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Quels besoins en information climatique au Sénégal ?

Au Sénégal, diverses catégories d’acteurs qui interviennent dans le secteur agricole utilisent des informations climatiques. Cette étude montre que les partenaires techniques et financiers et institutions financières utilisent les projections climatiques à long terme plus que ceux qui sont chargés de mettre en œuvre les programmes agricoles.

Eléments de contexte

Au cours des dernières décennies, l’Afrique de l’Ouest a connu une variabilité pluviométrique extrême parmi les plus intenses du monde avec des impacts particulièrement négatifs sur la sécurité alimentaire. Une augmentation des températures est également clairement visible dans les observations climatiques et affecte les rendements agricoles.

Le changement climatique et la croissance rapide de la population pourront aggraver une situation déjà précaire. Parmi les stratégies d’adaptation existantes et à valoriser, un meilleur accès à une information climatique de qualité est un moyen efficace d’aider la planification et la prise de décision dans le secteur agricole.

Cependant, l’utilisation opérationnelle de ces informations se heurte à de nombreux problèmes comme leur échelle souvent inappropriée, leur accessibilité et biais, ainsi que les incertitudes importantes qu’elles contiennent et le manque de connaissance sur la façon dont elles peuvent s’interpréter et être utilisées.

Le terme service climatique désigne la production, la fourniture et la contextualisation d’informations et de connaissances dérivées de la recherche climatique, et ayant pour but la prise de décision.

Cette notion de service climatique est ainsi en forte progression chez les acteurs du développement, que ce soit à court terme (informations météorologiques pour des agriculteurs) qu’à long terme (aide à la planification des infrastructures, aux études de vulnérabilité pour les chefs de projet). Les activités relatives aux services climatiques, situées au cœur de l’interface science-société, figurent dans l’Accord de Paris et les Objectifs de Développement Durable (ODD).

Un cadre global, le Global Framework for Climate Services (GFCS), a été créé en 2012 par l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) et vise désormais à être décliné au niveau national. Plusieurs pays comme le Sénégal ont commencé à se doter d’un cadre national pour les services climatiques pour renforcer l’utilisation de l’information climatique dans la planification et la mise en œuvre de politiques visant le développement agricole et le renforcement de la sécurité alimentaire. Toutefois, la production de l’information climatique pour éclairer les politiques agricoles suppose la connaissance des besoins des utilisateurs finaux.

Objectifs de l’étude

L’objectif de l’étude est d’identifier les besoins d’utilisateurs potentiels en terme d’information climatique au Sénégal. Il s’agit ici de connaitre les préférences de ces utilisateurs en termes de variables, de format de données, de type de visualisation mais aussi en termes de besoins de formation pour apprendre à les comprendre, à les utiliser et à les disséminer. Les services climatiques couvrent aussi bien les prévisions météorologiques de court terme (1 à 10 jours) que les projections climatiques sur plusieurs dizaines d’années.

Cependant, la demande en informations de court terme étant étudiée par ailleurs, cette étude se focalise sur les services climatiques de long terme, c’est-à-dire la production de données de projections climatiques sur le 21e siècle facilitant la prise de décision dans le secteur agricole au Sénégal. Par ailleurs, le périmètre de cette étude centrée pour le moment sur les services climatiques pour l’exploitation des terres agricoles pourrait être étendu plus tard à d’autres secteurs productifs tels que l’élevage et la pêche.

Méthodologie

Après une phase d’identification et de discussions avec les acteurs considérés comme potentiels utilisateurs, un questionnaire comportant les rubriques suivantes a été mis en ligne : description de l’utilisateur, utilisation de services climatiques, connaissance des projections climatiques, utilisation de projections climatiques et besoin et intérêt pour la mise en place d’une plateforme de projections climatiques.

Ce questionnaire a été distribué à des personnes ressources représentants des utilisateurs potentiels. Il s’agit des instances décisionnelles du Ministère de l’Economie, des Finances et Plan (MEFP) et du Ministère de l’Agriculture et de l’Equipement Rural (MAER), des partenaires techniques et financiers de coopération bilatérale et multilatérale, des directions et divisions nationales de mise en œuvre des politiques agricoles, des institutions de recherche et de formation, des organismes de la société civile et acteurs non étatiques, des entités de la finance climatique et des assurances agricoles.

