du monde les plus vulnérables au changement climatique (GIEC, 2007).

Après les sécheresses des années 70 et 80, la région connaît une recrudescence des phénomènes d’inondation avec des dégâts socio-économiques et environnementaux importants (LACEEDE, 2010).

En 2009 par exemple, plusieurs pays de la sous-région dont le Sénégal, le Mali, le Benin, le Ghana et le Burkina Faso ont été affectés par d’importantes inondations et ont subi d’énormes pertes en biens et vies humaines (OCHA, 2009). Au Burkina Faso, plus précisément, une pluie à caractère exceptionnelle d’environ 263 mm s’est abattue le 1er septembre 2009, et a provoqué des inondations dans 11 des 13 régions du pays (CONASUR, 2009). Les dégâts engendrés ont été particulièrement importants dans les grandes villes notamment Ouagadougou et Bobo-Dioulasso.

On a estimé à Ouagadougou, environ 32260 maisons effondrées, 150000 personnes sinistrées et d’importants dégâts matériels. En termes de coûts monétaires, le bilan de ces inondations est estimé à plus de 60 milliards de FCFA (près de 115 millions de dollars), les dommages, pertes et les besoins pour la reconstruction estimés à 120 milliards de FCFA, soit 230 millions de dollars (MUH, 2010). Ce bilan est révélateur de la vulnérabilité des espaces urbains ouest africains face aux inondations.

En effet, la ville de Ouagadougou connait un important « boom » démographique qui a pour conséquences une urbanisation rapide, incontrôlée et anarchique. Cette urbanisation anarchique se manifeste par une occupation des lits des cours d’eau, le développement des quartiers spontanés à la limite des quartiers lotis et dans les zones de réserves.

Plusieurs études (Bani, 2011 ; Soma, 2015) ont abordé la problématique des inondations dans la ville de Ouagadougou en s’intéressant aux facteurs physiques qui influencent les inondations et à l’identification des zones inondables. Cependant, l’évaluation de la vulnérabilité des populations face aux inondations n’est pas été évoquée. Pourtant, les facteurs de vulnérabilité prioritaires sont utiles pour la prévention et la gestion d’une situation d’inondation.

Méthodologie

La méthode utilisée pour l’évaluation de la vulnérabilité dans le cadre de cette étude est une analyse multicritères, inspirée des travaux de Meur-Ferec et al. (2003) sur l’évaluation de la vulnérabilité des territoires côtiers. Cette méthode nécessite l’utilisation d’une « grille d’évaluation ». La démarche se présente sous la forme de 5 grilles d’évaluation qui traitent de la vulnérabilité dans ses différentes dimensions.

Il s’agit de la vulnérabilité liée à l’aléa (1), la vulnérabilité de la population (2), la vulnérabilité du bâti (3), la vulnérabilité liée aux usages (4) et la vulnérabilité liée à la gestion de crise (5). Le type de grille de l’évaluation de la vulnérabilité se présente en six champs de remplissage. Meur-Ferec et al. (2003) ont fait une description chacun de ces champs.
Grille d’évaluation des vulnérabilités
L’évaluation des critères de vulnérabilités se fait par la méthode du score. Le score varie de 0 à 3 c’est-à-dire du critère « pas vulnérable ou résistant » au critère « fortement vulnérable ».
Ces valeurs sont exprimées dans des unités homogènes. Elles permettent de déterminer l’indice synthétique de vulnérabilité pour chacun des critères et ensuite l’indice global correspondant à chaque type de vulnérabilité. Ces indices globaux sont représentés par un graphique radar afin d’identifier très rapidement les points les plus sensibles de la zone considérée et les cibles des actions de mitigation.

Sites de l’étude et échantillonnage
Trois sites ont été retenus pour cette étude. Il s’agit des secteurs de Paspanga, Kilwin et Kossodo. Ces sites sont très exposés aux risques d’inondation en saison pluvieuse à cause de leur proximité aux barrages I, II et III de Ouagadougou (Figure 1).
Une enquête a été réalisée auprès des ménages des sites concernés avec un questionnaire administré aux chefs de ménages. Les chefs de ménages ont été choisis pour leur meilleure connaissance des caractéristiques des ménages et pour leur expérience des inondations.
Pour éviter les problèmes de la non-participation à l’enquête et des questions sans réponses, la méthode non probabiliste dite « méthode par quota » a été utilisée (Marhoum, 2015). Ainsi, les ménages à enquêter sont choisis de façon raisonnée jusqu’à ce que le nombre fixé par le quota soit atteint. Le nombre de ménages a été déterminé à partir de la densité des ménages dans les secteurs concernés (INSD, 2008). Pour éviter les disproportions et s’assurer que l’échantillonnage soit assez représentatif, 10% des ménages cibles ont été interrogés sur chaque site.
Résultats et discussion
-Facteurs de vulnérabilité
L’aléa considéré pour cette étude est l’inondation. Il est caractérisé par les hauteurs d’eau de submersion qui déterminent l’ampleur des dégâts générés. En effet, plus les hauteurs d’eau sont importantes, plus le niveau d’exposition est élevé. Les hauteurs d’eau moyennes varient pour la même quantité de pluie tombée au niveau des sites de l’étude. On observe de la figure 2 que les hauteurs d’eau moyennes observées dans les zones concernées pendant les inondations du 1er septembre 2009 étaient supérieures à 60 cm et globalement inférieures à 100 cm exceptée dans le secteur de Paspanga.
Le facteur bâti définit le niveau de vulnérabilité des populations induit par la vulnérabilité des logements. La pauvreté des ménages est un critère qui influence la vulnérabilité du bâti dans les zones inondables. En effet, l’analyse des données des enquêtes révèle que, les ménages les plus pauvres sont essentiellement ceux dont le chef exerce une activité dans le domaine de l’agriculture, du secteur informel ou sans emploi fixe, dont le revenu mensuel est souvent inférieur à 50 000 F CFA (80 dollars) La majorité de personnes qui occupe ces secteurs a un revenu mensuel qui n’excède pas 100 000 F CFA (160 dollars).

