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Yessal Agri Hub : Quand TIC et Agroécologie offrent des opportunités d’entreprenariat aux jeunes en Afrique

Yeesal Agri Hub est une association créée au Sénégal. Elle est née de la volonté d’un groupe de jeunes passionnés d’agriculture et animés par l’idée de créer un espace d’échange, de partage et de stimulation de la création de projets innovants dans le secteur de l’agriculture en lien avec les technologies de l’information et de la communication (TIC). Au nom de Yeesal, Adalbert Diouf, coordonnateur du projet et Abdourahmane Diop,le chercheur-chef, ont répondu à nos questions. Ils partagent ici leur innovation, leurs résultats, les contraintes, ainsi leurs points de vue sur les enjeux actuels de l’agroécologie en Afrique.

Agridape : Pourquoi avez-vous choisi de travailler autour du concept Yeesal Agri Hub ?

Yeesal : Yeesal est un terme wolof qui signifie “innover” ou “rénover”. Ce nom a été choisi pour se conformer à l’apport d’une touche innovante dans le secteur de l’agriculture au Sénégal, où les jeunes deviennent les protagonistes du développement agricole. A travers la créativité et l’innovation numérique, l’agriculture peut, en effet, devenir un secteur attractif pour les jeunes et une source du développement local qui lie la tradition agricole du pays aux nouvelles pratiques.

Yeesal est parti d’ un projet de recherche dont le but était de former une communauté de jeunes qui auraient un espace physique pouvant leur servir de lieu de rencontre, d’échange, de partage d’expériences. Cet espace est surtout un lieu de plaidoyer pour l’utilisation des TIC et l’accès en temps réel aux informations qui concernent l’Agriculture d’une manière générale. L’objectif du Hub est d’apporter du nouveau dans le secteur agricole.

Agridape : Quels sont les acteurs impliqués dans le projet ?

Yeesal : C’est un groupe multidisciplinaire, composé de jeunes passionnés d’agroécologie, de TIC et d’entreprenariat social, de profils différents (agronomes, vétérinaires, experts en marketing, administration et finance, développeurs, journalistes, communicateurs, agriculteurs, éleveurs, transformatrices et agro-entrepreneurs). Pour se démarquer des autres start-up, et pour toucher les communautés rurales concernées par l’agriculture, le choix stratégique pour l’implantation du hub s’est porté sur la région de Thiès.

Agridape : Est-ce que cela été facile de mettre en place l’initiative et séduire les partenaires ?

Yeesal : On a la chance insigne d’avoir eu des partenaires dès le lancement du projet. Mais ce qui a poussé et séduit les partenaires est que Yeesal Agri Hub incite, développe et soutient des projets innovants pour résoudre des problématiques qui affectent le monde rural. Ce projet sensibilise et forme les jeunes à l’entrepreneuriat agricole à travers une approche durable qui promeut l’agroécologie et les énergies renouvelables, facilite l’accès à l’information et aux opportunités d’entreprendre pour soutenir le secteur agricole et développer des projets durables à travers les TIC et l’agriculture, afin d’améliorer les conditions de vie des populations rurales.

Agridape : Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées dans le déroulement du projet ?

Yeesal : C’est à plusieurs niveaux. Une reconnaissance des pouvoirs publics par rapport à toutes les innovations portées par les jeunes dans le secteur agricole et en dehors des programmes étatiques qui existent. Il y a aussi des problèmes liés à l’accompagnement des jeunes, à l’accès aux TIC, car notre objectif est de toucher ces jeunes qui se sont installés dans les zones reculées et confrontés à des limites concernant l’accès à l’information. Le manque de qualification dans le secteur agricole au Sénégal est aussi une autre contrainte.

Agridape : Yeesal, c’est une adhésion forte des jeunes. Qu’en est-il de l’implication des filles dans le projet ?

Yeesal  : L’implication des filles dans le projet constitue un grand défi. Il est rare de trouver des jeunes filles intéressées par le secteur agricole qui souffre beaucoup de préjugés. Certains disent qu’il est réservé aux hommes, aux pauvres, etc. Il y a également le mythe relatif aux séries scientifiques qui sont rarement suivies par les filles. Mais fort heureusement, les centres de formation, aujourd’hui, ne se focalisent pas sur cette raison pour dispenser des formations dans des secteurs comme l’agriculture.
L’image que les gens ont de l’agriculture, celle qui montre qu’on va aux champs avec sa daba et sa houe, doit être révolue, car c’est une contrainte majeure. Dorénavant, tout le monde doit comprendre que l’agriculture est un métier noble. Fort de ce constat, on est en train de réaliser des campagnes de sensibilisation avec l’appui d’OSIWA pour une implication plus importante des filles dans le secteur agricole.
On espère atteindre cet objectif et assister à un renversement de tendances.

"Les TIC peuvent être utilisées comme outils d’information et de mise en relation entre les consommateurs et les producteurs..."

Agridape : Le projet Yeesal met à profit la technologie au service de l’agriculture.
N’est-il alors pas un frein pour les jeunes qui n’ont pas eu de chance de faire des études ?

