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Les visites d’échange : un outil de promotion de la RNA au Mali

L’agriculture constitue l’une des principales activités des populations vivant dans la région de Mopti, au Mali. Mais, à cause de la déforestation et de la dégradation avancée des terres, la productivité et la production agricoles sont sérieusement compromises. En réponse à ces problèmes qui impactent négativement sur la sécurité alimentaire, les communautés et les ONG, ont travaillé à la promotion de la régénération naturelle assistée (RNA), une méthode éprouvée qui redonne au sol sa vitalité productive et qui contribue au reverdissement. La mise à l’échelle de la RNA a été facilitée grâce à l’organisation de visites d’échange à l’intention des paysans, en vue de les sensibiliser sur les avantages de cette méthode agro-écologique.

Située en plein cœur de la zone sahélienne, la région de Mopti, au Mali, souffre d’une fragilité chronique des équilibres écologiques. Le changement climatique, ainsi que la sécheresse persistante, ont engendré une dégradation très avancée des ressources naturelles, amplifiée par des facteurs anthropiques, tels que la déforestation et le recours à des méthodes culturales inappropriées.
L’activité agricole, base de la survie des populations locales, connait, ainsi, de sérieux problèmes. Les sols dénudés et soumis presque en permanence aux agents d’érosion ne sont plus en mesure de soutenir une productivité importante, d’où l’insécurité alimentaire persistante.

Une telle situation a amené certaines populations de la région à réfléchir à des solutions pouvant permettre d’atténuer les effets et impacts de la sécheresse.

Dans le district de Bankass, les populations du village de Endé ont mis au point une stratégie innovante visant à régénérer les ressources naturelles, notamment les sols. Depuis plus de dix ans, elles développent des activités de régénération naturelle assistée (RNA), une méthode consistant à laisser les arbres se développer dans les parcelles de culture. Ces arbres, dont la croissance est scrupuleusement suivie par les paysans, sont d’excellents auxiliaires de culture contribuant à la fertilité et à la protection des sols. Avec la RNA, les communautés paysannes du village de Endé sont devenues beaucoup plus résilientes face à la sécheresse et au changement climatique.

Les agriculteurs se sont regroupés au sein d’une association inter-villageoise appelée « Barahogon » pour mieux coordonner leurs actions de promotion de la RNA.

Les succès enregistrés par cette association ont suscité la curiosité de beaucoup d’autres paysans d’autres districts qui n’hésitent plus à faire le déplacement pour voir cette expérience et s’en inspirer pour inverser la tendance à la dégradation des ressources qui les affecte.

Une visite d’échange pour vulgariser l’expérience de Bankass

Comprenant l’intérêt que les autres communautés paysannes tireraient à s’inspirer de leurs homologues de Bankass, Sahel Eco, une ONG d’appui à la gestion des ressources naturelles et intervenant dans les cercles de Tominian et de Bankass s’est alors engagée dans une action de promotion de la RNA dans sa zone d’intervention. La visite d’échange est l’option choisie par Sahel Eco pour mieux amener les paysans du cercle de Tominian à comprendre et à adopter massivement cette méthode agro écologique. Voir de ses propres yeux et échanger avec les acteurs à la base, il n’y a pas meilleur moyen pour se convaincre de l’importance et de la pertinence d’une technique agricole. Telle est la logique qui a présidé à l’adoption d’une telle stratégie de vulgarisation.

C’est en Juin 2009 que Sahel Eco, a organisé une visite unique au profit des agriculteurs du cercle de Tominian. Ils se sont rendus à Bankass, pour visiter et apprendre de l’expérience de Barahogon.

L’hypothèse était qu’en voyant la différence entre les périmètres emblavées suivant les principes de la RNA et les champs sans RNA et en échangeant directement avec leurs homologues de Bankass sur comment leur est venue l’idée de faire la RNA et ce que cela leur a rapporté, que les paysans venus de Tominian tombent sous le charme de cette méthode et décident de leur propre chef de l’adopter dans leurs propres champs sans qu’on n’ait à les y convaincre.

Organisation et déroulement de la visite d’échange

Cette visite a été réalisée en juin 2009 au bénéfice de soixante un (61) membres dont vingt cinq (25) femmes de quatre (04) organisations paysannes de Tominian.

Par mini-bus, les agriculteurs sont venus de Tominian au village Endé, en passant par la ville de Bankass. Ils ont visité des fermes et des familles d’agriculteurs qui ont démontré les aspects techniques de la RNA. Les participants ont discuté des aspects organisationnels et réglementaires de la RNA avec le comité directeur de l’association « Barahogon ». Elle a été suivie par une visite aux sites de fixation des dunes de sable, qui est une technique de stabilisation des dunes de sable en plantant des arbustes d’euphorbes.

Sur place, les visiteurs n’ont pas manqué de s’émerveiller devant la profusion d’arbres dans les parcelles de culture. Naturellement, les langues se sont déliées et les questions ont fusé de partout pour comprendre une telle différence entre les paysages lunaires des champs qu’ils ont laissés au village et les espaces boisés qu’ils découvrent à Endé alors que les conditions pédo-climatiques sont partout les mêmes. Une question posée par une femme participant à la visite et répondant au nom de Naomie Démbélé, résume bien l’émerveillement des visiteurs qui tous, ont brûlé d’envie de comprendre le secret des paysans de Endé.