Cette situation de paupérisation ne leur permet pas de se procurer d’un logement décent ou résistant aux inondations. En effet, les coûts élevés de la construction en matériaux résistants aux inondations tels que le ciment, oblige cette tranche de la population à se tourner vers des matériaux disponibles et gratuits tels que le banco.

Au-delà de la mauvaise qualité du logement induite par la pauvreté, les populations vivant dans cette situation ont une faible capacité d’adaptation financière. Ainsi, après des inondations, elles ont du mal à réhabiliter leurs logements. Cette situation accroît la vulnérabilité de la ville de Ouagadougou.
La population : ce facteur met en relation la perception des risques et la vulnérabilité des populations face aux inondations. La vulnérabilité des populations face aux inondations est fonction de l’importance qu’elles accordent au risque d’inondation. La perception des risques est évaluée sur la base de l’installation à proximité de cours d’eau, la prise en compte des risques pendant l’installation et les pratiques d’aggravation des risques.

En effet, une grande partie des ménages qui s’installent dans les zones inondables, ne prennent pas en compte les aléas qui peuvent survenir. Il ressort des enquêtes effectuées qu’environ 93% des occupants de ces zones inondables n’avaient pas d’information sur d’éventuels risques d’inondation avant leur installation.

La dimension inondation n’ayant pas été intégrée dans la recherche de leurs parcelles d’habitations ; par conséquence, les constructions réalisées par ces populations ne sont pas adaptées pour être résistantes aux inondations. Il en est aussi de l’occupation des lits des cours d’eau par les populations.

Malgré la récurrence des inondations, certaines populations s’adonnent à des pratiques qui contribuent à l’aggravation des risques. Il s’agit surtout des activités ou comportements tels que le rejet des déchets solides dans la nature et l’encombrement des caniveaux par les ordures de toute sorte.

Gestion des risques d’inondation : ce facteur de vulnérabilité est apprécié à travers la proximité aux secours d’urgence et l’accès à l’information. En effet, les ménages situés dans les zones inondables sont très loin des casernes des sapeurs-pompiers. A l’exception du secteur de Paspanga, les enquêtes ont révélé que les deux autres secteurs sont distants d’au moins 10 km des centres de secours.
Ainsi, pendant les inondations du 1er septembre 2009 aucun ménage de ces deux secteurs n’a bénéficié de l’aide des secouristes. Cette situation accroît la vulnérabilité des populations aux inondations. Il est également ressorti des enquêtes que les populations sont peu informées sur les risques d’inondation. Environ 83% des ménages disent n’avoir jamais reçus d’alertes sur les inondations avant que celles-ci ne surviennent.

Il est important de signaler que sur le plan national, il n’y a pas une avancée considérable en matière d’alertes précoces surtout à cause des incertitudes sur les données disponibles. Ces incertitudes concourent à la diffusion de fausses alertes détériorant ainsi le niveau de confiance accordée par la population aux sources d’informations.

En 2011 par exemple, deux alertes avaient été annoncées aux citoyens sur les risques d’inondations auxquels ils devraient être exposés selon les prévisions de la météorologie. Ces annonces avaient laissé les citoyens perplexes car les inondations « annoncées » ne s’étaient pas manifestées.

Activités : le dysfonctionnement de certaines infrastructures due aux inondations peut être source de vulnérabilité pour les populations. Dans le secteur de Paspanga, plusieurs infrastructures sont exposées aux risques d’inondation. On peut citer entre autres : l’Hôpital Universitaire Yalgado Ouédraogo, la station de traitement des eaux et la centrale thermique à Paspanga. Le disfonctionnement d’une de ces structures rend une grande partie de la ville de Ouagadougou très vulnérable.

