Abonnement à Agridape

Accueil / Publications / AGRIDAPE / Comprendre l’appel des pasteurs / Lu pour vous : Gouvernance foncière, pastoralisme et sécurité alimentaire au (...)

Lu pour vous : Gouvernance foncière, pastoralisme et sécurité alimentaire au Sénégal : les unités pastorales, une alternative crédible

La question foncière a toujours été au cœur des préoccupations des décideurs politiques en Afrique, en raison de la convoitise dont la terre fait l’objet et des enjeux qu’elle suscite de la part des différents utilisateurs et usages au sein des communautés. Sa gestion au Sénégal est encadrée par des textes de loi qui aujourd’hui, cohabitent de manière indue avec des pratiques coutumières encore vivaces, notamment en ce qui concerne l’appropriation et l’accès aux terres du domaine national.

La loi 64-46 du 17 juin 1964 portant loi sur le domaine national (qui est concerné par la réforme en cours) garantit l’accès équitable au patrimoine foncier sans distinction, pour les différents usages et distribue les terres en quatre catégories :

  • les zones urbaines ;
  • les zones classées ;
  • les zones de terroir ;
  • les zones pionnières qui, aujourd’hui sont reversées dans les zones de terroir.

Tous les acteurs de développement, quelque que soit leur secteur d’activité, peuvent en principe bénéficier sur demande, d’affectations de terre du domaine national. Cependant les conditions d’affectation de manière générale, les clauses relatives à la mise en valeur en particulier, excluent de fait les couches vulnérables, constituées essentiellement des femmes et les communautés d’éleveurs, du fait respectivement de leur statut social et de la nature de leurs activités.

En effet, l’article 3 du décret n°72-1288 du 27 octobre 1972 relatif aux conditions d’affectation et de désaffectation des terres du domaine national comprises dans les communautés rurales (devenues aujourd’hui communes) modifié, prévoit la possibilité d’affecter une terre du domaine national en faveur, soit d’un membre de la communauté rurale, soit de plusieurs membres regroupés en association ou coopérative en fonction de la capacité des bénéficiaires d’assurer, directement ou avec l’aide de leur famille, la mise en valeur de ces terres. Or, si les femmes dans nos sociétés africaines éprouvent des difficultés pour accéder au foncier eu égard au manque de moyens de production, pour les éleveurs la difficulté reste liée au fait que le pastoralisme ne soit pas jusque-là considéré comme une forme de mise en valeur.

Gouvernance foncière, mise en valeur des zones pastorales et sécurité alimentaire
La terre est à la fois l’essence de l’existence d’un Etat, d’une région, d’une collectivité mais aussi un support pour les systèmes productifs et pour l’exploitation et la gestion des ressources naturelles au sein de ces entités. Pour contribuer de manière efficace à la sécurité alimentaire, lutter contre la pauvreté et participer à la construction de la croissance économique, ces systèmes ont besoin d’être accompagnés par des investissements structurants à même de garantir leur productivité et leur compétitivité.

Cependant, pour ce qui concerne l’élevage (notamment au niveau des pays africains), leur caractère extensif, marqué par la mobilité du cheptel et des communautés d’éleveurs et la faible capacité des acteurs fragilisent les systèmes et renforcent sa précarité et sa vulnérabilité.
En effet, dans les zones d’élevage, la compétition pour l’accès à la ressource terre s’accentue entre agriculteurs et pasteurs, souhaitant valoriser de manière différenciée les mêmes espaces et limite les libertés de mouvement ou entraîne des dégâts sur les cultures et/ou les ressources forestières.

Sur un autre registre, l’implantation des habitations dans les zones d’élevage se fait de manière incontrôlée avec comme conséquences immédiates, des coupes abusives d’arbres, des feux de brousse, du braconnage… C’est essentiellement la raison pour laquelle, ce mode d’exploitation de l’espace pastoral est souvent considéré comme un facteur aggravant de dégradation de l’environnement et non comme une forme de mise en valeur de la terre. Les modes de peuplement de la zone ne sont pas de nature à faciliter l’organisation des populations. En effet, autour des établissements humains officiels, gravitent de nombreux hameaux et de campements installés par de grands éleveurs en quête d’autonomie, ou par les transhumants sans aucune logique de rationalité.

