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La consommation d’insectes comme stratégie d’atténuation de la malnutrition : expériences de la région du Centre Cameroun

Avec une population en forte croissance et une libéralisation contraignante pour les petits producteurs, la sécurité alimentaire et nutritionnelle des communautés de la région Centre du Cameroun est menacée. Dans cette région, sur le plan économique et alimentaire, les insectes constituent aujourd’hui une alternative. Pour les familles rurales pauvres, cette pratique a permis de renforcer les pratiques alimentaires et de générer des revenus supplémentaires. Tous les ingrédients d’une bonne pratiques dont la documentation et la mise à l’échelle pourrait contribuer à améliorer l’alimentation et les revenus des ruraux.

Depuis 2010, la région du Centre est considérée comme l’une des plus peuplées, avec plus de 60% de sa population concentrée dans le département administratif qui abrite la capitale politique Yaoundé. Avec un taux de croissance surfacique impressionnant, la ville de Yaoundé attire une population très hétérogène et nombreuse, ce qui constitue un grand défi pour l’alimentation et la nutrition, mais aussi un fort potentiel économique pour les campagnes proches.

De plus, avec la libéralisation prônée comme l’option radieuse d’amélioration de la performance macro-économique, les plus « oubliés » parmi les parties prenantes ont été sans doute les plus petits, les moins consultés et pourtant ceux la qui nourrissent le reste, c’est-à-dire les petits agriculteurs. Il suffit de suivre l’évolution du nombre d’abandon des plantations cacaoyères et le faible engouement observé pendant plus de 10 ans dans cette région du Cameroun.

Face à ces enjeux, il devient nécessaire pour les communautés de trouver des alternatives alimentaires pour diversifier les sources de nourriture. C’est ainsi que les communautés paysannes de la région centre du Cameroun ont opté pour l’entomophagie (consommation d’insectes). comme solution pour faire face aux défis alimentaires et nutritionnels.

Vantées dans les années quatre vingt par un humoriste de renom originaire de la région du Centre, les chenilles de Ngomedzap n’ont retenu que trop tardivement l’attention des medias et surtout du monde scientifique. En effet, il aurait paru avoir manquée le coach de la « civilisation » que de manger des insectes sauvages devant l’occidentalisation ambiante, y compris des habitudes alimentaires. Faisant fi de ce regard réprobateur, des communautés entières ont maintenu des stratégies de diversification des sources alimentaires par exploitation des ressources alternatives. Plus précisément le rôle des insectes comestibles dans la ration alimentaire des couches rurales pauvres et de plus en plus dans celles des couches aisées et urbaines tend à être reconnu dans le pays.

Les expériences en matière d’exploitation de ces ressources alternatives saisonnières sont peu documentées, pourtant elles recèlent des riches informations relatives aux stratégies des familles rurales pour mieux se nourrir. Plusieurs espèces d’insectes sont consommées dans la région du Centre. Parmi les espèces plus fréquemment mentionnées, il est ressorti les groupes suivants : les hannetons (plus les larves), les chenilles (notamment les processionnaires), les sauterelles appelées localement criquets verts, les criquets puants, les termites et les fourmis. Mais les proportions de consommation ne sont pas les mêmes comme nous le montre la figure suivante :

Les espèces d’insectes consommés dans la région du Centre Cameroun

En général, dans tous les départements du Centre, l’on rencontre au moins un consommateur d’insectes. Les insectes sont une ressource alimentaire grandement utilisée par presque toutes les communautés dans le Centre, certaines étant relativement plus consommatrices que d’autres.

La consommation d’insectes dans les différents départements de la région du Centre Cameroun

La consommation urbaine constitue un commerce périodique d’appoint pour les petites familles ou des détaillants urbains. La consommation différée comprend entre autres techniques la petite transformation, notamment le séchage, l’ébouillantage et aussi la conservation par cuisson-séchage. Il est de plus en plus reconnu que les insectes sont riches en protéines, et facilement accessibles. Dans d’autres contextes, notamment asiatiques l’élevage des insectes comestibles a fait l’objet d’investigations poussées et vulgarisées déjà hors des cercles des laboratoires.

L’élevage des insectes serait une source complémentaire nutritionnelle pour les familles rurales. En effet, le large savoir endogène regorge des procédés parfaitement reproductibles sur la base de la connaissance des écologies des espèces recherchées. Dans des vergers familiaux, le maintien de certains arbres constitue en fait un moyen d’assurer le ramassage des insectes au temps convenable.

Le tableau suivant récapitule la liste des arbres sur lesquels les chenilles construisent des nids ou s’alimentent dans la région du Centre :

Dans le Centre du Cameroun il n’y a pas encore de domestication réelle des insectes comestibles exploités dans les communautés rurales. C’est la capture ou encore l’exploitation des ressources dans la nature qui est largement pratiquée. Il apparait qu’environ 90% de la population du Centre utilisent les insectes (au moins un type d’insecte), que ce soit pour la consommation, la vente, ou à des fins médicinales. Mis à part certains marchés de vivres frais de Yaoundé (Mvog-Mbi, Mvog-Ada, et à Nkoldongo) où l’on trouve les larves de hannetons en permanence (avec une claire distinction des origines et des types de palmiers). De manière générale, il n’y a pas de circuit de commercialisation proprement dit dans la région. Le gros des prises est essentiellement consommé dans les familles des villages environnants, alors que le potentiel commercial reste intéressant.

Les modes de cuisson des insectes sont divers et variés et dépendent de la localité où l’on se trouve. Dans certaines communautés, les insectes sont réputés contribuer au relèvement des enfants ou des adultes convalescents ou malnutris. Des efforts scientifiques régionaux ou nationaux devraient encourager et intégrer ces pratiques entomophagiques dans les perspectives de sécurités alimentaire et nutritionnelle des populations, et avec des perspectives beaucoup plus larges.

Félix Meutchieye,

Enseignant-Chercheur (Amélioration Génétique et Systèmes des Productions), Université de Dschang, Cameroun

Emeline Tsafo Kapi,

Elève-Ingénieur Agro Zootechnicienne, Université de Dschang, Cameroun

Ursule Claire Mekongo Fombod,
Ingénieur-Responsable ONG (AEAC), Yaoundé, Cameroun

Saliou Niassy,

Entomologiste-Chercheur ICIPE, Kenya

Références :

Meutchieye F., Niassy S., Njila N. R., Tsafo K. M., Mekongo U. C. 2014. Insects for food : smart climate opportunities prospects for developing countries. Proceedings 4th Life of Sciences Conference, University of Dschang, August 2014 (in press).

Meutchieye F., Niassy S. 2014. Commercialisation of Rynchophorus phoenicis larvae at Mvog-Mbi Market in Yaoundé Cameroon. Proceedings 6th All Africa Conference on Animal Agriculture, Nairobi-Kenya, 26-30 Octobre 2014 (in press).