Abonnement à Agridape

Accueil / Publications / AGRIDAPE / Agriculture durable et insertion des jeunes / Mali : la plateforme Benkadi Bougou vole au secours des jeunes de (...)

Mali : la plateforme Benkadi Bougou vole au secours des jeunes de Ségou

La plateforme Benkadi Bougou forme et installe des jeunes défavorisés dans les communes de Ségou dans l’agriculture. Couplée à une approche communautaire territoriale et inclusive pour développer une dynamique collective de partage de savoirs, la ferme participe à la défense et à la promotion d’une agriculture pérenne, basée sur les connaissances des paysans.

Tourism for Help (TfH), une association officiellement reconnue en Suisse et au Sénégal depuis avril 2015, intervient dans la formation et l’insertion professionnelle des jeunes défavorisés. En 2011, l’association a créé son troisième centre de formation pratique aux métiers du tourisme, « Doni Blon » à Ségou, au Mali. Par ailleurs, depuis 2014, TfH travaille sur une nouvelle filière de formation en agroécologie avec son partenaire local Terres Jaunes, via son centre de formation « Benkadi Bougou ».

Le centre collabore avec un certain nombre de ministères, dont celui de la Formation professionnelle, de l’Hôtellerie et du Tourisme, de l’Agriculture, de l’Education, ainsi que leurs directions nationales et régionales. Au niveau régional, la collaboration avec le Gouvernorat, le Conseil régional, la préfecture et la mairie de la commune urbaine de Ségou se situe dans un premier temps sur des aspects techniques, de procédures, d’autorisation et de reconnaissance.

Ensuite, la collaboration se situera au niveau du suivi, de l’évaluation des outils pédagogiques, ainsi que de l’assistance et du soutien au travers des programmes et projets de l’Etat. Par ailleurs, les services déconcentrés de l’Etat participent aussi au processus de recrutement et du suivi insertion. De plus, l’Etat matérialise la formation des deux filières, via une certification des apprenants finalistes reconnue.

Benkadi Bougou participe à de nombreuses rencontres avec le monde paysan sur le thème de l’agroécologie et s’implique fortement au niveau du débat sur le foncier dans la région. Le responsable de cette filière à TfH, Abdramane Traoré, est devenu une personne ressource dans ces domaines ; ce qui lui a permis d’intégrer de nombreux réseaux. Il est également devenu membre actif des organisations telles que la Coordination nationale des organisations paysannes (CNOP), à travers son dispositif de relais formateur paysan dans la région de Ségou et du Comité ouest-africain des semences paysannes Mali (COASP- Mali) dans le cadre de la promotion et la valorisation des semences paysannes dans la région de Ségou.

Aujourd’hui, Benkadi Bougou et ses représentants sont fréquemment sollicités pour participer à des rencontres nationales et internationales afin partager leurs expériences en tant qu’acteur au niveau régional et national.

Promouvoir l’agroécologie à Ségou

La ferme-école est devenue un espace de partage et d’échange d’informations, d’expériences et de concertation pour la promotion des semences paysannes et la défense des droits des agriculteurs. Par ailleurs, Benkadi Bougou organise des ateliers de renforcement des capacités sur les techniques et pratiques agroécologiques pour ses membres.

La région de Ségou est située au Centre du pays, à 240 km de la capitale Bamako, sur les rives du fleuve Niger. D’une superficie de 62504 km2, elle représente 5% du territoire national et compte 2 336 255 habitants. Essentiellement située dans la zone sahélienne, Ségou bénéficie d’un climat semi-aride, avec une moyenne de précipitations annuelles de 513 mm. Du point de vue hydrographique, la région est traversée par le fleuve Niger sur 292 km ainsi que par la rivière Bani ; ce qui permet de pratiquer des cultures irriguées d’où la vocation agricole de Ségou.

La population de Ségou est extrêmement jeune : 54% des habitants ont moins de 15 ans et 31,8% , moins de 40 ans. Le chômage et le sous-emploi des jeunes non qualifiés sans moyen est un problème récurrent au Mali, malgré les potentialités dans les domaines de l’agriculture, l’élevage, la pêche, l’artisanat et du commerce. D’autre part, plus de 80% de la population du Mali est rurale et vit d’une agriculture traditionnelle qui peine à assurer la souveraineté alimentaire et un revenu suffisant aux familles.

