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Les stratégies de commercialisation des produits maraîchers sur le marché de Maroua, au Cameroun

La ville de Maroua, dans le Nord Cameroun, constitue un important centre de commerce pour les produits maraichers. La demande
est croissante du fait de l’augmentation de la population. La chaine d’approvisionnement du marché de la ville est entretenue par
un réseau de grossistes, d’intermédiaires et de détaillants qui s’appuient sur des circuits de commercialisation complexes pour
assurer la collecte et la redistribution des produits maraichers.

Le maraîchage joue un rôle économique considérable pour les populations du Nord Cameroun. Il constitue un appoint non négligeable dans l’alimentation. C’est aussi une source de revenus substantiels qui permet à certaines populations locales de compléter les recettes issues de la vente du coton.

La ville de Maroua est l’un des centres de collecte et de redistribution les plus dynamiques de la région. La demande urbaine croissante en produits maraichers liée à l’explosion démographique (soutenue par la création de l’Université de Maroua) et les traditions culinaires qui imposent l’utilisation presque systématique de certains produits maraichers (par exemple l’oignon rentre dans 80% des préparations culinaires dans la ville de Maroua), sont parmi les facteurs qui entretiennent le développement du commerce des produits maraichers dans la ville.

Aussi, dans la chaine de valeur des produits maraichers, la commercialisation est l’un des maillons qui assurent les plus fortes valeurs ajoutées. C’est pourquoi, elle mobilise un nombre important d’acteurs. Les commerçants sur l’immédiat ont des stratégies comportementales variées. Ils s’approvisionnent sur des zones en fonction de l’offre de la zone et de la demande sur le marché. Ainsi, avec le développement de l’agriculture peri-urbaine au cours de ces dernières années, les zones d’approvisionnement les plus proches se trouvent à l’intérieur même de la ville ou à sa périphérie immédiate.

L’oignon, la tomate, le piment, le gombo et les légumes feuilles sont les produits les plus commercialisés. L’essentiel des produits, vendus sur le marché de Maroua, proviennent des zones périurbaines de la ville mais aussi des localités de Koza, de Mora, de Mokolo et de Yagoua. Ces zones présentant plus ou moins des avantages comparatifs et le ravitaillement de certaines zones est fortement tributaire des saisons. Il faut aussi signaler les apports non négligeables en provenance du sud Cameroun pour combler les déficits de production de la région en saison sèche.

Le commerce de produits maraichers a un impact important sur l’économie locale de Maroua et de toute la région qu’elle polarise. Certains auteurs estiment que les produits maraîchers contribuent au total pour près de 30 millions de francs CFA par jour, aux revenus des différents acteurs au Nord Cameroun, soit environ plus de 6 milliards de FCFA par an.

Diversités des acteurs dans le système de commercialisation des produits maraichers

A Maroua, on observe dans le circuit de commercialisation, une certaine spécialisation des acteurs autour des catégories de produits dont les principaux sont : l’oignon ; la tomate ; les légumes de type Européen (laitue, Carotte, Choux, Aubergine, Poireau, Courgette, …) et les légumes locaux (Gombo, Foléré, Lalo, Gouboudo…). L’offre des produits sur les marchés est fortement saisonnière. Cette saisonnalité des produits entraînent une fluctuation et une instabilité permanente des prix sur les marchés.

Suivant le volume de marchandises écoulé et la structure du commerce, les acteurs les plus prépondérants dans le circuit de commercialisation sont les grossistes, les intermédiaires et les détaillants.

Les grossistes sont des acteurs très importants dans la filière oignon et tomate. Ils approvisionnent les marchés de la ville en volume de produit importants. La production maraîchère de la zone urbaine de Maroua n’étant pas suffisante pour satisfaire la demande des marchés de Maroua. Ils sont chargés de collecter ou d’évacuer la production vers les zones de consommation. Ils livrent les quantités achetées des zones de production sur les principaux marchés de consommation à des détaillants.

Cette activité est exercée, le plus souvent, par des personnes de sexe masculin, possédant ou non des camions. Les grossistes entretiennent des relations très intenses avec les producteurs et les détaillants, ce qui régularise harmonieusement leurs échanges. Cette activité est très rentable pour ces acteurs.