Evaluation de la vulnérabilité

La figure suivante montre la contribution de chaque facteur de vulnérabilité (aléa, bâti, gestion, population et activité) au degré de vulnérabilité de chaque secteur (Paspanga, Kilwin et Kossodo). Ces radars obtenus à partir des grilles d’évaluation de la vulnérabilité reflètent le niveau de vulnérabilité pour chaque secteur. Les pôles des radars correspondent aux facteurs de vulnérabilité. Ce sont des facteurs sensibles sur lesquels les autorités locales doivent travailler en priorité pour réduire la vulnérabilité.
Au regard des radars de cette figure, les facteurs de vulnérabilité peuvent être classés par ordre de priorité décroissante c’est-à-dire du plus sensible au moins sensible aux phénomènes d’inondation.

Appréciation du degré de vulnérabilité de chaque site aux différents facteurs de vulnérabilité
En termes de priorité, sur l’ensemble des sites, le facteur « bâti » constitue la priorité la plus prépondérante sur laquelle les actions de réduction de la vulnérabilité doivent se focaliser tandis que le facteur « activité » est d’une moindre priorité.

En effet, les logements sur ces sites sont en majorité construits en matériaux locaux et par conséquent ne sont pas adaptés pour être résistants aux inondations. Ainsi, des mesures urgentes devraient être prises afin de réduire la vulnérabilité des populations.

Les autorités municipales devraient prendre des dispositions pour sécuriser les zones inondables qui sont des zones interdites à la population et dont l’exploitation devrait être réglementée. Concernant le facteur « activité », on observe que le secteur de Paspanga est très vulnérable aux risques d’inondation.

Cette vulnérabilité est surtout liée à la présence de certaines infrastructures telles que la centrale thermique qui alimente une partie de la ville de Ouagadougou en électricité, le Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo et une station de traitement des eaux qui alimente également une grande partie de la ville de Ouagadougou en eau potable.

Il ressort également de l’analyse que les facteurs « population » et « aléa » constituent respectivement la deuxième et la troisième priorité de ces sites. La vulnérabilité relative à ces facteurs est plus accentuée à dans le secteur de Kossodo.

Pour cela, l’accent devrait être mis sur la sensibilisation de la population, pour une meilleure prise de conscience et une intégration des risques d’inondation dans les habitudes des citadins d’une part, et d’autre part les actions de réduction de l’aléa devraient surtout se focaliser sur la construction et l’entretien des canaux d’évacuation des eaux pluviales.

Quant à la quatrième priorité, elle est dédiée au facteur « gestion ». La vulnérabilité liée à ce facteur est moins importante dans le secteur de Paspanga. Il met l’accent sur l’information et l’importance accordée aux risques d’inondation par les acteurs.

Conclusion

Cette recherche a abouti à une évaluation des facteurs qui entretiennent la vulnérabilité des populations face aux inondations dans trois secteurs de la ville de Ouagadougou. Cette évaluation s’est faite par une approche multicritères basée sur une grille d’évaluation.

Il est ressorti de l’étude que le facteur « bâti » est celui qui entretient le plus la vulnérabilité des populations, suivi du facteur « population ». Ces deux facteurs induits respectivement par le niveau de pauvreté et la perception des risques par les populations, révèlent le niveau de vulnérabilité de la ville aux inondations.

L’étude a également révélé une utilisation massive des matériaux locaux pour la construction et une occupation très importante des lits des cours d’eau sans des aménagements particuliers de lutte contre les inondations dans ces secteurs.

Au regard des résultats obtenus, il semble que pour une gestion plus efficace du risque d’inondation dans la ville de Ouagadougou, l’accent devrait être mis sur des mesures non-structurelles telles que la réglementation pour la sécurisation des zones inondables, le déguerpissement des populations des zones à risque, la protection de l’environnement par une meilleure gestion des déchets solides et la sensibilisation des populations sur la nécessité d’une prise en compte des risques d’inondation dans leur quotidien. En outre, des mesures structurelles telles que la construction des canaux d’évacuation et des bassins de rétention des eaux pluviales devraient être aussi envisagées par les autorités communales.

Fowé Tazen
Karim Traoré
Hado Ouedrago
Maïmouna Bologo/Traoré,
Gnenakantanhan Coulibaly
Harouna Karambiri

Institut International d’Ingénierie de l’Eau et de l’Environnement (2iE), Laboratoire Eaux Hydro-Systèmes et Agriculture (LEHSA), 01 BP 594 Ouagadougou 01, Burkina Faso
Contact : tazen.fowe@2ie-edu.org

Photo d’ouverture : incivisme des populations jetant des ordures dans les canaux de drainage (source : 2iE)

REMERCIEMENTS

Ce travail de recherche a été financé par le Programme ″Future Climate for Africa″ de NERC/DfID dans le cadre du projet AMMA-2050, financement N° NE/M020428/1. Nous tenons aussi à remercier les populations des sites de l’étude pour leur disponibilité lors des enquêtes.