Abonnement à Agridape

Accueil / Publications / AGRIDAPE / Adaptation Basée sur les Ecosystèmes / Sénégal : l’ aquaculture, une pratique de pêche durable adaptée aux écosystèmes (...)

Sénégal : l’ aquaculture, une pratique de pêche durable adaptée aux écosystèmes de Niandane

Le développement de l’aquaculture est devenu, depuis quelques années, une option face aux effets des changements climatiques dans le sous-secteur de la pêche au Sénégal. A Niandane, dans le Département de Podor, une expérience de ferme piscicole avec des étangs sur terre a été testée dans le cadre d’un projet de sécurité alimentaire. L’objectif est de promouvoir le développement de l’aquaculture comme un moyen de contribution à la sécurité alimentaire et une source de création d’emplois durables, à travers la valorisation de ressources locales.

Figurant dans la zone rouge en matière d’insécurité alimentaire au Sénégal, le département de Podor est aussi frappé par les effets des changements climatiques qui affectent les systèmes de production alimentaire du terroir. Avec une superficie de 12 947 km2, une population de 311 848 habitants pour une densité de 24 habitants au km2, le département fait partie des zones les plus pauvres du Sénégal, raison pour laquelle, il a été déclaré zone prioritaire de la coopération espagnole.

Pourtant, cette zone à vocation agricole présente un grand potentiel de production grâce à la proximité du fleuve Sénégal et son affluent « le Doué ». Malgré ces potentialités, on note des contraintes environnementales et de sécurité alimentaire qui limitent considérablement l’épanouissement socioéconomique des populations en général, des femmes et des jeunes en particulier. Parmi celles-ci, il y a la baisse de la productivité, la réduction de la biodiversité et le manque d’opportunités de création de valeur ajoutée.

En réponse à ces différentes contraintes, l’ONG RADI (Réseau Africain pour le Développement Intégré) et son partenaire espagnol CONEMUND, à travers une subvention de la fondation bancaire Obra Social La Caixa, ont mis en œuvre un projet de sécurité alimentaire pour soutenir le développement communautaire. Ceci passe par un renforcement des moyens de subsistance par la diversification des systèmes de production et le renforcement des capacités transformationnelles et managériales des communautés dans cette zone (Niandane et Ndiawar).

Parmi les systèmes de production proposés, l’aquaculture constitue un maillon important de la chaîne de production. Elle allie à la fois la création de revenus pour les bénéficiaires [avantages socioéconomiques], la disponibilité de produits alimentaires de qualité pour renforcer la sécurité alimentaire et nutritionnelle des ménages [adaptation au changement climatique] et enfin la restauration et la défense de la biodiversité et des écosystèmes naturels (poissons et plantes aquatiques, fourragères, médicinales, etc.). En cela, elle constitue une belle expérience Abe (Adaptation basée sur les écosystèmes) car intégrant les trois dimensions de l’approche EbA.

Description de l’expérience

L’aquaculture regroupe un ensemble de techniques aquatiques et activités aquicoles pour la mise en valeur et l’exploitation des richesses naturelles d’origine animale ou végétale des eaux continentales douces ou des eaux océaniques marines. Plusieurs techniques existent dont celle de cette expérience qui est une technique de pêche sur terre avec l’utilisation d’aménagements sophistiqués pour garder les poissons dans des étangs, tout en assurant leurs nourritures quotidiennes.

L’activité piscicole est réalisée sur une ferme de quatre étangs sur terre de 800 m2 (40mx20m). L’aménagement comprend :

  • une ferme de production de quatre compartiments avec des remblais pour les digues de 1,5 m de haut, plus épandage et compactage ;
  • un bassin de dissipation de 30 m3 pour la réception de l’eau issue de l’affluent du fleuve Sénégal "Le Douè" alimenté par une motopompe deux cylindres ;
  • un système de plomberie avec des tuyaux PVC et vannes pour le remplissage des étangs.