Les intermédiaires ou « dilalis » sont présents entre grossistes et producteurs. Ils sont des maillons importants de la filière oignon, car, intervenant dans la régulation au sein du marché et acceptant les produits quelle que soit la situation sur le marché. La plupart des commerçants ne connaissent pas les producteurs : ils confient aux intermédiaires le soin de collecter les quantités dont-ils ont besoin. Cette opération doit se faire rapidement pour permettre aux commerçants, informés régulièrement de l’évolution des prix sur les marchés, d’expédier leurs produits dans les marchés de Maroua ou du sud du pays. Le rôle d’un « dilalis » consiste à repérer les producteurs, leur distribuer les sacs vides des commerçants, en surveiller le remplissage et assurer le chargement des camions. Il perçoit pour ce service une rémunération d’environ 200 FCFA par sac. Bien qu’il joue un rôle dans le circuit de distribution, les actions sont très souvent décriées par les producteurs et les grossistes. Ils contribuent à réduire sensiblement les marges bénéficiaires des grossistes et des producteurs.
Les détaillants, occupent le dernier maillon de la chaine de commercialisation. Dans une région, où la pauvreté est très présente, la vente en détail des produits maraîchers est une activité très dynamique, qui intéresse les deux sexes dans les marchés de Maroua. A partir de leurs capitaux modestes, les détaillants commercialisent des quantités relativement importantes et sont spécialisés par produit ou type de produit. Ils sont dispersés dans les marchés selon l’organisation du marché. Leur offre varie selon les saisons et dépend de l’approvisionnement des grossistes. En outre, du fait de la non structuration du marché par type de produit, on rencontre aussi des détaillants ambulants qui distribuent surtout des produits périssables et arrêtent leur activité pendant la saison sèche (offre faible). On rencontre aussi des détaillants de rue qui proposent des petites quantités de produits pour les ménages du quartier. Enfin, les revenus des détaillants sont modestes, ils varient de 500 FCFA à 3 000 FCFA par jour selon les saisons et les produits vendus.

Des circuits de commercialisation complexes

L’analyse des circuits de commercialisation met en exergue trois types de circuit à travers lequel les produits transitent des producteurs aux consommateurs :

  • Les circuits longs ou complexes pour l’oignon et la tomate. Les filières longues empruntées par la tomate et l’oignon sont liées à la durée de conservation ou périssabilités des produits, aux volumes et aux zones de production. Quatre ou cinq intermédiaires interviennent le plus souvent dans la distribution : grossiste, semi-grossiste, intermédiaire, détaillant.
  • Les circuits courts pour les légumes de type européen. Dans ces cas, il existe peu d’intermédiaires entre les producteurs et les consommateurs.
  • Les circuits directs pour les légumes de type locaux, où il n’existe presque pas d’intermédiaire entre les producteurs et les consommateurs.

Dans ce circuit, l’on observe qu’en période de surproduction les grossistes attendent que les maraîchers viennent les trouver alors qu’en période de rupture, les grossistes se déplacent sur les champs pour continuer leur activité. C’est l’occasion pour eux de nouer des relations avec les maraîchers. Le même phénomène est observé en période de surproduction entre les intermédiaires et les détaillants : les intermédiaires se déplacent vers les détaillants pour vendre la marchandise qui leur est confiée et qu’ils ne peuvent pas refuser. En période de pénurie ou pour les autres légumes, les détaillants doivent se déplacer et trouver les producteurs, la demande étant supérieure à l’offre. Les maraîchers quant à eux se déplacent rarement, ils attendent les détaillants dans leur champ (ils se déplacent quelquefois en période de surproduction pour certains produits). Nous constatons aussi que la majorité des produits maraîchers vendus dans les marchés de Maroua proviennent des circuits locaux (dans la province de l’extrême nord) et/ où régionaux (sud du pays vers l’extrême nord).

Enfin, dans les circuits de commercialisation, la régulation du marché se réalise au niveau de tous les acteurs. On constate qu’en période d’abondance le crédit est courant et accepté pour tous les acteurs. Par contre en période de pénurie, le crédit n’est plus accepté, ce qui conduit à l’élimination des acteurs les plus pauvres qui se replient alors sur la vente d’autres produits où arrête l’activité.

Des contraintes de la commercialisation assez fortes

La commercialisation des produits maraîchers dans la zone est soumise à plusieurs distorsions qui entraînent le dysfonctionnement des marchés dans la ville de Maroua.

* Asymétrie d’information

L’Asymétrie d’information constitue un goulot d’étranglement pour de nombreux acteurs. Elle porte aussi bien sur la qualité des biens que sur la connaissance des « prix de marché » : des petits producteurs isolés ayant un accès restreint à l’information sur les prix moyens pratiqués sont en situation d’infériorité vis-à-vis des commerçants et grossistes. Cette situation est due probablement à l’émiettement des structures de production, de la vitesse de dégradation des produits, de la non standardisation des unités de mesure. Cela est source d’instabilité des prix qui perturbent l’efficacité des ajustements entre l’offre et la demande dans les marchés.