« J’aimerai savoir comment vous avez fait pour arroser une si large plantation alors que le point d’eau le plus proche est situé à plus de 4km ? »

Le président du Barahogon a répondu en ces termes : « Madame, les arbres que vous voyez là n’ont pas été plantés à plus forte raison d’être arrosés. Cette forêt est le fruit de deux activités : La protection de cette zone contre les coupes abusives à travers un accord tactique avec le service forestier, et l’application par beaucoup de paysans de la technique de la RNA. »
S’ensuivront alors de longs échanges sur les principes de la RNA, ses exigences, les espèces les mieux adaptées à cette pratique, les techniques d’élagage des arbres, les retombées en termes de productivité, etc.

Suite à ces échanges, Madame Naomie a reconnu la pertinence de la RNA et a invité tous les délégués à faire une restitution afin que le maximum de paysans adopte cette technologie.

Au retour, les visiteurs ont fait la restitution au sein de leurs organisations et villages.

Résultats : une large diffusion de la RNA

Le suivi des résultats de la visite a porté sur le taux d’adoption de la technique RNA par les ménages à travers trois sous indicateurs à savoir :

-  le pourcentage de ménages ayant adopté la RNA,
-  la superficie des champs régénérée par ménage, et
-  la densité d’arbres par hectare.

- 40 - 50% des ménages pratiquent la RNA dans tous les 20 villages membres des organisations paysannes.

- Chaque ménage a pratiqué la RNA sur une superficie d’au moins un (01) hectare Sur les parcelles où la RNA a été pratiquée, les densités des arbres vont de 25 à 50 arbres par hectare.

Ce qui a fait de cette visite un succès.

Le choix des participants

Le choix des délégués était important pour faire de cette visite un succès. Trois critères ont été utilisés pour les sélectionner. Les délégués devaient être des membres actifs d’une organisation paysanne, être en mesure de communiquer les résultats au niveau du village et de faciliter une démonstration pratique à travers les champs-écoles.

Une importante participation des femmes

Dans le choix des participants à la visite, un quota important fut réservé aux femmes. Elles jouent, en effet, un rôle important dans les activités agricoles et leur participation à cette visite a été déterminante dans la contribution croissante des femmes à la production. Elle a favorisé l’adoption massive de la RNA dans leurs champs et une hausse importante de la productivité (arachide, niébé, sésame).

La restitution des résultats

Le facteur le plus déterminant est la restitution des résultats de la visite par les délégués dans tous les villages membres des coopératives ayant participant à la visite. En effet, les restitutions villageoises ont permis d’informer et de former de nombreux paysans aux techniques RNA dans le cercle de Tominian. Au cours de ces séances de restitution, les délégués ont animé des champs-écoles au cours desquels, des démonstrations pratiques des techniques RNA ont été faites.

Une méthode simple aux avantages multiples

Un autre facteur est que la RNA est pertinente et attractive. C’est une technique endogène, simple et peu coûteuse et les bénéfices sont multiples (bois, fertilité du sol, fruit, etc.). Enfin, l’abondance des espèces de grande valeur économique (karité, néré, raisin sauvage, etc.), l’application des techniques de visualisation des jeunes pousses pendant les travaux champêtres et la pluviométrie abondante dans le cercle de Tominian ont joué favorablement à l’atteinte des résultats cités ci-haut.

Quelques facteurs limitant.

Certaines dispositions des textes législatifs et règlementaires de gestion des ressources naturelles du Mali sont contraignantes. Ici, il s’agit surtout de l’ambiguïté du statut de l’arbre champêtre et d’une mauvaise application de la loi par les agents forestiers.

Il faut noter également les séquelles des paquets technologiques vulgarisés par la Compagnie Malienne de Développement Textile (CMDT) tels que le dessouchage des arbres dans les champs. Ces pratiques, contraires à la technique RNA persistent toujours dans les zones de culture du coton.
L’insécurité foncière qui frappe certaines catégories sociales (non propriétaires terriens) a été le facteur qui a limité la réalisation de la RNA sur des superficies plus grandes.

Comme autres facteurs qui ont limité l’adoption de la RNA dans le cercle de Tominian, il faut noter les effets négatifs de l’ombrage de certaines espèces d’arbres sur les cultures, l’interdiction d’élaguer les espèces d’arbres par les forestiers et la perception de certains paysans qui considèrent qu’une forte densité attire les oiseaux.

Conclusion

Cette visite nous permet de confirmer, s’il en était encore besoin, un vieil adage qui dit : « Mieux vaut voir une fois que d’entendre cent fois ». Sans remettre les formations classiques qui ont toute leur importance, il est conseillé de les compléter par les visites des réalisations qui sont des cadres d’échanges mutuelles de paysans à paysans.
Les visites d’échanges d’expérience constituent des outils pertinents et puissants de mise à l’échelle des nouvelles technologies.
Cependant, au delà de l’aspect technique, il est nécessaire de prendre en compte les aspects institutionnels (organisation, législation, règlementation) qui peuvent influencer positivement ou négativement l’adoption de nouvelles technologies en matière d’agro écologie.

Drissa Gana et Mamadou Diakité

Sahel Eco in Mali

En mai 2013, des organisations de toute l’Afrique de l’Ouest se sont réunies au Ghana pour participer à un atelier portant sur l’amplification des solutions ’agro écologiques. Cette histoire a été écrite durant l’atelier par Sahel Eco du Mali. D’autres histoires peuvent être trouvées sur les sites suivants : http://www.groundswellinternational.org/where-we-work/west-africa/
www.ileia.org