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Intensification rizicole à Madagascar : Les défis de la diffusion à grande échelle du SRI.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Madagascar est loin d’être le champion mondial du SRI, appelé aussi « Malagasy Rice System ». Ce système innovant de production rizicole connu pour sa forte productivité et ses faibles impacts sur l’environnement peine à s’imposer dans les habitudes culturales des paysans malgaches même si l’île en est incontestablement le berceau. L’adoption généralisée du SRI bute encore sur de nombreux obstacles à la fois politiques, économiques et socioculturels. La mise à l’échelle du SRI, pour être efficace, doit reposer sur l’amélioration de l’environnement de toute la filière riz et la mise en œuvre d’une stratégie de diffusion adaptée.

Le riz représente 70% de la production agricole totale de Madagascar. Il constitue l’aliment de base pour la grande majorité des malgaches. Il conserve une valeur symbolique très forte qui limite la portée des produits de substitution. La production nationale reste, cependant, insuffisante pour satisfaire les besoins d’une population en constante augmentation (le taux de croissance annuel de la population est de 3 %). En effet, depuis les années 80, la croissance annuelle de la production rizicole tourne autour de 1,5% et les rendements moyens restent souvent inférieurs à 3 tonnes à l’hectare. Une telle stagnation de la production a conduit le pays à importer chaque année entre 5 et 10 % de la consommation nationale.

La persistance des systèmes de production basés sur des techniques archaïques et peu performantes explique, en partie, cette stagnation du rendement rizicole. Mais compte tenu de la place importante que joue le riz dans la culture malgache, de sa permanence dans les habitudes alimentaires et du rôle primordial qu’il pourrait jouer dans le combat mené pour asseoir une sécurité alimentaire durable dans la grande île, certains acteurs (Association Tefy Saina et le Groupement SRI Madagascar, GSRI) tentent de vulgariser et de mettre à l’échelle le Système de Riziculture Intensive (SRI). Grâce à leurs actions, l’approche SRI gagne du terrain, chaque année, à Madagascar.
Sur la base d’une étude faite par le GSRI, les superficies emblavées en SRI étaient de 10800 ha au cours de la saison 2008-2009. Elles passent à 56000 ha la saison agricole suivante pour 180000 paysans ayant adopté la pratique. Cependant, même si l’évolution a été rapide, le SRI a encore d’énormes marges à franchir avant de gagner tout le pays. En effet, si on considère les 1 060 000 ha de surface rizicole de Madagascar, le SRI n’occupe qu’environ 6% de cette superficie. Le nombre de pratiquants du SRI (180000) représente à peine 9% des riziculteurs du pays. Par ailleurs, ces chiffres cachent de grandes disparités régionales puisque la seule région de la Haute Matsiatra concentre à elle seule 44 % des superficies totales emblavées avec la méthode SRI et 58% des paysans pratiquant le SRI.

Les actions des promoteurs du SRI se heurtent souvent à des écueils socio-économiques et politiques qui entravent la diffusion de cette pratique à plus grande échelle.

Promotion des techniques SRI : Des obstacles multiformes

Au plan politique, Madagascar a mis beaucoup de temps à se doter d’instruments capables d’accompagner durablement la vulgarisation à grande échelle d’une innovation telle que le SRI. La stratégie nationale de développement rizicole (SNDR), malgré ses ambitions de vulgariser le SRI et d’accompagner les producteurs dans le renforcement de leurs moyens de production, n’a pas encore donné les preuves de son efficacité sur le terrain.
Par ailleurs, il n’existe pas une réelle stratégie, un système de collecte et d’enregistrement des données sur le développement du SRI à Madagascar. Le travail de capitalisation est nécessaire pour recenser les acteurs SRI, les pratiques, les approches, les contraintes rencontrées et les solutions adoptées afin de mettre en place une base de données pouvant servir de référentiel pour les acteurs SRI.

L’adoption du SRI va avec la maîtrise d’un certain nombre d’outils techniques. Le système requiert aussi des intrants particuliers (semences adaptées, fertilisants organiques…) et une maîtrise de l’eau qui ne sont pas forcément à la portée de tous les paysans. L’insécurité foncière, l’accès aux crédits sont aussi des facteurs qui bloquent le processus d’intensification agricole à Madagascar.

Aussi, traditionnellement, les paysans malgaches sont très réticents au changement. Les changements importants qui s’opèrent sur le milieu rural ne motivent pas facilement les paysans. Le processus de changement suppose qu’ils voient clairement les opportunités et la nécessité d’adopter une nouvelle technique. Le paysan reste routinier dans ses pratiques, sa mentalité n’évolue qu’au rythme des générations successives, malgré les opportunités offertes par l’intensification agricole. « Il faut au minimum 10 ans, au mieux 20 ans, pour qu’une culture nouvelle, une variété nouvelle, une méthode nouvelle de culture puissent être considérées comme ayant fait leurs preuves » (Henri de LAULANIE 2003).

L’absence de coordination entre les acteurs dans la diffusion du SRI pose également problème. Ces acteurs travaillent souvent dans l’isolement le plus total, ce qui limite la portée de leurs actions de promotion de la technique.

Amélioration de l’environnement de la filière riz, un préalable à une large adoption du SRI !

L’adoption de l’intensification rizicole repose sur l’amélioration des divers éléments en amont et en aval de la filière riz.

