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L’Ecotourisme vecteur de développement des espaces steppiques du nord-est marocain

Cet article repose sur un diagnostic réalisé au profit de la Direction Régionale des Eaux et Forêts de l’Oriental Marocain . L’objectif principal de l’étude a été de montrer comment l’écotourisme et la valorisation des savoir-faire locaux constituent des axes forts de développement durable du territoire des Hauts Plateaux de l’Oriental. Ce diagnostic a permit de voir que l’éco-tourisme peut constituer une activité génératrice de revenus supplémentaires pour les populations rurales vivant dans l’Oriental Marocain. Cependant, le développement de cette forme de valorisation de l’espace et du savoir-faire local nécessite des actions d’accompagnement dans une démarche participative visant la préservation des ressources naturelles et des paysages.

Le développement des zones rurales et montagnardes écologiquement fragiles ne peut se faire que sur la base d’une diversification des activités économiques soucieuses de la préservation des ressources naturelles et patrimoniales. Le tourisme durable, qui comprend plusieurs formes, pourrait être un des leviers de développement économique et social des territoires ruraux. Ses effets positifs sur l’augmentation des revenus des populations à travers la valorisation des filières de production agricole et artisanale, participent à l’allégement de la pression sur l’environnement. Une planification de cette activité d’une manière cohérente, participative et durable contribuerait à la protection des paysages, de la culture et au développement de nouvelles rationalités économiques qui intègrent les préoccupations de développement responsable.

Etat des lieux du secteur du tourisme dans l’Oriental

Située à l’extrême nord du Maroc, ouverte sur la méditerranée et tout au long de la frontière avec l’Algérie, la région de l’Oriental était longtemps restée à l’écart des activités touristiques de grande ampleur. La fermeture des frontières avec l’Algérie depuis 1994 a affecté lourdement le développement de ce vaste territoire, dont la capitale est la ville d’Oujda. Cependant, durant ces dix dernières années, l’Etat marocain a fait du développement de l’Oriental une de ses priorités (autoroute, chemin de fer, mise à niveau urbaine, création de la méga station balnéaire de Saïdia, aéroport international de Nador, Port…).

Ces investissements publics ont engendré de nouvelles dynamiques économiques et ont joué un rôle primordial dans la réintégration de cette région frontalière dans le territoire national. La carte de localisation suivante montre la particularité de la position géographique de l’Oriental.

Du point de vue du développement touristique, l’Oriental était complètement en marge des espaces touristiques actifs marocains (Marrakech, Fès, Agadir…), malgré ses nombreuses potentialités (plage et désert, plaines et montagnes, espaces de transhumance… réunis en une seule région géographique).

Le développement de la méga station balnéaire, à l’image des stations de la Costa Del Sol espagnole [1] , a généré une économie immobilière spéculative sur le littoral. L’activité touristique s’est considérablement développée et avec elle une urbanisation massive. Ce tourisme de masse qui s’implante ouvre la voie à des initiatives privées pour développer un tourisme alternatif et solidaire portée par les associations ou des entrepreneurs militants du développement durable.

Le développement de l’écotourisme dans l’Oriental

Le diagnostic territorial a révélé le grand potentiel touristique de l’Oriental. La zone des Hauts Plateaux et des montagnes sont un territoire plus propice à la création d’une première activité éco-touristique. La richesse des ressources touristiques et leur diversité (faune, flore, pastoralisme, culture paysanne, art, tradition et artisanat, désert, Oasis, SIBE…) plaident pour le développement de l’écotourisme comme une activité économique complémentaire aux autres revenus de la population des Hauts Plateaux. Par contre, ces ressources et ces paysages subissent différentes formes de dégradation au même titre que le patrimoine historique et culturel matériel et immatériel rural.

L’élevage est indéniablement le moteur économique actuel des Hauts Plateaux. Cependant ceci n’est pas sans conséquence, la pression sur le couvert végétal est très visible. Même si l’agriculture demeure encore marginale, on constate que son développement est en croissance, motivé particulièrement par une compétition sur la mélkisation (appropriation de fait) du foncier pastorale.