Au total, un nombre de 58 utilisateurs potentiels (tableau 1) ont administré le questionnaire en ligne de la période du 21 décembre 2017 au 20 janvier 2018 pour une première évaluation des besoins et lacunes en termes de services climatiques. Afin d’approfondir les réponses, de mieux comprendre les attentes des usagers, et de dépasser une approche purement quantitative deux éléments complémentaires ont été mis en place : la réalisation de 16 entretiens individuels et la tenue d’un atelier avec une partie des utilisateurs potentiels durant la restitution finale des résultats.
Résultats
La quasi-totalité des personnes enquêtées déclarent utiliser déjà des services météorologiques et climatiques dans leur domaine d’activité respectif. Si on se concentre uniquement sur les prévisions à long terme, 45% des répondants affirment les utiliser dans leur activité professionnelle avec, pour 30% une fréquence d’utilisation au moins mensuelle.

Selon le type d’acteurs du secteur, on observe une grande variabilité dans l’utilisation de ces différents services : ce sont les instances de finance climatique et assurances agricoles et les partenaires techniques et financiers qui utilisent le plus les données de projections climatiques tandis que les institutions de mise en œuvre des politiques agricoles et les acteurs non étatiques se réfèrent le plus souvent au bulletin décadaire ou au bulletin météorologique journalier.

D’autre part, la majorité des participants à l’enquête (81,4%) déclare que leurs décisions ou actions s’inscrivent dans le long terme, c’est-à-dire quelques décennies à un siècle. L’enquête révèle par ailleurs que 72,9% des répondants sont impliqués directement ou indirectement dans les plans d’adaptation au changement climatique et 74% d’entre eux considèrent que les projections climatiques sont importantes ou très importantes pour l’amélioration de leur activité professionnelle.

Tous ces résultats montrent donc qu’une marge de progression est possible pour rendre les informations climatiques de long terme disponibles à des professionnels qui en auraient besoin. Une constatation qui semble confirmer par un troisième résultat qui montre que seulement 17% des usagers actuels des projections se déclarent satisfaits ou très satisfaits par l’accès aux données.

Ainsi, un certain nombre de difficultés quant à l’accès et l’utilisation de données de projections climatiques dans la planification des interventions ont été soulevées : les incertitudes trop grandes dans les résultats des modèles sans correction de biais (41,3%), le manque de compétence pour l’exploitation des données de sorties de modèles (37%), le problème de complétude et de promptitude des données (28,3%), les produits inadaptés par rapport aux besoins (21,7%) et le débit de la connexion internet pour le téléchargement (15,2%).

En dépit de ces contraintes majeures, une bonne partie des personnes interrogées affirme l’importance des projections climatiques dans l’amélioration de leur activité : 30,4% des répondants disent que celles-ci sont très importantes et 43,5% déclarent qu’elles sont importantes alors que pour 17,4% seulement cette importance est modérée.

Selon le domaine d’activité des répondants, la nature des besoins en services climatiques concerne principalement les projections climatiques seules comme la pluie, la température, l’humidité relative (40,4%) et les projections sectorielles avec des modèles d’impacts comme le rendement agricole, les ressources en eau, la réaction de l’économie (54,4%).

Selon le type d’utilisateurs de services climatiques, ce sont les institutions de formation et de recherche qui ont le plus besoin de données de projections seules tandis que les entités de la finance climatique et des assurances agricoles, les organes de mise en œuvre des politiques agricoles, les organismes et acteurs non étatiques, les partenaires techniques et financiers souhaitent acquérir des projections sectorielles sur la base de modèles d’impacts.

Concernant la résolution spatiale, les futurs potentiels utilisateurs souhaitent obtenir les données de projections climatiques à une résolution spatiale correspondant à la localité géo-référencée (26,8%), à la commune (21,4%), à la région (19,6%), au pays (19,6%) et au département (12,5%). Concernant l’horizon temporel, les répondants affirment leur préférence pour l’horizon 2050 (43,6%) et l’horizon 2030 (34,5%).
La préférence pour l’horizon 2030 pourrait s’expliquer par la mise en œuvre du Plan Sénégal Emergent (PSE) et de l’Agenda Mondial 2030 sur les objectifs de développement durable (ODD). Selon le domaine d’intervention, tous les utilisateurs potentiels des services climatiques à long terme n’ont pas les mêmes besoins concernant les types de produits de projections climatiques dans les zones choisies.