Le préjudice que subit l’activité pastorale (et qui limite sa compétitivité et sa capacité à contribuer à la sécurité alimentaire) reste lié par ailleurs au fait que les acteurs ne bénéficient pas d’attribution de terre au même titre que les agriculteurs pour mener à bien leurs activités et contribuer de manière durable au développement de manière générale, à la sécurité alimentaire en particulier.
Le besoin en patrimoine foncier reste difficile à satisfaire par les collectivités locales, chargées de la gestion de la terre dans les zones de terroir, du fait de la mobilité qui caractérise l’activité, elle-même tributaire des aléas climatiques, de la disponibilité des ressources en eau et de la quantité de biomasse mobilisable au sein des terroirs pastoraux.

Par ailleurs l’amélioration des conditions d’élevage dans les zones pastorales et de ses possibilités à contribuer à la sécurité alimentaire se heurte à des considérations d’ordre socioculturel. Le nombre de têtes de bétail confère à l’éleveur un statut social de premier rang. L’intensification du système par des techniques d’amélioration de la race locale et la stabulation d’un effectif réduit mais plus performant bute sur le désir de l’éleveur d’avoir plus de têtes pour renforcer son statut social et avoir plus de considération au sein de sa communauté.
Ainsi, pour améliorer le système, les actions doivent porter entre autres, sur la sécurisation des espaces pastoraux, à travers la sécurisation foncière, l’amélioration de la disponibilité des ressources en eau et des pâturages et l’amélioration de la santé animale.

Ces actions doivent s’accompagner d’un programme de renforcement des capacités des populations à entreprendre et à mieux gérer des activités collectives. Cependant, l’équilibre doit être trouvé entre la nécessité de promouvoir un secteur si stratégique dans l’économie nationale qui doit jouer un rôle de premier ordre dans la construction de la sécurité alimentaire, et l’obligation de sauvegarde des ressources naturelles, condition d’un développement des systèmes pastoraux efficace et durable.

Au Sénégal, la mise en œuvre de la politique de décentralisation entamé depuis l’époque coloniale, renforcée en 1972 et consolidée en 1996 (et plus récemment en 2013) ainsi que les stratégies d’intervention des projets basés sur la responsabilisation et le partenariat, sont des atouts indéniables permettant d’atteindre cet objectif.

Les « Unités pastorales », une approche communautaire intégrée de sécurisation des espaces pastoraux…

L’approche participative utilisée par les différents intervenants dans la zone sylvo-pastorale au Sénégal a été matérialisée dans le cadre de la mise en place des « Unités Pastorales » (UP). L’UP est un groupement d’éleveurs résidant dans des établissements humains regroupés autour d’un même forage, unis par une solidarité résultant du voisinage, exploitant les mêmes ressources naturelles et, ayant opté pour s’unir librement. Elle est subdivisée en terroirs pastoraux regroupant des établissements humains voisins, en vue d’assurer une meilleure participation des populations dans la mise en œuvre du plan de gestion et à l’évaluation de son application.
Les premières générations d’UP ont été mises en place à partir de 1979, après la grande sécheresse qui avait touché le Sahel en 1974 et qui avait décimé une bonne partie du cheptel. Ainsi, le Projet de développement de l’élevage au Sénégal oriental (PDESO) avait été installé à Tambacounda (Sénégal oriental à l’époque), le Projet de développement de l’élevage au Sahel occidental (PRODESO) et l’Office pour le développement de l’élevage à Mopti (ODEM) au niveau du Mali.

L’objectif de ces projets était de lutter contre la désertification en impliquant les communautés d’éleveurs dont la manière de mener leurs activités était considérée comme facteur essentiel de dégradation de l’environnement. Le souci majeur était de promouvoir l’élevage dans ces zones tout en protégeant les ressources naturelles disponibles. Si ces projets ont atteint des résultats assez probants avec l’implantation par exemple au Sénégal Oriental d’une cinquantaine d’UP, leur impact a été éphémère du fait de l’absence d’appropriation par les organisations de producteurs (OP) et les services techniques de l’ Etat.
La démarche avait consisté uniquement à mettre en place un plan de gestion au niveau de chaque UP avec une implication relativement timide des acteurs. L’accent n’a pas été mis sur les mesures d’accompagnement en particulier le renforcement des capacités des populations à gérer de manière efficace et durable des activités collectives, à travers des programmes de formation techniques et d’alphabétisation.