Au-delà de l’activité pastorale sur les parcours, l’enjeu de l’appropriation du foncier représente une préoccupation fondamentale des populations des ayants droit. Avec l’apparition de l’agriculture et la sédentarisation de la population, la terre est de plus en plus convoitée par des profils qui n’ont aucun lien ethnique ou de parenté avec les structures lignagères en place. Des investisseurs d’origine diverses visent le foncier collectif sous des formes contractuelles spéciales, avec le consentement du Ministère de l’Intérieur qui en a la tutelle pour y installer des projets (agriculture de rente, tourisme, agro-industrie, services…). De grands domaines ont ainsi émergé et suscitent par la même occasion des peurs multiples sur le devenir de la propriété collective et sa destinée.

Cette situation est généralisée à l’ensemble des terres de parcours concernées par l’étude. La dynamique démographique, la dégradation des parcours et les différentes concessions alimentent un climat d’insécurité collective.

Ce constat met l’accent sur la nécessité de développer des activités alternatives comme l’écotourisme. Celui-ci par sa forme rationnelle et responsable d’exploitation touristique des ressources, il procure des bénéfices économiques et sociaux pour les territoires et leurs communautés locales. Ainsi, l’écotourisme s’avère une des solutions les plus pertinentes de développement durable des espaces steppiques vulnérables de l’Oriental. Il pourrait constituer également un moyen de lutte contre la pauvreté et la dégradation des milieux, par le biais des revenus qu’il génère et des emplois qu’il crée tout en contribuant à la sensibilisation et à de l’éducation des populations locales.

La présence d’une dynamique associative très diversifiée et de nombreuses organisations professionnelles agricoles est une opportunité pour tout projet de développement territorial. La prédisposition des institutions publiques en place (Haut Commissariat aux Eaux et Forêts, les Services de l’Agriculture, du Tourisme, de l’Artisanat, l’Agence de Développement des Provinces de l’Oriental, l’Agence de Développement Social…) à développer des partenariats avec la société civile est un autre point fort malgré les conflits qui puissent surgir dans les visions et les modes d’intervention. Le manque de concertation entre ces différents intervenants est encore visible et complique davantage la mutualisation des moyens et le développement d’une « bonne gouvernance locale ».

Cependant, un partenariat fiable et durable entre ces intervenants institutionnels publics et civils constitue un support privilégié au développement de l’écotourisme.

Du marketing territorial pour renforcer image touristique de la zone des Hauts Plateaux..

L’analyse des ressources touristiques montre que la zone dispose de plusieurs forces pour planifier des produits touristiques diversifiés et qui peuvent valoriser le patrimoine culturel et naturel local. Elle n’a pas forcément la vocation d’émerger comme une destination touristique à part entière mais elle pourrait profiter de son ouverture sur la Méditerranée et drainer des segments de clientèles touristiques importants.

Il faudrait par contre développer une image marketing forte pour attirer une clientèle ciblée et à la recherche de la nature, de la culture et d’une ruralité encore préservée tant au niveau de la culture de la transhumance ou des savoir-faire paysans et artisanaux encore vivants. Le mode de transhumance, les arts et traditions musicales locales, la gastronomie authentique, les paysages... sont autant de forces mais qui ne sont pas réellement mises en valeur. Pire encore, elles sont souvent assujetties à une représentation négative de la part des habitants qui aspirent à la « modernité ».

En effet, quand on parle de la zone dans les grandes villes, la représentation dominante qui se dégage, c’est « il n’y a rien à faire », « zone de contrebande avec l’Algérie », « région frontalière risquée », « zone de parcours et d’élevage », « zone à mentalité arriérée », … mais à aucun moment ils n’évoquent que la zone dispose d’une superficie forestière importante et avec des paysages magnifiques ou encore de patrimoine riche et diversifié. C’est probablement sur cette représentation négative des jeunes qui ne voient de solution que dans l’émigration qu’il faudrait agir pour la transformer en atout pour le développement local. Ces jeunes peuvent être insérés dans des projets de tourisme rural.