Les préférences en matière de produits de projections climatiques concernent principalement les données brutes et téléchargeables (76,8%), plutôt en format prise en charge dans Excel et en second lieu les cartes et les graphiques au format PDF. Les questions sur les aspects techniques des modèles climatiques (downscaling, correction de biais) ont par ailleurs montré que les personnes interrogées avaient une connaissance limitée de ces pratiques, ce qui les amène pour une bonne partie d‘entre elles à déclarer avoir besoin d’un renforcement de capacités pour comprendre et utiliser ces données. Ce besoin concerne essentiellement les fondamentaux de la modélisation climatique (56,1%) le traitement statistique (36,8%) et les fondamentaux de la modélisation agronomique/hydrologique (35,1%).

Leçons apprises et perspectives

Les secteurs productifs au Sénégal comme l’agriculture, l’élevage, les ressources en eau, etc. ont été et vont être encore affectés par les impacts du changement climatique d’où la nécessité d’avoir un bon accès à des données de qualité susceptible d’aider à mieux intégrer les risques climatiques dans la planification des politiques de développement.

Au terme de cette étude, il est ressorti que la disponibilité de données climatiques de qualité est une variable incontournable pour de nombreux acteurs travaillant dans le secteur agricole au Sénégal, qui permettrait d’améliorer significativement la planification de leur activité.

Cependant, la majorité des personnes interrogées a déclaré que leur utilisation n’est pas encore à un niveau satisfaisant. Parmi les raisons, on peut citer l’inadaptation des produits par rapport aux besoins des usagers, le problème de complétude et de promptitude des données, l’incertitude trop grande dans les résultats, la résolution spatiale, le format des données ne facilitant pas l’exploitation et le manque de compétence pour exploiter les données.

Face à ce constat, plusieurs acteurs français (CNRS, IRD, AFD, CIRAD) et Sénégalais (CSE, ANACIM, LPAO-SF) dans le cadre de projets comme la convention Services Climatiques (https://convention-services-climatiques.lsce.ipsl.fr) et le projet international AMMA-2050 (https://www.amma2050.org/) ont proposé de développer un démonstrateur de services climatiques au Sénégal.

Les personnes enquêtées ont manifesté un très grand intérêt pour la mise en place d’un portail de distribution de données de projections climatiques centré sur le Sénégal, s’il répond à leurs exigences comme la disponibilité de la majeure partie des paramètres (pluie, température et indicateurs sectoriels), la résolution spatiale (localité, commune, département, région, pays) et temporelle (horizons bien séquencés de 2020 à 2100), le format des données pour faciliter le téléchargement, la sélection des sorties de modèles présentant les meilleurs résultats.

Il faudra également accompagner le développement du portail avec des actions de formation pour le renforcement des capacités dans l’exploitation des projections climatiques. Aussi, dans une perspective d’amélioration de la qualité des services climatiques fournis aux utilisateurs, il est envisagé de réaliser ultérieurement des études permettant d’évaluer réellement l’impact de l’utilisation de l’information climatique dans le secteur agricole au Sénégal.

Ibrahima Sy
Département de Géographie, Faculté des Lettres et Sciences Humaines (FLSH), Université Cheikh Anta Diop (UCAD) et Centre de Suivi Ecologique (CSE), Dakar, Sénégal
Philippe Roudier
Agence Française de Développement, Paris, France
Benjamin Sultan
ESPACE-DEV, Univ Montpellier, IRD, Univ Guyane, Univ Reunion, Univ Antilles, Univ Avignon, Maison de la Télédétection, 500 rue Jean-François Breton, F-34093 Montpellier Cedex, France
Contact :benjamin.sultan@ird.fr

Cet article est un extrait de l’étude des besoins pour la mise en place d’un démonstrateur de données de projections climatiques pour le secteur agricole au Sénégal, février 2018.

Photo d’ouverture : Bulletin journalier (ANACIM)