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Vers une agriculture familiale plus forte : Points de vue au cœur de l’Année internationale de l’agriculture familiale.

L’amélioration de la situation des agriculteurs familiaux est un besoin impérieux et une question qui nous interpelle tous dans la mesure où ces agriculteurs produisent 70 % de la nourriture dans le monde. L’Année internationale de l’agriculture familiale 2014 avait pour objectif de mieux faire comprendre l’agriculture familiale et d’appuyer le développement de politiques favorables aux agriculteurs familiaux. Cet article fait la synthèse des propositions clés formulées au cours de l’année issues de l’ouvrage « Vers une agriculture familiale plus forte » (ILEIA/FAO, 2014).

Lorsque 2014 a été proclamée Année internationale de l’agriculture familiale (AIAF), l’Organisation des Nations Unies a voulu saluer les contributions essentielles des agriculteurs familiaux à la sécurité alimentaire, au bien-être des communautés, à l’économie, à la biodiversité, à l’utilisation durable des ressources et à la résilience climatique.

Toutefois, ce que l’on a observé ces dernières décennies, c’est une tendance des gouvernements à privilégier les matières premières agricoles et les marchés libres, tandis que la majorité des 500 millions d’agriculteurs familiaux dans le monde ne bénéficient ni d’investissements, ni de politiques pour soutenir leur développement.

Les agriculteurs familiaux et leurs organisations sont souvent exclus des processus décisionnels, et ils ont de plus en plus du mal à accéder à la terre et aux ressources indispensables à leurs activités agricoles, notamment les semences et autres races locales. Conjuguée au changement climatique, cette situation entraîne une aggravation de la pauvreté rurale, de la faim chronique, de la dégradation des ressources naturelle, ainsi qu’un exode rurale.

Tout au long de cette Année internationale de l’agriculture familiale, différents intervenants ont formulé des recommandations politiques spécifiques et ont proposé des bonnes pratiques. Ces points de vue ont été recueillis à partir de débats riches et variés sur neuf secteurs clés. Ils indiquent les principales difficultés que vivent les agriculteurs familiaux.

Une synthèse des recommandations

Tout au long de l’année 2014, des dialogues régionaux, des consultations de la société civile, des conférences régionales et d’autres événements ont permis d’explorer les questions relatives à l’agriculture familiale. Nombre d’entre eux étaient (co-)organisés par la FAO, chargée de coordonner les activités de l’Année internationale de l’agriculture familiale. Dans toutes les régions de la planète, représentants des organisations d’agriculteurs, gouvernements, universitaires, institutions internationales et ONG, entre autres, ont partagé diverses idées de base clés pour mieux soutenir les agriculteurs familiaux. Le présent article, adapté de l’ouvrage « Vers une agriculture familiale plus forte » (ILEIA/FAO, 2004), constitue une synthèse de ces différentes idées.

1. Des Approches inter-sectorielles

Les débats relatifs à l’agriculture familiale doivent également aborder les questions telles que l’urbanisation, les infrastructures rurales, les connaissances et la culture traditionnelles et autochtones, l’éducation et les services d’appui, ainsi que le développement de la jeunesse. L’on a mis l’accent sur une approche intersectorielle et territoriale, par exemple dans les programmes de développement rural intégré. Les pratiques agro-écologiques diversifiées qui font appel aux connaissances locales méritent d’être élevées au rang de fondement de la résilience au changement climatique. L’importance de la diversification des opportunités de revenus en milieu rural a également été soulignée, notamment le développement des revenus non agricoles et de l’agro-tourisme.

2. Une Réforme agraire

Les acteurs ont exigé à plusieurs reprises une véritable réforme agraire, aquatique, forestière et pastorale pour réduire la migration urbaine et instaurer un droit d’accès à la terre, à l’eau et à l’irrigation, aux infrastructures, à l’éducation, à la santé et aux marchés, y compris pour les femmes. Ils ont notamment demandé à ce que les petits exploitants familiaux soient exemptés des politiques conçues pour les plus grandes exploitations industrielles. La FAO a été priée de veiller à ce que les Principes pour un investissement agricole responsable protègent les droits des petits producteurs alimentaires, car non seulement ces derniers jouent un rôle central dans la production alimentaire, mais ils investissent également plus dans le développement agricole que n’importe quelle multinationale. La promotion de la souveraineté alimentaire a été soulignée comme un moyen de renforcer l’agriculture familiale et d’éradiquer la faim et la pauvreté, et la FAO a été invitée à encourager une analyse large, inclusive et dynamique du concept de souveraineté alimentaire.

« L’Afrique peut se nourrir parce que nous avons suffisamment de terres arables et d’eau douce. Ce qui manque, c’est l’engagement de nos gouvernements à travailler main dans la main avec toutes les parties prenantes. Les voix des producteurs alimentaires sont cruciales. » Elisabeth Atangana, Organisation panafricaine des agriculteurs, 2014

3. Accès aux ressources naturelles et mise en œuvre des Directives volontaires

La facilitation de l’accès à la terre et à l’eau doit être une priorité et devenir une réalité par le biais de programmes spéciaux d’utilisation des terres et de gestion de l’eau. Le droit des agriculteurs à produire, à reproduire, à échanger et à commercialiser leurs semences doit être protégé, parce que « sans terre, sans eau et sans semences, il ne peut y avoir d’agriculture familiale paysanne ». L’accaparement des terres a été condamné, et les intervenants ont lancé un appel en faveur d’un moratoire sur la production d’agro-carburants industriels. Une écrasante majorité d’intervenants à travers le monde ont invité les gouvernements à mettre en œuvre les Directives volontaires pour une Gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts, considérées comme le meilleur moyen de garantir l’accès aux ressources naturelles pour les petits exploitants familiaux, y compris les femmes, les jeunes et les peuples autochtones.

