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Ghana : Les foires alimentaires pour relancer l’alimentation locale et améliorer la nutrition.

En Juin 2011, le Centre pour le développement des connaissances et des organisations autochtones (CIKOD) a initié, dans le District de LAWRA, au Ghana, les foires alimentaires pour la promotion des aliments traditionnels. A travers ces foires, des agricultrices exposent des cultures et des aliments traditionnels en soulignant leur importance pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations locales. Ces foires ont permis de garantir une meilleure connaissance et une prise en compte des produits alimentaires traditionnels, ainsi que l’agro-écologie dans les politiques et programmes nationaux de sécurité alimentaire.

Au Ghana, comme dans de nombreux autres pays, les politiques gouvernementales favorisent le plus souvent les cultures de rente en vue des exportations au détriment des cultures vivrières pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Ce constat est d’autant plus évident dans le Nord du pays, plus arides et plus affectée par le changement climatique et la baisse de la fertilité des sols. Ce qui constitue une situation paradoxale pour le pays, avec, d’un côté, une croissance économique en hausse grâce à l’agriculture et, de l’autre, une aggravation de l’insécurité alimentaire et nutritionnelle des ménages ruraux dans les régions sèches.

Dans le souci de promouvoir la production de « plus de nourriture pour nourrir la famille », d’améliorer la diversité des cultures et des aliments, mais aussi de réduire les risques causés par le changement climatique, le CIKOD a organisé une foire d’aliments traditionnels en juin 2011 dans le district de Lawra. Plus de trois cents femmes agricultrices dirigées par leurs chefs traditionnels féminins et des centaines d’hommes et d’enfants des zones de Lawra et de Nandom ont participé à cette exposition d’aliments et de semences locaux.

Alimentation et cultures traditionnelles

Pour améliorer l’accès à la sécurité alimentaire et nutritionnelle des communautés rurales, il est essentiel de se rappeler les enseignements qu’on peut tirer de la production alimentaire traditionnelle. Les cultures traditionnelles ou autochtones sont plus diverses et variées comparées à la poignée de cultures de base largement favorisées au nom de la révolution verte. En outre, un régime à base de produits alimentaires issus de cultures traditionnelles garantit une meilleure nutrition que celui à base de produits de l’agriculture dite industrielle, aujourd’hui dominantes.

Dans le nord du Ghana, les céréales (sorgho, mil, etc.), les légumineuses, les racines et les tubercules traditionnels comme l’igname, produits avec les savoirs locaux transmis de génération à génération, peuvent fournir aux familles une alimentation équilibrée. De plus, ces cultures traditionnelles donnent des rendements plus importants et ce même en années de sécheresse. Ainsi, les cultures traditionnelles et l’élevage qui les accompagne contribuent à l’amélioration de la nutrition non seulement grâce à la diversification des régimes alimentaires, mais aussi par la réduction des risques liés à l’incertitude des précipitations. Elles sont adaptées aux conditions locales et nécessitent donc moins (voire pas du tout) d’intrants externes coûteux, nécessaires pour cultiver le riz, le maïs ou d’autres produits d’exportation.

Toutes les couches de la société sont concernées

Tout au long de l’année 2011, les femmes de l’Association des Femmes Agricultrices rurales du Ghana (RUWFAG) ont mené une excellente campagne de sensibilisation dans tous les marchés du district sur les impacts sanitaires de la consommation de légumes traitées aux pesticides. Tous les ingrédients étaient réunis pour une foire permettant de promouvoir des aliments traditionnels, diversifiés, résilients face au changement climatique et qui améliorent la nutrition tout en contribuant à la souveraineté alimentaire.
La foire alimentaire était une occasion spéciale réunissant agriculteurs locaux, chefs traditionnels et décideurs politiques dans un même endroit pour discuter et échanger sur les mêmes questions. Chaque groupe d’acteurs a exposé, à sa façon, son point de vue sur les produits alimentaires locaux.

Le ministre régional et le chef suprême ont échangé des souvenirs sur les aliments traditionnels qu’ils consommaient dans le passé et qui se sont raréfiés au fil des années, tout en rappelant également le sens qu’avaient ces aliments.
La coordonnatrice de RUWFAG, Madame Rebecca Sebri, a décrit en détail les impacts négatifs des cultures génétiquement modifiées, des pesticides et des engrais chimiques sur la santé des familles rurales, ce qui a été corroboré par la représentante du ministère de la Santé, Madame Doris Ziekah.

Artistes et musiciens ont joué un rôle majeur dans la foire. Les femmes de différents villages se sont relayées sur scène pour interpréter des chansons regrettant le manque d’aliments sains et les effets négatifs des méthodes agricoles industrielles. Ces chansons, dont certaines étaient improvisées, véhiculaient également des messages forts sur la valeur des aliments traditionnels et étaient accompagnés de danse.