Yeesal : Pour l’égalité des chances, on a organisé, en 2017, des séries de formation qui sont regroupés en trois entités. Le « Yeesal Mbay » : ce sont des formations pratiques organisées sur le terrain avec une partie suivie d’une session pratique ; le « Yeesal TIC » : c’est un programme de formation/sensibilisation accès sur les TIC ; le « Yeesal Talk » : des séries d’activités où l’on invite des entrepreneurs assez expérimentés à partager leurs expériences avec les jeunes de Yeesal.

Agridape : Quel est le lien qui existe entre TIC et Agriculture ?

Yeesal : Les pays africains partagent les mêmes problèmes liés à l’agriculture. C’est l’accès aux financements, aux intrants, aux informations, aux marchés….Pour surmonter ces difficultés, les TIC peuvent être utilisées comme outils d’information et de mise en relation entre les consommateurs et les producteurs pour leur permettre d’avoir accès aux prix et quantités des produits et de faire des comparaisons avant de se déplacer ou de passer à l’acte d’achat. Les TIC permettent de faire des veilles, d’avoir en temps réel les informations sur l’agriculture. Elles permettent aux acteurs du secteur agricole d’être interconnectés et d’accéder aux financements dédiés aux jeunes dans le secteur agricole. Les TIC, c’est aussi la mise en relation entre les différents acteurs du monde agricole.

Agridape : Pourquoi ce focus de Yeesal sur l’agroécologie ?

Yeesal : L’agroécologie est pratiquée au Sénégal depuis des lustres, cela n’a rien de nouveau. En gros, c’est le respect des normes de l’environnement, d’une alimentation saine, etc. Mais il faut noter que la perception que les gens ont de ce concept diffère et constitue un grand problème. De ce fait, on assiste à un dispersement des organisations qui militent pour l’agroécologie. Il faut donc arriver à une synergie de ces organisations pour plus d’efficacité. Au niveau de Yeesal, nous avons opté pour l’agroécologie que nous pensons être l’avenir de l’agriculture, notamment pour remédier aux dangers liés à d’autres pratiques agricoles par l’utilisation abusives des intrants nuisibles (pesticides, engrais chimiques…).

Agridape : Peut-on faire du business avec l’agroécologie ?

Yeesal  : Quand on parle d’agrobusiness les gens pensent automatiquement à l’agriculture conventionnelle. Et pourtant, avec l’agroécologie on peut faire du business, même si ce n’est pas du business comme dans l’agriculture conventionnelle. Il faut que l’on parle avec les jeunes de l’agroécologie et de ses enjeux à travers des forums, des missions de sensibilisation, des ateliers, symposium, etc.

Agridape : Quelles sont les réalisations de Yeesal depuis le lancement du projet ?

Yessal : Le hub est notre plus grande fierté, c’est une réalisation satisfaisante parce qu’on a réussi le challenge de fédérer un groupe de jeunes qui sont dans leurs propres entreprises pour partager des expériences dans leurs secteur respectifs. Yeesal fait partie d’un programme dénommé « Innovation Factory » qui regroupe 8 pays, mais notre projet est sorti premier par rapport aux attentes du programme. En outre, le fait que les bailleurs envisagent de répliquer le modèle de Yeesal dans les autres pays est aussi une grande réussite pour nous. Sans oublier la semaine de l’entreprenariat où l’on a eu à former 200 jeunes migrants de retour.

Agridape : Que faire pour que l’agroécologie soit viable économiquement ?

Yeesal : Il faut déjà trouver le bon modèle qui pourrait permettre de voir plus clair à travers la recherche et en finir avec ces dénis des alternatives par rapport à l’agroécologie, à l’agrobiologie ou à d’autres formes d’agriculture. Pour la formation des jeunes, il y a nécessité d’inclure des modules sur l’agriculture écologique pour une égalité des chances avec l’agriculture conventionnelle. Mais en amont, il faut une forte volonté politique qui va dresser une vision claire sur l’agroécologie. Il faut allouer par ailleurs des financements pour les producteurs qui ont choisi l’agroécologie, en trouvant des subventions pour les engrais biologiques.

Agridape : L’agroécologie est-elle un modèle permettant de lutter contre l’insécurité alimentaire au Sénégal ?

Yeesal : S’il y a une volonté politique et que tous les efforts concentrés sur l’agriculture conventionnelle sont reproduits sur l’agroécologie, on peut atteindre la sécurité alimentaire.

"L’agroécologie c’est moins d’impact négatif sur la santé, tout le monde a intérêt à se lancer à l’agroécologie."

Agridape : Quelles recommandations pouvez-vous faire à l’endroit des décideurs politiques ?

Yeesal : On leur demande de donner une chance aux gens qui portent leur choix sur l’agroécologie ; de leur octroyer les moyens d’œuvrer et de développer leur savoir-faire dans ce secteur. Mais on leur demande surtout d’accompagner la jeunesse comme celle impliquée dans le projet Yeesal dans leur initiative d’apporter des innovations dans le secteur agricole.

Agridape : Quels messages lancez-vous aux jeunes tentés par l’immigration clandestine en abandonnant les champs ?

Yeesal  : Il faut que ces jeunes sachent que « Rome ne s’est pas faite en un jour ». Donc, l’Afrique ne se fera également pas en un jour. Il faut les former pour une meilleure compréhension de l’entreprenariat et qu’ils soient accompagnés dans la gestion d’une entreprise. D’ailleurs l’objectif de Yeesal est d’accompagner les jeunes pour un avenir meilleur.