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Un réseau de fermes agroécologiques pour autonomiser des femmes au Togo et au Bénin

Des groupements de paysans et paysannes ont pu tirer profit du projet de promotion de la souveraineté alimentaire axé sur la valorisation des pratiques agroécologiques au Bénin et au Togo. Avec l’appui du Service chrétien d’appui à l’animation rurale (Secaar), ils se sont organisés en réseaux de paysans et de paysannes engagés dans la production alimentaire durable, préservatrice des ressources naturelles dans un contexte de changement climatique en Afrique de l’Ouest.

Le Togo et le Bénin sont deux pays d’Afrique sub-saharienne dont les économies restent fortement basées sur les productions agricoles. Les paysans et paysannes produisent l’essentiel des denrées alimentaires consommées dans ces pays.

Paradoxalement, ce sont ces mêmes paysans et paysannes qui souffrent le plus souvent d’insécurité alimentaire. Actuellement, ces pays font face à plusieurs défis agricoles majeurs : (i) produire suffisamment de nourriture pour subvenir aux besoins d’une population croissante ; (ii) préserver, et restaurer dans les cas les plus extrêmes les écosystèmes, en particulier les sols ; (iii) prendre sérieusement en compte le changement climatique dont les premiers effets néfastes se font déjà ressentir et pourraient s’aggraver dans un future proche (températures plus élevées, pluies moins abondantes et plus irrégulières, événements météorologiques extrêmes plus fréquents, etc.), avec comme conséquences des pertes de rendements plus ou moins importantes .

L’agroécologie est aujourd’hui considérée par de nombreux experts comme une alternative crédible à l’agriculture industrielle en particulier pour restaurer des milieux fortement dégradés, et augmenter la résilience des agroécosystèmes face au changement climatique (la résilience étant la capacité d’un système à absorber une perturbation et à s’en remettre ).

C’est dans ce cadre que le Secaar (Service chrétien d’appui à l’animation rurale) a initié un programme intitulé « Promotion de la souveraineté́ alimentaire et réseau de fermes agroécologiques au Togo et au Bénin ». Le projet a formellement débuté en 2013, et devrait continuer jusqu’en 2021.

Les bénéficiaires directs sont 93 paysans et paysannes (32 hommes et 61 femmes) de 6 groupements au Togo et au Bénin (3 groupements par pays). Chaque paysan ou paysanne a une famille à charge de 6 personnes en moyenne, ce qui élève le nombre de bénéficiaires à 558.

Valeurs liées au projet

Le projet se fonde sur certaines valeurs fondamentales d’inspiration biblique, mais qui se retrouvent également dans la permaculture par exemple. Premièrement, le paysan ou la paysanne, qui reçoit tout de la terre, doit être prêt(e) à prendre soin d’elle et à lui donner en retour. C’est ce que l’un des pères de l’agriculture biologique, Sir Albert Howard, appelait la « Loi du Retour » (« the Law of return » en anglais) .
Deuxièmement, le paysan ou la paysanne doit prendre soin de lui- ou elle-même et de son prochain par la nourriture qu’il ou elle produit, mais également par d’autres services connexes (par exemple, l’amélioration de la qualité de l’eau ou le recyclage des déchets organiques). Troisièmement, le paysan ou la paysanne doit se soucier de l’avenir et de quelle terre il ou elle remettra aux générations futures.

Stratégie de mise en œuvre

La première phase du projet menée de 2013 à 2015 visait essentiellement à améliorer la sécurité alimentaire des bénéficiaires par la mise en œuvre d’une série de bonnes pratiques agroécologiques. Citons par exemple, la fabrication du compost pour améliorer la structure du sol et l’enrichir en matière organique.

D’autres techniques comme le travail minimum du sol et le paillage y contribuent également. Les études scientifiques soulignent la relation positive qu’il existe entre le taux de matière organique et la fertilité des sols . De plus, ces différentes techniques participent à la restauration des sols dégradés et à la séquestration du carbone atmosphérique dans les sols .

Les pratiques promouvant la biodiversité par la diversification des types de production (agroforesterie, polyculture et/ou association de l’élevage et de l’agriculture) étaient aussi au cœur de cette première phase. Une telle diversification permet de réduire l’impact des ravageurs ou des fluctuations monétaires qui affecteraient une culture particulière, et ainsi de réduire, à l’échelle de la ferme, les risques environnementaux ou économiques liés à la production.

L’ensemble de ces bonnes pratiques agroécologiques contribue à améliorer la sécurité alimentaire des bénéficiaires et surtout à pérenniser cette sécurité sur le long terme , en développant des agroécosystèmes résilients face aux effets du changement climatique .