Le développement que connait la zone durant ces dernières années mérite d’être accompagné par ce marketing territorial. Nous avons relevé durant nos entretiens cette perception, certes encore timide, mais réelle que la zone est sur la voie du décollage. « C’est une zone qui commence à bouger », nous disent-ils. L’aménagement de l’autoroute, les nombreux projets immobiliers, l’attractivité que suscitent une ville comme Oujda dans le cadre de la politique d’aménagement du territoire national, les investissements publics, les visites régulières du Roi Mohamed IV, les manifestations culturelles et rencontres nationales, les projets de développement en cours, … sont des indicateurs de changement. Il faudrait donc s’inscrire dans ce contexte d’une région frontalière qui bouge et qui reprend sa place entière dans le territoire national pour offrir une image touristique qui interpelle les imaginaires collectifs et individuels tant à l’échelle nationale qu’internationale.

Le désenclavement des territoires que créent les nouvelles technologies de l’information (Internet, réseaux…) offre une opportunité extrêmement forte pour construire cette image et promouvoir ainsi les activités économiques et sociales des Hauts Plateaux. C’est probablement sur ces outils de communication qu’il faudrait travailler afin d’accompagner la dynamique que connait la zone et la diversité de ses recoins et espaces.

Il nous semble que la zone a tout à gagner d’une association avec les Sites d’Intérêt Biologique et Ecologique crées (Achakhar, zones alfatières et steppiques…). Ceci participera à renforcer cette image nature-culture, écotourisme et biodiversité. Les premières clientèles à cibler sont d’abord internationales très sensibles à ces produits touristiques. Les clientèles nationales sont plus attirées actuellement par la plage, et des sites particuliers où une concentration pendant le printemps et l’été est visible (Tissourine, gafayet …). Cependant, il ne faut pas les oublier ou les négliger dans cette planification car, de plus en plus on constate une élite de marocains qui cherchent des produits de randonnée et d’écotourisme. C’est un marché qui va prendre de l’ampleur suite à la croissance de la consommation des voyages des classes moyennes et supérieures nationales. La sensibilité à l’égard de l’environnement connait une croissance au Maroc et la stratégie 2020 du tourisme met l’accent sur le développement du tourisme national.
Le montage de circuits touristiques est une action prioritaire pour le développement de l’écotourisme à l’échelle des Hauts Plateaux de l’Oriental. Au « pays de la transhumance et du pastoralisme » il devient nécessaire de planifier des circuits ou itinéraires de voyage selon les standards internationaux et avec une planification de l’hébergement et des activités qui auront des retombées communautaires sur les populations des Hauts plateaux. Ce sont donc des activités génératrices de revenus (AGR) qui vont contribuer au développement humain et à la lutte contre la pauvreté avec la finalité d’alléger la pression sur les ressources naturelles. Cette dernière dimension est fondamentale au niveau de la protection de l’environnement pastoral d’une manière générale.

La dimension de la protection durable des ressources naturelles doit être la finalité même du développement de l’activité touristique. L’étude des impacts sur les écosystèmes steppiques doit être systématiquement prises en compte afin protéger les ressources.

Le développement de l’écotourisme dans les Hauts Plateaux aura aussi de multiples effets sur le développement d’activités génératrices de revenus. En effet, le tourisme est par excellence un levier de développement d’un ensemble d’activités à caractère sociales, économiques et culturelles.

La mise en valeur de l’artisanat et des produits locaux peut passer par la création d’initiatives privées, associatives ou coopératives. Ceci permet d’une part de sauvegarder le savoir-faire traditionnel et d’autre part de diversifier les sources de revenus de la population. Les AGR à développer sont celles qui contribueraient à la dynamique écotouristique souhaitée sur le territoire. Elles concernent principalement les secteurs suivants : l’apiculture, les plantes aromatiques et médicinales, le tissage, la broderie, la poterie, le travail du bois, la forge, les fruits secs, les huiles essentielles, les produits agricoles de terroir, etc.

En effet, la création des opportunités de développement touristique dans la zone des Hauts plateaux favorisera une insertion socioéconomique des jeunes et participera à la dynamique de développement territorial. La migration externe vers l’Espagne et l’Italie ou ailleurs particulièrement présente dans cette zone pourrait être ciblée comme un facteur de développement en incitant les migrants à investir dans l’écotourisme.

Zoubir CHATTOU

Sociologue-anthropologue

Ecole National d’Agriculture de Meknès, Maroc

Zoubir.chattou@gmail.com