4. Améliorer le commerce et développer les marchés

Les accords commerciaux et les politiques commerciales doivent faire l’objet d’une réforme ou d’une révision afin de mieux prendre en compte les intérêts des agriculteurs familiaux. Les gouvernements et les autres acteurs doivent garantir les droits humains, économiques, sociaux et culturels des petits exploitants familiaux et des travailleurs de l’alimentation, mais également renforcer leur accès aux marchés et assurer des prix équitables, par exemple à travers la promotion des marchés locaux, les achats publics auprès des agriculteurs familiaux, l’amélioration de l’entreposage et du transport. La valeur des produits alimentaires issus de l’agriculture familiale peut être rehaussée via l’établissement de règles d’origine, la création d’étiquettes spécifiques de l’agriculture familiale et la fourniture d’informations sur leur valeur nutritive et sanitaire.

5. Accès au crédit et au financement

Toutes les régions ont recommandé d’améliorer l’accès des agriculteurs familiaux à un financement fiable et stable, à travers des procédures simplifiées de prêt, des mécanismes d’assurance pour réduire les risques et le développement d’institutions financières axées sur les agriculteurs.

« Nous ne recherchons pas des subventions, nous recherchons une législation qui facilite la vie des petits agriculteurs et pêcheurs. » Natalia Laiño, Forum Mondial des Pêcheurs, 2014

6. Équité entre les sexes

Des programmes spécifiques sont nécessaires pour l’autonomisation des femmes agricultrices, leur intégration à la prise de décision et leur participation équitable aux marchés de la main d’œuvre souple en milieu rural. La discrimination positive en faveur des femmes est essentielle, notamment en ce qui concerne l’accès aux ressources naturelles et au capital.

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« Nous voulons améliorer les conditions des exploitants agricoles familiaux afin qu’ils puissent acquérir une véritable dignité et être fiers d’être des agriculteurs familiaux ...et que la jeune génération puisse continuer à pratiquer l’agriculture familiale et réduire ainsi la pauvreté et accroître la sécurité alimentaire et la nutrition. » Esther Penunia, Association des agriculteurs d’Asie, 2014

7. Des organisations d’agriculteurs plus fortes

Les intervenants ont mis en avant la nécessité de renforcer les organisations de producteurs pour équilibrer le pouvoir économique et politique des autres acteurs et consolider la voix des agriculteurs familiaux dans les processus de formulation des politiques. Parmi les domaines clés mentionnés figurent la nécessité pour les gouvernements d’inclure les organisations d’agriculteurs dans le dialogue et la prise de décision, les programmes de renforcement des capacités « axés sur les agriculteurs familiaux, détenus et dirigés par ces derniers », l’adaptation au changement climatique et la valeur ajoutée. Les activités proposées comprennent des programmes d’éducation et de formation et le partage d’expériences entre les organisations.

8. Recherche et vulgarisation menées par les agriculteurs

La recherche et la vulgarisation innovantes doivent placer les agriculteurs au centre des préoccupations et renforcer leurs propres efforts, vu que les agriculteurs sont les plus touchés par les impacts du changement climatique et essaient activement de s’y adapter.

9. Intéresser les jeunes

La participation des jeunes dans l’agriculture doit être encouragée de toutes les manières possibles, car « les écarts entre les générations et entre les sexes constituent les plus grandes menaces pour l’agriculture familiale ». La formation professionnelle doit être mieux orientée vers l’agriculture et les besoins des jeunes en milieu rural. Les politiques pourraient soutenir l’accès des jeunes aux ressources productives, notamment la terre et le crédit. Une vision globale des besoins des jeunes s’avère nécessaire, et les politiques doivent garantir le droit des jeunes à vivre leur vie sur leur propre territoire.

...et après l’Année internationale de l’agriculture familiale ?

La visibilité et la reconnaissance des agriculteurs familiaux se sont nettement améliorées cette année, comme le démontrent les nombreux signes d’une plus grande volonté politique d’appuyer les agriculteurs familiaux et de créer des politiques en faveur de l’agriculture familiale. Les agriculteurs eux-mêmes, femmes, hommes et jeunes, ont pu exprimer leurs points de vue et leurs aspirations. Toutefois, des domaines de grande préoccupation subsistent, d’où la nécessité de poursuivre ce processus d’autonomisation.

Nous ne pouvons véritablement célébrer le pouvoir des agriculteurs familiaux que lorsque nous pouvons également garantir leurs droits et qu’ils disposent d’un espace politique, économique et culturel pour utiliser leur force et choisir leurs propres voies de développement. Pour ce faire, l’AIAF a généré de nombreuses approches solides et éprouvées. Comme l’affirme une déclaration de la société civile : « L’AIAF doit être le début d’un processus plus long qui renforce l’agriculture familiale non-patriarcale, autochtone et paysanne. Nous faisons partie de la solution ».

Janneke Bruil

Coordonnatrice de l’apprentissage et du plaidoyer à ILEIA.

Email : j.bruil@ileia.org

Cet article est basé sur l’ouvrage « Vers une agriculture familiale plus forte. Points de vue au cœur de l’Année internationale de l’agriculture familiale » publié par ILEIA, en collaboration avec l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (octobre 2014).