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TIC pour Agriculture : Parier sur la complémentarité
L’utilisation des TIC pour partager en temps réel des informations, atteindre les utilisateurs finaux, recueillir leur retour, collecter des données, est un phénomène qui gagne en popularité. Mais l’impact des TIC sur la vie des agriculteurs restent encore à prouver.
Dans le domaine de l’agriculture, les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont considérées comme un intrant efficace pour accélérer la transformation de ce secteur et accroitre le nombre d’opportunités d’affaires dans les pays en développement. D’où vient l’engouement pour les TIC dans l’agriculture ? C’est l’une des questions fondamentales mises en débat à la conférence internationale sur les TIC pour l’agriculture qui s’est tenue à Kigali, au Rwanda du 4 au 8 novembre 2013.
Plusieurs éléments de contexte sont à prendre en compte. L’Afrique demeure aujourd’hui le continent qui possède les plus grandes réserves de terres arables non exploitées. Selon Michael Hailu, directeur du Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA), l’agriculture contribue à hauteur de 62% au produit intérieur brut du continent et emploie plus de 65% de la population. Malgré cela, l’Afrique dépense chaque année plus de 4 milliards de dollars pour importer des aliments. « Il faut se rendre compte que l’ère des produits agricoles et alimentaires à faibles coûts est dépassée. Aujourd’hui les produits alimentaires sont à des coûts beaucoup plus élevés, ce qui représente en soi une opportunité d’investissement. Cela est en train d’attirer énormément d’investisseurs, que ça soit des investisseurs globaux ou africains, dans le secteur agricole », soutient Valentine Rugwabiza, directrice générale de la Banque Rwandaise de Développement. Pour Mme Rugwabiza, l’agriculture est un secteur qui va aller croissant car la population mondiale est en train d’augmenter et les besoins en matière de produits agricoles avec. « La demande est en train de changer avec une population qui obtient de plus en plus une discrétion dans le pouvoir de dépense. Tout cela signifie qu’il faut pouvoir être à l’écoute de ces signaux de marché afin de placer les investissements judicieux dans l’agriculture. Et dans ces investissements judicieux, les TIC en font partie », argue-t-elle.
Réconcilier jeunesse et agriculture
Malheureusement l’agriculture souffre encore de la perte des jeunes. « Beaucoup de jeunes ne trouvent pas l’agriculture comme un secteur intéressant. Chaque année des centaines de jeunes quittent les villages pour s’installer en ville », regrette Michael Hailu. Les TIC peuvent beaucoup contribuer à faire de l’agriculture une option plus attractive pour les jeunes, en améliorant les conditions de vie en zone rurale. Pour Jean Philbert Nsengimana, ministre rwandais de la jeunesse et des TIC, c’est déjà le cas. « Les TIC sont en train d’attirer les jeunes dans l’agriculture, un secteur qui a tant besoin d’innovations pour accélérer sa transformation », déclare-t-il. Un optimisme que partage Valentine Rugwabiza. « Si vous regarder dans la salle de conférence, c’est une audience à large majorité de jeunes gens et en soi cela est porteur d’un grand message qui est qu’aujourd’hui la jeunesse considère également l’agriculture comme un secteur potentiel de croissance », affirme-t-elle. « Nous sommes déterminés à maintenir les TIC à l’avant-garde de notre calendrier de transformation de l’agriculture », assure Jean Philbert Nsengimana.
Il existe aujourd’hui une large gamme de solutions TIC destinées à soutenir le secteur agricole. La journée Plug and Play organisée le 4 novembre en prélude à la conférence a offert aux innovateurs et aux participants une occasion fantastique pour un aperçu dynamique et pratique des derniers développements en matière de TIC pour l’agriculture. Une journée marathon, des présentations qui s’enchainent, rigoureusement chronométrées, des participants qui vont et viennent entre les différents espaces de présentation, bref une expérience particulièrement excitante. Une trentaine d’innovations y ont été présentées et discutées et toutes tentent avec des fortunes diverses de s’aligner au mieux aux besoins des différents groupes d’utilisateurs.