Ainsi, aux termes de ces projets et programmes, les populations sont retournées aux anciennes pratiques de gestion de l’espace, d’autant plus que les responsables chargés de veiller à l’application des dispositions réglementaires contenues dans les plans de gestion n’avaient aucune responsabilité sur la gestion du terroir, encore moins de pouvoirs de sanction vis-à-vis des contrevenants aux règles établies. Par rapport au foncier, ces espaces étaient organisés au Sénégal sur les zones pionnières sans aucune possibilité d’appropriation par les communautés d’éleveurs.

La deuxième génération d‘UP au Sénégal est née à partir de 1993 avec l’avènement du Projet de développement agricole de Matam (PRODAM) dans la région de Matam et du Projet d’appui à l’élevage (PAPEL) dans la zone sylvo-pastorale des régions de Louga et Matam. Ces projets ont capitalisé sur les expériences du PDESO en mettant d’avantage l’accent sur la responsabilisation et la formation des populations. Ils ont particulièrement mis à profit les opportunités offertes par la politique de décentralisation dont les principes directeurs étaient de responsabiliser les acteurs à la base et de rapprocher le pouvoir des citoyens. Ce qui confère aux élus locaux, des pouvoirs de gestion, de planification et de mise en œuvre de programmes locaux de développement.

La démarche globale consiste à élaborer un plan de gestion concerté, accompagné de convention locale élaboré de manière consensuel avec l’appui des services techniques. Il s’est agi ensuite d’aider les éleveurs à gérer eux–mêmes et appliquer les dispositions des conventions locales mises en place d’un commun accord entre tous les acteurs à savoir :

  • organiser l’exploitation des pâturages dans l’espace et dans le temps ;
  • organiser la transhumance dans les terroirs pastoraux ;
  • exploiter et gérer de manière efficace les infrastructures mises en place ;
  • mettre en œuvre des actions génératrices de revenus tout en préservant l’environnement ;
  • être capable de négocier avec les structures privées et publiques ;
  • assurer le suivi et l’évaluation de la mise en œuvre des plans de gestion des UP.

L’objectif principal est d’assurer l’exploitation concertée des ressources naturelles au sein des espaces pastoraux.

Processus, principe et démarche de mise en place des UP

L’implantation des UP suit un processus itératif, inclusif et participatif avec des étapes d’information et de sensibilisation des acteurs de mobilisation des parties prenantes, d’élaboration de manière consensuelle des plans de gestion et conventions locale et de la mise en œuvre des plans de gestion et conventions locales et de leur suivi évaluation.

Les structures mises en place pour gérer l’UP sollicitent l’attribution de terre et font approuver les plans de gestion et les conventions locales par les autorités administratives, locales et techniques. L’élaboration du plan de gestion des UP est adossée à des principes de base que sont : i) la responsabilisation des communautés d’éleveurs et ii) le partenariat entre tous les acteurs intervenant au niveau de l’espace pastoral. Cette responsabilisation des éleveurs est matérialisée par une délégation de maîtrise d’ouvrage directe des organisations d’éleveurs résidents au niveau des UP par le Conseil Rural. Ce dernier affecte par délibération le terroir polarisé par le forage au groupement d’intérêt économique (GIE) inter villageois sur des superficies qui peuvent atteindre 50 à 100.000 ha. Ce qui constitue une innovation majeure au Sénégal dans le cadre de la gestion foncière.
Cette innovation a été encadrée et facilité par le Projet de gestion intégrée des écosystèmes dans quatre paysages représentatifs du Sénégal (PGIES) dans les UP de Malandou, Windé Diohé et Loumbol.

Ainsi, l’élevage qui, jadis n’était pas considéré comme une forme de mise en valeur, bénéficie désormais, au même titre que les activités agricoles de délibération avec l’affectation d’importantes superficies de terre, pour le renforcement des activités pastorales et la sécurité alimentaire.

Le GIE mis en place à la tête de chaque Unité Pastorale gère en rapport avec les collectivités locales l’espace pastoral avec une plus grande sécurité foncière en application des conventions locales adoptées de manière consensuelle avec l’appui des projets et structures techniques.

En ce qui concerne les unités pastorales mises en place dans le domaine classé, les acteurs concernés veillent à ce que les dispositions réglementaires contenues dans le plan de gestion soient en phase avec les lois et règlements en vigueur, notamment le code forestier. C’est pourquoi, les services compétents de l’Etat en la matière sont aux côtés des populations qui sont au cœur du processus d’élaboration et de mise en œuvre des plans de gestion et conventions locales.