Genèse

Deux ans après la création de son centre de formation dans les métiers liés au tourisme « Doni Blon », Terres Jaunes a été confronté à une difficulté d’approvisionnement de son hôtel d’application en légumes et produits nécessaires à la formation de ses apprenants. L’idée d’un jardin agroécologique et d’un petit élevage pouvant fournir l’hôtel et réduire la facture des matières premières, tout en favorisant l’autonomie financière du centre, a été soutenue par Tourism for Help.

Ainsi, la ferme-école de Benkadi Bougou a vu le jour, une première au Mali dans le domaine de la formation professionnelle en agriculture familiale. Ciblant les jeunes ruraux, la ferme-école se propose de former chaque année 20 jeunes issus de 6 communes différentes du cercle de Ségou et de les accompagner dans leur installation sur leurs propres exploitations agricoles familiales.

Le concept innovant « insérer avant de former » ouvre la voie à l’entreprenariat rural et à la lutte contre l’expropriation des terres, une menace de plus en plus prégnante pour les agriculteurs dans la région de Ségou.

Conçue pour soutenir l’hôtel d’application « Doni Blon », la ferme-école Benkadi Bougou est plus qu’une filière de formation, elle est devenue un modèle national qui œuvre pour fixer des jeunes et lutter contre l’exode rural. Elle vulgarise les pratiques agroécologiques dans les communes et villages bénéficiaires, en aidant les populations à améliorer la productivité agricole et à intégrer la dimension maraîchage, ce qui leur permet de générer davantage de revenus pour les familles.

Lors du recrutement des futurs apprenants, le Comité de sélection a appliqué des critères et fait passer des séries de tests aux candidats de chaque filière de formation. Pour Benkadi Bougou, les candidats doivent être issus d’une famille établie dans un des villages participant au projet (ce qui leur donne un accès à la terre avec les documents de cession ou titres pour leur permettre une installation durable), âgés de 16 à 29 ans, être motivés et disposés à rester au village.

Favoriser les jeunes filles

Benkadi Bougou favorise les candidatures de jeunes filles, afin de leur permettre de se former, de s’autonomiser et de devenir propriétaire de leurs terres. Doni Blon s’inscrit dans le cadre du Programme décennal de développement de la formation professionnelle pour l’emploi (PRODEFPE) et du Schéma directeur régional de la formation professionnelle et technique de Ségou (SDRFPT), conçus pour contribuer de manière efficace à former et insérer des jeunes dépourvus de qualification et de ressources.

Du point de vue stratégique, la ferme-école s’inscrit également en parfaite adéquation avec la politique nationale du Mali, au travers notamment du Cadre stratégique pour la croissance et la réduction de la pauvreté (CSCRP) qui met un accent particulier sur l’employabilité des jeunes, la loi d’orientation agricole qui prévoit la création de centres de formation dans les métiers agricoles comme levier majeur pour la professionnalisation du secteur et contribue à résoudre l’équation ‘’adéquation formation emploi’’.

Benkadi Bougou a pour ambition de développer certains aspects de la formation (tels que la sylviculture, l’élevage, la pisciculture, les cultures contre saison, la transformation des produits de la ferme, etc.), afin de permettre aux jeunes de diversifier leurs productions dans leurs propres exploitations. La ferme entend diffuser largement les pratiques agroécologiques dans les villages des communes bénéficiaires.

Le Projet promeut et aide les bénéficiaires à accéder aux crédits agricoles et autres programmes d’aide aux producteurs agricoles. De plus, un réseau composé des jeunes ayant suivi une formation à Benkadi Bougou et d’autres pratiquants de l’agroécologie sera mis en place en vue de la création d’un marché commun et de la promotion des produits bio.

Localisation et bénéficiaires

Le projet est implanté dans sept communes rurales (Sébougou, Pélengana, Markala, Cinzana, Sakoiba, Katiéna (cette dernière étant la plus éloignée, située à 100 km de la ville de Ségou) et Soignebougou de la communauté urbaine de Ségou, chef-lieu de la région de Ségou au Mali.

Ainsi, 60 jeunes ruraux hommes et femmes seront formés et installés dans leurs villages et développeront leurs propres exploitations familiales. 150 paysans seront renforcés dans les techniques et pratiques en agro-écologie. 120 hectares au minimum seront mis en production et en intensification. C’est aussi 60 villages dans 6 communes proches de Ségou qui bénéficieront de l’apport des maraîchages et des techniques agro-écologiques pour des centaines de bénéficiaires indirects.