Ces spectacles ont été suivis d’une séance officielle de dégustation de plus de 50 plats traditionnels par les dignitaires et le grand public. Au menu figuraient le tuo, le beng saab, le tubani, le perkpage, le gbulyang, le bir-neme, le nyusaab, le piereh, et bien d’autres plats. Il était particulièrement important que les chefs traditionnels dégustent ces plats devant d’autres personnes, ce qui allait certes à l’encontre des coutumes de la communauté, mais avait le mérite de souligner l’importance du message que les dirigeants voulaient faire passer.

La soudaine popularité qui s’en est suivie

Grâce à la foire, les plats traditionnels, jadis méprisés, notamment par les jeunes, sont devenus populaires. Cette utilisation accrue s’est surtout accompagnée d’une plus grande reconnaissance des plats traditionnels et du rôle des femmes au niveau politique.

Les jeunes de Tanchara se sont inspirés de la réussite de la foire des produits alimentaires traditionnels et ont organisé un questionnaire à choix multiples sur les cultures et aliments traditionnels afin d’augmenter, à leur façon, leurs connaissances et celles de leurs amis. Peu de temps après, les femmes leaders traditionnelles ont décidé d’organiser des foires similaires dans les districts de Ko et de Tanchara.

La foire alimentaire a aussi incité les femmes agricultrices des zones de Lawra et de Nandom à investir dans l’augmentation de la production des cultures traditionnelles dans leurs champs. Elles ont ouvert une mutuelle d’épargne et lancé un programme de facilité de prêt pour assurer l’accès au crédit afin d’acheter des semences, mais également pour renforcer la main d’œuvre et augmenter les surfaces où sont développées les cultures traditionnelles. La saison suivante a vu la production de ces cultures doubler, notamment le kpur-womeh, le piereh et le songsogli.

Peu de temps après la foire, une organisation de sages-femmes a adressé à CIKOD une demande d’un livre de recettes de plats traditionnels à base de cultures locales. Ce livre de recette s’est révélé un grand succès et continue à être distribué à toutes les femmes enceintes qu’elles soutiennent.

Les Facteurs de succès

La participation active des décideurs politiques et traditionnels a été une des clés de l’impact de la foire alimentaire. L’équipe de CIKOD a suivi les protocoles appropriés en invitant le chef (pognaa) et le directeur de district. Elles y sont parvenues avec beaucoup de patience, prenant le temps d’instaurer la confiance et de jeter les fondements d’une relation durable avec les autorités traditionnelles.

Leur participation a été essentielle, parce que la dégustation publique des plats traditionnels par les dirigeants politiques, et surtout les chefs traditionnels, a permis de convaincre le grand public de la valeur des plats traditionnels. N’a-t-on pas dit que « les yeux voient et le cœur désire » ? La dégustation de plats a convaincu les gens de l’importance des cultures traditionnelles et a fait resurgir de nombreux souvenirs. Pognaa Karbo, la pognaa de Lawra, a partagé quelques souvenirs : « Quand j’étais jeune, le bengvaar et la soupe d’arachide avec le kaziong-saab étaient les plats que l’on servait aux jeunes hommes qui venaient prêter main forte au champ de mon père. Ce régime alimentaire traditionnel leur donnait force et vitalité pour accomplir les durs travaux champêtres. Dommage que ce régime soit remplacé par le riz. ».

Le contexte socio-culturel de la foire était également important. Étant familières aux nombreux agriculteurs qui ont répondu présents, les gens se sont sentis à l’aise. La foire a été basée sur les connaissances et ressources locales doublées d’un sentiment d’appropriation chez les agriculteurs présents. L’état d’esprit à la foire a été stimulé par la large publicité à la radio, à la télévision et dans la presse écrite. Diverses publications comportaient des messages positifs encourageant tout le monde à promouvoir les cultures et les plats traditionnels.

Vu d’ensemble

Les foires alimentaires font partie d’un large éventail d’activités qui favorisent l’agro-écologie et qui, ensemble, s’avèrent importantes pour contester l’agriculture industrielle profondément ancrée dans les pratiques.
Cette expérience a montré l’énorme potentiel des foires alimentaires (organisées de manière à créer un espace commun pour les agriculteurs, les dirigeants politiques et les chefs traditionnels) pour renforcer le rôle des mets et des cultures traditionnels tout en renforçant la pratique des approches agro-écologiques.

Dans de nombreuses communautés d’Afrique de l’Ouest, des festivals et d’autres cérémonies sont souvent organisés après les récoltes. Ils constituent d’excellentes occasions de promotion et de valorisation des aliments traditionnels.

Bern Guri

Directeur de CIKOD et le coordinateur de l’Africa Food Sovereignty Alliance.

Patricia Dianon

Travaille pour la RUWFAG.

Les auteurs tiennent à remercier Daniel Bunuoku, Elham Mumuni et Julia Toboyee de CIKOD, ainsi que Mary Assumpta Mwinsigten et Rebecca A Sabri de RUWFAG pour leur contribution à cet article, rédigé à l’origine dans le cadre d’un processus de systématisation facilité par ILEIA