Le cycle de production a démarré avec 16.000 alevins, soit cinq espèces par mètre carré avec une majoration de 5% d’alevins de plus pour compenser la mortalité due aux manipulations. Les étangs sont fertilisés avec de la fiente de poules à une dose optimale et les alevins sont régulièrement alimentés avec un composant nutritif traité à partir de résidus agricoles du terroir.
Les bénéficiaires qui sont composés de trois GIE mixtes (hommes et femmes) dans la commune de Niandane et un GIE de 500 femmes dans le village de Ndiawar ont suivi des formations sur les techniques de pêche aquacole, la fabrication de l’aliment nutritif, les bonnes pratiques aquacoles et les méthodes de gestion efficace de la ferme.

Disponibilité de poissons frais

Des résultats probants sont enregistrés avec cette expérience de pisciculture dans la commune de Niandane avec une campagne de pêche organisée en deux récoltes. A cette occasion, les bénéficiaires ont pu obtenir 1, 244 tonnes de poissons vendus excepté les quantités autoconsommées et pourries à cause d’une longue exposition au soleil. Les recettes totales issues de la vente sont estimées à 1. 805.785 F CFA.

Les effets sont bien réels sur la vie des communautés. L’approvisionnement en poisson de la localité est devenu effectif. Grace à la ferme piscicole, les communautés mangent du poisson frais nouvellement péché avec toutes ses saveurs. Pour preuve, la première récolte a coïncidé avec la grande cérémonie religieuse "Gamou de Niandane".

Presque tous les ménages se sont ravitaillés à la ferme. Les revenus des groupements bénéficiaires ont considérablement augmenté grâce à la vente du poisson avec une capacité financière suffisante pour démarrer la deuxième campagne sur fonds propres avec le retrait du projet.

Rôles des acteurs impliqués

L’expérience est développée par les trois groupements d’intérêts économiques (GIE) de Niandane. Ce sont des groupements organisés, composés principalement de femmes, qui souffrent d’un manque d’accès aux ressources économiques et à la formation, mais qui ont l’esprit d’initiative et une expérience dans la chaîne de production du secteur primaire.

Les GIE sont les bénéficiaires directs de l’action et joue le premier rôle de suivi, d’entretien et de contrôle de l’activité. Ils sont responsables de la surveillance et de l’alimentation correcte des alevins.

Le RADI est le maître d’œuvre du projet. Il est chargé de conduire le processus de mise en place de la ferme et de superviser toutes les étapes de grossissement des poissons en élevage à travers l’équipe de projet sur place. Il contracte avec les différents prestataires pour la réussite de l’expérience.

L’Agence nationale d’aquaculture (ANA) est le maître d’ouvrage, à travers un protocole d’accord avec le RADI. Elle est chargée de l’aménagement et de l’équipement de la ferme. Elle approvisionne la ferme en alevins et en nourriture, elle fait les suivis à travers des mesures périodiques pour voir l’évolution du grossissement des poissons et de prendre des dispositions correctives.

Les autorités locales sont mobilisées pour accompagner et superviser le déroulement de l’action. Les autorités administratives facilitent et accélèrent toute procédure nécessaire. Les services techniques de la pêche et du commerce fournissent une assistance technique aux bénéficiaires et participent aux activités de suivi et de formation.

Rendre les communautés résilientes

La raréfaction de la ressource halieutique est un phénomène qui touche considérablement cette partie Nord du Sénégal. La pêche artisanale y est pratiquée depuis bien longtemps dans l’affluent du fleuve Sénégal "Le Douè, mais la production est restée très faible".

La péjoration climatique, le retrait progressif du trop-plein du fleuve laissant davantage place à la berge et l’envahissement du fleuve par le Typha Sp ont occasionné des baisses de capture conduisant à la rareté du produit dans la zone. Il s’y ajoute le durcissement des accords de pêche sénégalo - mauritaniens qui rend un accès difficile aux produits halieutiques venant de Rosso (frontière mauritanienne).

L’implantation de cette ferme piscicole constituait un défi majeur pour assurer la forte demande en poisson de la zone, mais aussi une solution efficace pour pallier les variations du climat qui se manifestent de plus en plus dans la zone.