Quelques résultats

Stratégie de mise à l’échelle

Les jeunes formés et installés deviendront des formateurs-relais dans leurs villages respectifs, devenant ainsi un premier vecteur de vulgarisation des pratiques agroécologiques. Ces jeunes qui resteront dans les villages, en inspireront d’autres à rester pour développer les activités agricoles. Ceci contribuera au développement des zones rurales et à la création d’activités économiques.

Le programme met l’accent sur la formation des jeunes filles, afin de leur permettre notamment de s’émanciper et d’avoir accès à la terre. Elles sont d’ailleurs les premières à développer leur propre petite entreprise et accéder ainsi à une certaine autonomie financière.

L’amélioration de l’outillage agricole et la formation à la maintenance des petits outils que les paysans utilisent quotidiennement est un nouvel axe qui va être développé tout au long de cette deuxième phase du Projet. Les artisans et forgerons réfléchiront ensemble avec les paysans au perfectionnement des outils existants et s’appuieront sur des expériences similaires développées ailleurs.

L’objectif est d’alléger le travail physique, de gagner du temps et d’accroître la rentabilité et l’efficacité. Ce processus sera mis en place à partir de septembre 2016 (les approches sont déjà en cours avec les artisans).

Le Centre veut développer l’utilisation des énergies renouvelables pour la ferme-école Benkadi Bougou. Ainsi, il est prévu d’installer des générateurs éoliens fabriqués localement par des artisans dans le cadre d’un chantier-école. Outre la promotion des énergies renouvelables, le but à moyen terme est de garantir une large autonomie énergétique pour le centre, jusqu’à l’indépendance, avec un fort impact positif sur les coûts de fonctionnement du projet.

Défis de la pérennisation

Pour la pérennité et l’autonomie du projet, Terres Jaunes envisage de mettre en place diverses activités. La vente de formations à courte durée (au moins deux formations par trimestre) en agroécologie (telles que formation en hygiène et sécurité en restauration, en compostage, culture sèche, maraîchage et gestion de l’eau et des sols), notamment auprès des programmes et projets de Swiss Contact via le Programme d’appui à la formation professionnelle (PAFP), le Projet de développement des compétences et emploi des Jeunes (PROCEJ) (formation initiale, renforcement et aide à l’insertion) avec l’Etat et la Banque Mondiale, les ONG qui soutiennent des groupements de femmes dans divers secteurs ainsi que des particuliers.

Une autre piste de réflexion est la mobilisation des villages et communes bénéficiaires à prendre en charge une partie des dépenses au niveau de la cantine. Les villages et communes, malgré leurs maigres moyens financiers, ont montré leur intérêt à participer à l’achat des denrées que Benkadi Bougou ne peut pas produire. Néanmoins, ces discussions doivent être formalisées avant de se concrétiser.

En vue de favoriser le processus d’autonomisation, le projet se propose d’augmenter la productivité de la ferme-école. Cela permettra d’accroître les ventes de paniers de produits de saison. Le contenu des paniers est variable (en général salade, tomate, concombres, melon, gombo, aubergines, oignons, haricots verts et papaye).

Une liste des produits disponibles est envoyée aux clients, qui ont ainsi la possibilité de confectionner leur panier en fonction de leurs besoins. Le prix de vente des paniers oscille entre FCFA 1 000 (soit environ CHF 1,6) et 2 500 francs CFA (approximativement CHF 4,1) selon le contenu. De plus, un kiosque de vente de produits locaux sera installé afin de compléter la vente des fruits et légumes.

Rokia Diakité, paysanne :

« Les pratiques agroécologiques sont le socle de la souveraineté alimentaire »

Rokia Diakité habite le village de Donzana, situé à une dizaine de kilomètres de la ville de Ségou. Agée de 40 ans et mère de trois enfants, elle est agricultrice et fille d’agriculteur. Depuis l’année dernière, sa belle-famille lui a octroyée une parcelle de terres qu’elle cultive (mil, arachide, niébé, etc). La paysanne confie :
« Grâce à Benkadi Bougou, j’ai compris l’importance d’une formation aux pratiques de production agroécologiques. Nos dirigeants doivent penser à promouvoir ce genre de formation qui est axée sur les besoins réels des communautés paysannes. Les techniques et pratiques agroécologiques constituent le socle de la souveraineté alimentaire et la ferme Benkadi Bougou est devenue plus que jamais une chance pour nous. »