Mais pour Judy Payne, conseillère TIC et croissance économique de l’USAID (Agence des Etats Unis pour le développement international), cet enthousiasme est bon, mais ce qui est encore plus important c’est de voir comment tirer véritablement profit de tout cela. « Le problème c’est que nous voyons rarement des évaluations d’impact de ces applications. On ne sait vraiment pas si les agriculteurs ont utilisé ces services avec un réel impact dans leur vie. Dans la pléthore d’application, peu sont viables. C’est pourquoi nous disons qu’il faut les prendre avec un petit peu de recule », avance-t-elle. « Il y a plus d’une centaine d’application qui existent aujourd’hui. Beaucoup ne s’étendent pas et ne prévoient pas s’étendre. Il nous faut donc imaginer des cadres de développement qui vont au-delà de ces applications », précise-t-elle. Regrettant le fossé qui existe entre hommes et femmes dans l’accès et l’utilisation des technologies, Bashir Juma de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique, indique que « nous avons surtout besoin que les technologies soient beaucoup plus inclusives ».
Combiner différents TIC pour plus d’impacts
La question de l’impact des TIC dans la vie des agriculteurs préoccupe beaucoup d’intervenants. Certaines organisations font un pari sur la complémentarité de différents outils TIC pour obtenir un impact durable sur les agriculteurs. En juin 2013 Radios Rurales Internationales, HarvetPlus et TracFM ont lancé en Ouganda une série de feuilleton radiophonique intitulé « Mes enfants ». La série qui combine la nutrition et l’enseignement agricole avec une intrigue divertissante, contribue à sensibiliser les Ougandais sur les carences en vitamine A. L’objectif est de convaincre les agriculteurs à remplacer les variétés traditionnelles de patate douce à chaire blanche et jaune par une variété plus nutritive, la patate douce à chair orange. La radio incite les agriculteurs à trouver cette variété, la consommer et de partager par sms leur impression sur le produit.
La carence en vitamine A est un problème majeure de santé publique dans les pays en développement. Cela occasion plus de 600.000 décès par an chez les enfants de moins de cinq ans. Avec 28% des enfants et 23% des femmes déficients en vitamine A, l’Ouganda fait partie des pays considérés à haut risque. C’est donc une question qui touche grand nombre d’Ougandais particulièrement les ménages paysans. Avec plus de 80% d’Ougandais qui possèdent un récepteur, la radio est l’outil TIC le répandu et le plus populaire en Ouganda. « Pour moi, la radio demeure aujourd’hui l’un des outils TIC les plus efficaces », déclare Bartholemew Sullivan, spécialiste des TIC à Radios rurales internationales. « Mais quand vous faites de la radio, vous parlez à des gens de quelque chose, mais ne savez pas qui ils sont et quelle est leur opinion sur le sujet. Aujourd’hui, l’arrivée du téléphone mobile offre à la radio la possibilité de recueillir un retour immédiat des auditeurs », explique-t-il. « Le téléphone mobile se présente comme le parfait conjoint de la radio parce qu’il permet aux auditeurs d’interagir en temps réel avec la station », ajoute Bartholemew Sullivan. Il explique qu’il existe plusieurs possibilités de combiner ces outils TIC. « Il y a ce que nous appelons le ‘‘Bip à voter’’. Laisser un appel manqué est quelque chose que tout le monde sait faire. C’est gratuit et habituellement ça signifie quelque chose, ça signifie ‘’je t’ai appelé, je veux que tu me rappelles’’. Le concept du ‘‘Bip à voter’’ est de plus en plus utilisé par des stations radio », fait comprendre Bartholemew Sullivan. Le principe est simple, deux lignes téléphoniques sont ouvertes aux auditeurs, par exemple 5555 et 6666. La radio adresse une question simple et précise aux auditeurs et les invitent à voter. « La question peut être par exemple : avez-vous consommé à la patate douce à chair orange ? Si OUI laissent un appel manqué sur le premier numéro et si NON laisser un appel manqué sur le second numéro. L’animateur à la radio reçoit les votent en temps réel sur un ordinateur », Bartholemew Sullivan.
Il est évident que le potentiel de la technologie mobile est encore insuffisamment exploité. Malgré l’enthousiasme grandissant pour le développement des solutions mobiles pour l’agriculture, des préoccupations essentielles concernant leur portée, efficacité et durabilité sont à régler. Toujours est-il que la technologie ne peut être un remède à tous les problèmes de l’agriculture, mais plutôt un outil important qui peut servir grandement le développement de ce secteur important.
Inoussa Maiga
Consultant indépendant
Médias & Communication participative pour le développement
maiga.inou@gmail.
Burkina Faso