Dans la seconde phase commencée en 2016 et qui vient de s’achever en 2018, l’objectif était de consolider les acquis de la première phase et d’approfondir l’expérience, en mettant un accent particulier sur les dimensions sociales et économiques. Le projet visait vraiment à dépasser la notion de sécurité alimentaire, pour embrasser celle de souveraineté alimentaire.

Il est important de rappeler que la sécurité alimentaire ne fait référence qu’à la disponibilité de la nourriture et à la capacité de se la procurer, sans se préoccuper d’où vient cette nourriture ou de comment elle a été produite et distribuée. La souveraineté alimentaire va bien au-delà en promouvant des systèmes de production, de distribution et de consommation plus respectueux de la nature et des êtres humains .

Dans notre programme, cela passait notamment par la valorisation des femmes et des jeunes dans l’agriculture, par la promotion de la vente directe, la transmission des savoir-être et savoir-faire à d’autres paysans motivés, et la création de coopératives paysannes. Pour faciliter l’adoption des bonnes pratiques agroécologiques, le Secaar a développé une stratégie qui consiste en (i) la mise en place de champs d’expérimentation et (ii) la formation de 12 fermiers et fermières modèles (5 femmes et 7 hommes).

Les champs d’expérimentation ont permis de mieux visualiser les bénéfices de la gestion agroécologique par rapport à la gestion conventionnelle d’une parcelle. Les fermiers et fermières modèles ont appliqué simultanément un maximum de bonnes pratiques agroécologiques et ont été encouragé(e)s à partager leurs expériences avec d’autres, en particulier les jeunes.

Le renforcement institutionnel a aussi été central pour le développement du projet. Par des formations sur la gestion coopérative, sur la tenue d’assemblées générales, sur la planification des activités et sur la tenue de documents de gestion, le Secaar a créé un terreau favorable à l’organisation des groupements en coopératives reconnues officiellement, ceci dans le but d’améliorer la gouvernance locale et la visibilité du programme.

Afin d’assurer le bon déroulement et la documentation du programme, un suivi régulier a été effectué auprès des bénéficiaires. Le Secaar et ses relais locaux ont effectué régulièrement des visites de suivi dans les fermes. Chaque année, une évaluation a été effectuée, en plus d’une évaluation globale au bout des trois années de chaque phase. Une nouvelle phase du projet est en cours de lancement pour la période 2019-2021.

Résultats

Les paysans et paysannes ont progressivement mis en place les bonnes pratiques agroécologiques proposées. Fin 2017, l’ensemble des fermes utilisait les engrais organiques (ex : compost). Au bout des trois premières années, les rendements des cultures vivrières ont en moyenne augmenté de plus de 140%, passant en moyenne de 1,2 à 2,9 tonnes par hectare.

Par la suite, les rendements des cultures vivrières ont encore augmenté pour arriver à 3, 5 tonnes par hectare en 2018. Il convient de noter que le maïs a connu une baisse de rendement en 2017 auprès de certains bénéficiaires, baisse sans doute due aux pluies capricieuses. Cette baisse a été compensée par les autres cultures.
Le revenu mensuel des ménages a aussi de facto augmenté pendant le projet. 65% des bénéficiaires peuvent prendre désormais en charge les frais de santé de la famille et 50% les frais scolaires des enfants.

L’augmentation des revenus a également permis aux familles de renforcer et de diversifier leur alimentation : chaque famille a désormais la possibilité de prendre trois repas par jour, contre un seul repas avant le début du programme, et d’acheter une plus grande variété d’aliments.

Les bénéficiaires gèrent aujourd’hui mieux leurs budgets et leurs réserves de nourriture pour faire face aux imprévus et aux périodes de soudure entre deux récoltes.

Aujourd’hui, tous les groupements de fermes sont organisés en coopératives avec des textes réglementaires et des réunions régulières pour assurer leur bon fonctionnement. De plus, les paysans ou paysannes partagent régulièrement leurs ressources (semences, techniques, etc.) et se donnent mutuellement des conseils face aux difficultés rencontrées.

L’exemple qui suit, permet de se rendre compte facilement des autres possibilités offertes par une augmentation des revenus agricoles pour améliorer la qualité de vie au quotidien. A Kpakpaza, au Bénin, deux femmes membres de la coopérative accompagnée ont eu les moyens de construire des gouttières et des citernes pour collecter l’eau de pluie. L’eau ainsi récupérée peut être utilisée pour la cuisine, le jardin potager ou de plantes médicinales. De plus, ces femmes qui n’avaient pas de toilettes ont pu construire des latrines.