En amont, le régime foncier joue un rôle fondamental sur la prospérité de l’agriculture. La précarité des situations foncières empêche les producteurs ruraux d’investir dans l’intensification agricole. La mise en œuvre de la réforme foncière est indispensable pour sécuriser les producteurs. La sécurisation foncière peut s’améliorer à travers la continuité de la politique sur la mise en place des guichets fonciers. Le guichet foncier informe le public sur les procédures à suivre pour l’obtention de certificats fonciers. Il se charge de traiter les dossiers relatifs à la demande de certificat foncier et effectue aussi la conservation des archives foncières. Il peut jouer le rôle de médiation dans la résolution des litiges et conflits fonciers.

L’accès au crédit agricole constitue un préalable indispensable pour permettre le passage d’une agriculture traditionnelle à une agriculture intensive. La mise en œuvre de cette transition requiert des financements que l’Etat malgache n’a pas forcément mais qu’il peut trouver auprès des bailleurs et de ses partenaires financiers traditionnels.

La maîtrise de l’eau est aussi un des principes de base du SRI. L’investissement dans l’aménagement et la réhabilitation des infrastructures hydro agricoles s’inscrit comme une solution face aux contraintes relatives à la maîtrise de l’eau.

Afin de faciliter l’accès des producteurs aux intrants, il faut améliorer à la fois la disponibilité et l’approvisionnement en intrants. Il faut appuyer les organismes de recherche comme le FOFIFA et FIFAMANOR dans la production de nouvelles variétés de semences adaptées à la fois aux conditions climatiques et répondant aux besoins des consommateurs locaux. Il faut augmenter aussi la capacité de production des centres multiplicateurs de semences afin d’éviter la rupture de stock au niveau des distributeurs (entreprise, particulier,).

Il faut développer un système d’encadrement de proximité des paysans et les amener à se regrouper dans le cadre d’organisations et d’associations plus aptes à défendre leurs intérêts.

En aval de la filière, l’environnement économique constitue un des facteurs qui empêche l’épanouissement de la riziculture, en général. La simplification des réseaux de commercialisation doit passer par la réduction du nombre de catégories d’intermédiaires qui garantit aux producteurs des revenus plus élevés.

Les collecteurs ne sont pas nécessairement honnêtes et peuvent tromper les paysans analphabètes dans l’opération des poids. Souvent les organismes d’encadrement se heurtent à la logique des prix, ils se demandent pourquoi encourager à produire plus, s’il faut vendre à bas prix.

La commercialisation de la récolte repose à la fois sur les circuits de commercialisation ainsi que sur l’accès au réseau routier. La déficience du réseau de communication porte préjudice à la commercialisation des produits agricoles. Cette situation profite aux intermédiaires. L’amélioration de l’accès au réseau routier facilite l’accès au marché pour l’écoulement de la production et l’approvisionnement en intrants et réduit la variabilité des prix. Le réseau routier comme les pistes rurales permettent le fonctionnement du mécanisme autorégulateur du marché à travers une libre circulation des biens et autres facteurs de production. La construction et la réhabilitation des infrastructures routières sont indispensables pour permettre une meilleure compétitivité des produits agricoles.

Nécessité d’une stratégie nationale de diffusion adaptée !

Outre l’amélioration de l’environnement de la filière riz, la vulgarisation du SRI doit reposer sur une bonne politique d’information et de communication. D’une logique de vulgarisation « top down », on doit passer à une approche « bottom-up » qui place les paysans au cœur du processus de communication.

Cette nécessaire réorientation de la communication nationale sur le SRI a heureusement été comprise par les autorités malgaches qui, dans le cadre de la SNDR, ont mis en place une stratégie nationale de diffusion du SRI. Dans cette nouvelle stratégie, le paysan n’est plus « simple acteur » auquel on demande d’adopter une pratique donnée. Il devient ainsi, le moteur du développement du système. Aussi, plus question d’un simple partage des informations, il faudrait aller vers une vraie gestion des connaissances sur le SRI. Les expériences SRI, ayant donné des résultats probants, sont nombreux à travers le pays. A l’instar d’autres pays, la recherche doit s’organiser vers la capitalisation, la valorisation et le partage des résultats de ces expériences.
L’appui des médias permettrait une large diffusion et une meilleure connaissance du SRI qui se trouve être un bel exemple de stratégie d’adaptation aux changements climatiques et à la sécheresse. L’implication de ces médias pourrait également renforcer le sentiment de fierté nationale lorsque les paysans seront plus conscients de l’apport exceptionnel de leur pays dans la révolution des systèmes de riziculture (le SRI qui est aujourd’hui adopté par presque tous les pays rizicoles du monde est née à Madagascar).

L’État doit, davantage, appuyer les efforts du GSRI et de l’association Tefy Saina. Ces plateformes d’acteurs SRI, mènent depuis des années des actions destinées à renforcer la connaissance et l’appropriation du SRI par les paysans malgaches. En affirmant une volonté politique plus forte, l’État pourrait établir une relation de confiance réciproque avec tous les acteurs. C’est seulement dans ces conditions que le SRI pourrait trouver de réelles chances d’essaimer et d’aider Madagascar à relever le défi de la sécurité alimentaire qui taraude encore les dirigeants du pays.

Rijaharilala RAZAFIMANANTSOA

Membre du Secrétariat du GSRI (Groupement SRI Madagascar)
rijaharilala@gmail.com