Les limites

Parmi les limites et difficultés rencontrées, on peut citer l’envahissement des poissons sauvages qui mangeaient les alevins. En effet, en l’absence d’un système de filtre de l’eau venant du fleuve pour alimenter les étangs, les poissons sauvages du fleuve s’infiltraient dans les étangs et mangeaient les petits alevins en grossissement.

Les oiseaux prédateurs qui survolaient les étangs pour agresser les alvins, des filets de protection ont été installés pour protéger les alvins. La fuite d’eau dans les étangs due à une insuffisance de compactage du sol et des digues des étangs, occasionnant des remplissages régulières des étangs.

L’envahissement des étangs par les herbes réduisent les espaces de survie et d’évolution des alevins. Enfin, les ruptures dans l’approvisionnement de l’aliment nutritif pourrait impacter sur le poids commercial des poissons.

conditions de durabilité et de démultiplication

Pour que l’activité soit durable, il faut l’entretien régulier des étangs pour parer à des pertes d’eau, le désherbage de l’intérieur et des abords des étangs, une alimentation correcte et régulière des alevins avec l’aliment nutritif enrichi, le choix de l’espèce adapté à la zone, la mise en amont d’une stratégie de commercialisation efficace du produit pour éviter les pertes ou pourritures post-récoltes, une bonne maîtrise des techniques de contrôle et de récolte du poisson et un bonsystème de gestion de l’activité de la production à la vente et le renouvellement de la campagne production.

L’expérience peut être démultipliée dans d’autres zones ; pourvu que les conditions hydrologiques le permettent. La disponibilité de l’eau en quantité suffisante est fondamentale.

Le terrain doit être un sol argileux et bien aménagé avec des compactages et des digues du canal bien mis en forme et tout le dispositif nécessaire doit être installé. Il faut une équipe technique d’encadrement expérimentée et une équipe de soutien permanant bien formée sur les techniques de pêche aquacole.

Le suivi et le contrôle de la production par des prises de poids et des vérifications est nécessaire pour corriger les failles au fur et à mesure du cycle de production. Il est important de définir une bonne stratégie de marketing et de commercialisation en amont pour pallier des situations de pourriture et de mévente. Etablir un système de gestion des recettes et de leur utilisation future est aussi indispensable.

Enseignements et défis

L’expérience est une bonne activité intégrant les trois dimensions de l’approche Abe. Sa promotion dans la zone nord est pertinente comme source de création de valeurs ajoutées, mais aussi comme rempart contre la sécurité alimentaire et nutritionnelle des ménages.

Cependant, c’est une expérience qui demande un suivi technique rapproché de la part des techniciens de l’aquaculture. L’aliment nutritif ne doit pas être en manque pour infléchir le poids marchand des tilapias arrivés à maturation. L’aménagement et les équipements sont assez onéreux, donc un bon entretien serait judicieux pour garantir leur durabilité.

Parmi les défis auxquels l’expérience fait face, il y a l’adoption du système d’élevage par les cages flottantes. Il serait une belle opportunité à saisir avec la proximité de l’affluent « Le Doué ».

Vu les coûts élevés de la mise en place des étangs sur terre avec le système de remplissage, la pisciculture par les cages flottantes dans le fleuve présentent des conditions optimales de développement de cette activité.

En effet, les cages flottantes sont plus économiques, plus faciles à entretenir. Ils ne nécessitent pas de pression foncière et offrent des rendements similaires voire supérieurs dés fois que les étangs. En outre, les poissons seront dans leur milieu naturel et n’auraient pas de problème d’adaptation.

Donc, pour avoir plus d’impact sur la sécurité alimentaire et sur l’immigration illégale, il faudra recommander là où c’est possible la combinaison des deux (02) systèmes. Ainsi, on pourra former plusieurs jeunes aux métiers d’entrepreneurs piscicoles et leur donner l’opportunité de réaliser des emplois durables sur place, à l’heure de la promotion du « Réussir au Sénégal ou « Tekki Fi ».

Papa Daouda SAMBA
Ingénieur en Planification du Développement – CAPM (PMI)
Responsable des Programmes à l’ONG RADI

Contact : sambadaouda88@yahoo.fr