Adaptabilité face au changement climatique

Augmenter l’adaptabilité des paysans et paysannes face au changement climatique est particulièrement important dans le contexte africain. En effet, l’Afrique subira sans doute plus sévèrement les effets du changement climatique, en comparaison à d’autres régions du monde .

Des pluies plus irrégulières et moins abondantes, des événements météorologiques extrêmes, associés à des températures plus élevées devraient entraîner des pertes de rendements significatives . Tout ceci contraint à être particulièrement attentif à la gestion durable et optimale de toutes les ressources à disposition.

La mise en place de paillage et/ou de cultures de couverture protègent le sol des effets érosifs du vent ou de la pluie et réduit l’évaporation de l’eau. Cela participe ainsi au maintien d’un sol humide, plus favorable pour les plantes et l’ensemble de la biodiversité du sol.

L’aménagement de canaux et de bassins de rétention permet une meilleure circulation de l’eau et sa conservation pour les périodes sèches. Comme il a été évoqué précédemment, certaines paysannes ont pu aussi installer un système de récupération et de stockage de l’eau de pluie directement sur leur maison pour utiliser de manière plus optimale ce précieux liquide.

L’intégration d’arbres dans les fermes peut également jouer un rôle majeur en établissant un microclimat plus favorable aux cultures et en fournissant de la biomasse pour l’enrichissement du sol en matière organique. Les pratiques permettant d’augmenter le taux de matière organique dans les sols participent à une meilleure gestion de l’eau, en effet, un sol riche en matière organique absorbe et retient mieux l’eau .

Conjointement, ces pratiques permettent de maximiser les interactions bénéfiques entre les différents éléments du système, favorisant ainsi la biodiversité et l’utilisation optimale des ressources locales qui sont facilement disponibles pour les paysans et paysannes et ne leur demandent que peu d’investissement financier.

Comme présenté précédemment, les bénéficiaires de cette expérience ont pu largement augmenter leurs rendements, ces dernières années, et ce même si les conditions climatiques n’étaient pas toujours favorables. Dans le futur, la gestion agroécologique diversifiée qu’ils développent devrait leur permettre de rester productifs, en dépit des aléas climatiques.

Limites et défis

Bien que les résultats soient pour l’heure très encourageants, il faut souligner un certain nombre de difficultés et de défis à relever. Il paraît essentiel d’améliorer la diffusion des bonnes pratiques, en mettant l’accent sur les activités de promotion des échanges entre les paysans et paysannes.

Face à l’irrégularité des pluies et aux autres aléas climatiques, il est primordial de renforcer la sensibilisation sur les bonnes pratiques qui permettent directement d’améliorer la gestion de l’eau, comme la mise en place de paillage ou de cultures de couverture ou encore l’aménagement de bocages associant des haies, des tranchées et des bassins de rétention d’eau. Il reste parfois difficile de faire remonter les résultats des expériences des paysans et paysannes pour les analyser et les capitaliser.

Le Secaar doit donc mettre l’accent sur le renforcement de la capacité des animateurs et animatrices et des paysans et paysannes à collecter régulièrement des données de qualité. Ce travail est essentiel pour obtenir des données précises qui permettront de mieux documenter et favoriser la transition vers l’agroécologie.

Ce travail de documentation ne prend pas encore en compte des indicateurs sur la préservation ou la restauration des écosystèmes. Pour le moment, il est donc impossible de donner des conclusions sur les effets environnementaux résultant de l’utilisation des bonnes pratiques, même si les publications scientifiques sur ces dernières nous laisser supposer des effets bénéfiques non négligeables .

Pour la phase 2019-2021, le Secaar cherche à améliorer la documentation et les actions sur les bonnes pratiques agroécologiques et vise à terme son désengagement à la faveur de l’autogestion des producteurs. Etant donné que les groupements se trouvent dans des conditions écologiques, sociales et/ou économiques relativement différentes, il est envisageable de développer des réseaux de fermes agroécologiques dans d’autres contextes et d’obtenir des résultats comparables.

Conclusion :

La promotion de la souveraineté́ alimentaire et la création d’un réseau de fermes agroécologiques est un processus complexe qui demande du temps et des investissements importants et réguliers. Néanmoins, selon cette expérience et celles d’autres organisations partenaires, cela permet d’envisager un avenir meilleur pour les paysans et paysannes les plus pauvres grâce à la création d’agroécosystèmes résilients face au changement climatique.

Thibaud Rossel
Assistant scientifique en agroécologie au Secaar

Contact : secretariat@secaar.org/rossel@secaar.org