*Absence des structures de marchés

Le développement des cultures maraîchères dans la zone ne s’est pas accompagné d’une politique d’aménagement des marchés avec des structures adéquates et adoptés. Ainsi, l’on observe une saturation et mauvaise organisation des marchés, ce qui suscite l’apparition de marchés spontanés informels sur les bords de route ou dans les quartiers et la vente ambulante. Les problèmes posés par ces nouveaux marchés sont l’absence de protection contre les intempéries mais également l’absence d’aménagements favorisant la circulation des produits ou de dispositions concernant l’évacuation des déchets, d’où des engorgements fréquents et par conséquent, le problème de qualité. On note aussi, une absence de structures de stockage (magasin, chambre froide) et de capacité de transformation dans les marchés. Face à la saisonnalité et la périssabilité des produits, cela entraîne des pertes énormes pour les producteurs et les commerçants. Car ils n’ont pas la possibilité de stocker et de transformer les produits en période de grandes productions.

*Difficultés de transport

Ces problèmes se rencontrent d’une part à cause de l’atomisation de l’offre et d’autre part du fait de l’éloignement des producteurs par rapport aux marchés. Dans les marchés, les commerçants éprouvent d’énormes difficultés de transport des produits des zones de production vers les marchés. L’on observe des difficultés pour les producteurs par exemple d’oignons de trouver des transporteurs les conduisant sur des marchés (Maroua, du sud du pays et en République centrafricaine) en période de grandes récoltes. On peut aussi signaler le mauvais état des pistes en zone périurbaine et enfin, on note, des tracasseries policières qui ne permettent pas toujours aux commerçants de transporter les produits dans les meilleures conditions jusqu’au différents marchés. Tout cela entraîne des coûts de transactions importantes, qui augmentent les prix de détail et limitent la commercialisation des produits.

*Mauvaise organisation logistique des filières

Dans la zone, on observe une mauvaise organisation des acteurs des filières aux niveaux du transport, du conditionnement, de l’expédition et de la vente dans les marchés. Ces facteurs sont également rattachés à l’instabilité forte de ces marchés pour des produits frais. Cette mauvaise organisation à un impact sur la fluidité des échanges des produits frais. Enfin, la surproduction conjoncturelle, qui provoque l’effondrement des cours est fréquente dans le marché du maraîchage.

Lever les contraintes liées à la commercialisation des produits maraichers pour une meilleure rémunération des acteurs

Pour régler le problème des distorsions qui entravent le bon fonctionnement des marchés des produits maraichers à Maroua il y a nécessité de mettre sur pied un système d’information de marché efficace et de favoriser une meilleure coordination des acteurs.

En effet, les systèmes d’information de marché (SIM) ont été introduits dans le cadre des politiques de libéralisation, au cours des années 1980, comme des dispositifs publics ayant pour fonction de collecter et diffuser des informations sur les échanges de produits agricoles, cela permet de renforcer davantage les échanges entre les acteurs du système de commercialisation.

Plus spécifiquement, les SIM visent à améliorer la transparence du marché et à réduire les asymétries d’information, afin de faciliter les arbitrages spatiaux et temporels et de favoriser une distribution équitable de la valeur entre les différents acteurs, du producteur au consommateur.

Ils permettent, en outre, d’assurer un suivi des marchés et de fournir des analyses aux décideurs publics, pour orienter des politiques agricoles, alimentaires et commerciales, et apprécier l’impact des mesures mises en œuvre (la situation du marché constituant plus largement un révélateur de l’état du secteur agricole).

Nous pensons que les principaux effets attendus de la diffusion en temps voulu d’une information sur les marchés adaptée aux besoins des acteurs locaux sont entre autres :

  • une amélioration de l’efficience du marché grâce à l’intensification des arbitrages et de la concurrence, à la réduction des coûts de transactions et à une meilleure allocation des ressources, qui doivent se traduire par une réduction du différentiel de prix entre le producteur et le consommateur et une meilleure intégration des marchés ;
  • une amélioration de l’équité par la réduction des asymétries d’information, notamment entre les commerçants et les producteurs, qui se traduirait par une meilleure rémunération des producteurs.

Denis Pompidou FOLEFACK
Chercheur, Agroéconomiste, PhD. Institut de Recherche Agricole pour le Développement (IRAD), Ministère de la Recherche Scientifique et de l’Innovation (MINRESI), B.P. 1457 Yaoundé, Cameroun.
dfolefack@yahoo.fr

Darman Roger DJOULDE
Enseignant - Chercheur, PhD, Institut Supérieur de Sahel (ISS), Université de Maroua, Maroua, Cameroun.
djoulde@gmail.com