Les conventions locales sont dans ce cas élaborées de manière consensuelle et signées entre le GIE et les structures techniques avec visa de l’autorité administrative. Ce faisant, les populations qui ont de nouvelles responsabilités clairement définies sur la gestion du terroir, ne sont plus de simples usagers, se souciant peu ou pas de la protection de l’environnement. Elles deviennent de véritables collaboratrices des services techniques pour une gestion et une exploitation responsable des ressources naturelles.
C’est ainsi qu’elles participent à la lutte contre le braconnage, les feux de brousse et la préservation de l’environnement en collaboration avec les services étatiques. Les membres des organes de gestion sont formés par les structures techniques et les projets dans le cadre de l’accomplissement de leurs activités à travers des programmes d’alphabétisation, la formation technique, l’appui/conseil et la recherche/action.

Dans le cadre de l’appui/conseil, des semences sélectionnées de mil, des pintades domestiquées ainsi que des programmes d’insémination artificielle sont introduites dans les terroirs pastoraux menés pour améliorer la sécurité alimentaires. Le partenariat entre les structures de développement intervenant dans les zones pastorales est systématisé en vue de maximiser l’efficience des moyens mis à disposition par les pouvoirs publics et les partenaires privés et de rendre les interventions plus efficaces parce que concertées.

Résultats et impacts

La mise en place des unités pastorales dans la zone sylvopastorale a permis : la réduction des conflits fonciers (entre éleveurs, éleveurs et agriculteurs, autochtones et transhumants), la sécurisation foncière (avec les délibérations des collectivités locales sur des dizaines voire centaines de milliers d’ha), le renforcement de la Sécurité alimentaire (amélioration des paramètres zootechnique du cheptel, l’amélioration des rendements et productions laitières et céréalières), l’amélioration du cadre et des conditions de vie des éleveurs (renforcement du maillage des infrastructures et équipement sociaux de base), la gestion durable des ressources naturelles (implication des communautés d’éleveurs), l’autonomisation des OP, celles des femmes en particulier (renforcement de leur capacités de gestion, de négociation, pour les femmes l’allègement des travaux domestiques, etc..).

Le renforcement de la prise en compte des besoins des éleveurs dans le cadre de la réforme foncière au Sénégal

Les enjeux de la réforme foncière au Sénégal semblent favorables à une reconnaissance des droits réels aux affectataires des terres du domaine national situées dans les zones de terroir y compris celles à vocation pastorale. Cette option est à encourager car elle permet d’éviter les émiettements de terres comme cela semble se dessiner dans les zones agricoles. Le regroupement des éleveurs au sein de l’UP renforce leur capacité de négociation et de gestion tout en créant les conditions d’amélioration de leur cadre et condition de vie. La réduction de l’amplitude et de la durée de leur déplacement leur permet de mener en marge de l’élevage, des activités agricoles vivrières et génératrices de revenus et de bénéficier des programmes d’éducation et de santé qui étaient difficiles à gérer avec la transhumance.

Des actions positives doivent donc être prévues au niveau des nouveaux textes en perspective pour promouvoir l’installation des UP dans ces zones. La mise à l’échelle pour une contribution à la réalisation des objectifs du Plan Sénégal émergent.
La mise en place des unités pastorales dans les zones sylvopastorales est une expérience relativement récente dans l’histoire du pastoralisme au Sénégal.

Cependant elle présente des perspectives intéressantes en matière de sécurisation de l’espace pastoral, de sécurité alimentaire, de lutte contre la pauvreté et d’amélioration de la résilience des communautés d’éleveurs. En effet les UP ont permis d’amorcer des dynamiques de gestion rationnelle et durable de l’environnement et des ressources naturelles au sein des systèmes pastoraux avec l’introduction d’approches nouvelles de participation et d’implication des acteurs à la base qui renforcent leur attachement au terroir et le réflexe de préservation de leur milieu.

La mise à l’échelle de l’expérience doit être envisagée dans les zones qui s’y prêtent, pour améliorer les capacités de contribution du pastoralisme dans la transformation structurelle de l’économie telle que retenue dans le PSE et de promotion d’un développement endogène durable.

Cheikh Ahmet Tidiane Diop

Ingénieur en Aménagement du Territoire
Contact : diopmouridcheikh@gmail.com / diopmouridcheikh@yahoo.fr

Publié par le journal Le Soleil, le 26 octobre 2016