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Transition verte dans les pêcheries au Sénégal : La solution pour sauver un secteur vital

La pêche occupe une place de choix dans l’économie sénégalaise. Cependant, dans un contexte de changement climatique, des certitudes préoccupantes installent de plus en plus ce secteur dans une crise presque irréversible. Une transition verte soutenue semble être la solution la plus viable pour sauver ce pan vital de l’économie du pays.

L’initiative pour la promotion de l’économie verte de la Green Economie Coalition (GEC) dont sont membres UICN Sénégal et IED Afrique a initié au Sénégal en Octobre 2018, dans les communes de Mbour et Joel, une série de conversations avec les parties prenantes du secteur dans le but de capturer leur point de vue à la lumière des défis, enjeux et dynamiques qui animent le secteur de la pêche.

Cet article, réalisé dans le cadre cette initiative, fait l’économie des résonances recueillies auprès des acteurs de la pêche des quais de Mbour et Joal. Les messages clés retenus serviront de contribution à un dialogue que la plateforme nationale sur l’économie verte entend lancer aux plans local et national entre les citoyens, les ONG et les décideurs.

La pêche au Sénégal, un secteur à mille enjeux

« C’est la mer elle-même qui est malade (….), nous sommes obligés d’aller de plus en plus loin en mer pour avoir une chance de rapporter du poisson. Il nous arrive d’aller jusqu’à 70 à 90 km. Nous prenons donc plus de risques. » Cette déclaration d’un pêcheur de Mbour faite à l’équipe d’enquête de l’UICN et IED Afrique, en dit long sur l’état de santé du secteur.

Cette situation, les pêcheurs, mareyeurs et même les transformatrices de poisson, dans les communes de Mbour et de Joal, l’expliquent par plusieurs facteurs. D’une part, l’évolution des technologies avec aujourd’hui la présence de gros bateaux capables de géo localiser les poissons et racler le fond des eaux et d’autre part, les pécheurs artisanaux qui persistent dans leurs mauvaises pratiques telles que l’utilisation d’explosifs, l’éblouissement, le débarquement de juvéniles dû à l’utilisation de mono filaments, le non-respect des repos biologiques, etc.

Avec la dégradation de plus en plus importante des ressources halieutiques, le secteur de la pêche fait face à de nombreux enjeux. Des informations recueillies par IED Afrique et UICN auprès des parties prenantes du secteur permettent de classer ces enjeux en trois ordres :

  • Enjeu politique : En dépit d’efforts consentis par l’Etat (subventions, infrastructures, etc.) la prise en charge de la dimension économie verte est relativement nouvelle dans les politiques de développement. Pour promouvoir la durabilité dans la pêche, il faudra dès lors, créer une dynamique verte à même d’influencer les politiques gouvernementales (Senegal Barometer, 2018).
  • Enjeu environnemental : L’exploitation prochaine des réserves de gaz (50 TCF, soit 1 400 milliards de mètres cubes selon Kosmos Energy en 20164) et du pétrole découvertes au large du Sénégal interpelle les acteurs de la pêche à réfléchir sur une cohabitation durable des activités d’exploitation pétrolières et de pêche. Il en est de même pour l’impact du changement climatique sur la zone côtière et marine et leurs ressources, auquel s’ajoutent les impacts anthropiques (gestion des déchets, péril plastique).
  • Enjeu économique : L’arrivée de nouveaux investisseurs qui tirent d’importants revenus de la pêche présente d’énormes enjeux économiques. Selon Patrice Brehmer, écologue marin de l’IRD (Institut de recherche pour le développement), « 80 % des captures sont le fait de pêcheurs artisans. Ils sont encouragés par des sociétés mixtes, avec des fonds étrangers. Elles implantent des usines de transformation en farine de poisson, financent les pirogues et les filets. Ces sociétés sont très pernicieuses et mettent en péril la sécurité (Association pour la Promotion et la Responsabilisation des Acteurs de la Pêche Artisanale Maritime, APRAPAM) ».

Dans une option de valorisation, les prises peuvent être plus rentabilisées si l’industrie du secteur est dotée de moyens techniques et financiers sur toute la chaine de valeurs. En 2016, le Sénégal a exporté près de 192 000 tonnes de produits halieutiques, soit 14,6% du volume global des exportations du pays. Le secteur de la pêche a contribué cette même année pour près de 204 milliards de FCFA au budget national (APRAPAM).

De même, il existe de multiples potentialités qu’il faut valoriser pour restaurer et conserver les ressources (UICN, 2017). La restauration et la conservation sont une réponse aux pratiques de pêche et à la pression sur certaines espèces cibles.

Un secteur en pleine expansion

Avec « plus de 600.000 emplois, soit 17 % de la population active, la pêche draine aujourd’hui 20.000 pirogues (APRAPAM) ». Selon Souleymane Diaw, pécheur au quai de Mbour interrogé lors des conversations initiées par UICN et IED Afrique en octobre 2018, « les prises diminuent parce qu’il y a trop de pirogues maintenant. Avant, on avait un ou deux pêcheurs dans une famille, mais maintenant chaque famille de pêcheur en compte parfois jusqu’à six ou plus ».

Avec les changements climatiques, la pratique de l’agriculture, presque essentiellement pluviale, a fortement reculé au Sénégal, renforçant ainsi la pauvreté en milieu rural. Pour subvenir à leurs besoins, les populations des zones côtières se sont dès lors massivement orientées vers le secteur de la pêche. Interrogé sur la question, M. Mama Mboup, mareyeur au quai de pêche de Joal depuis 46 ans, soutient ainsi que « l’activité est devenue l’une des principales sources de revenus et d’emplois au Sénégal ».

A la forte pression des pêcheurs artisanaux sur les ressources halieutiques, s’ajoute l’installation des industriels de la transformation de produits halieutiques incitant les pêcheurs à des pratiques dévastatrices des fonds des larges. Comme conséquence, les ressources jadis en abondance et qui alimentent ces entreprises de pêche se font de plus en plus rares, si bien que le secteur, bien que pourvoyeur d’emplois, est aujourd’hui au bord d’une crise économique et environnementale. Pour preuve, M. Souleymane Diaw confie : « je pouvais gagner 100.000 FCFA par jour en période d’abondance. Mais depuis six ans, je peine à avoir même 20.000 FCFA par jour ».

Assurer la durabilité dans les pêcheries sénégalaises

Dans un rapport rendu public en juillet 2018, l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) révèle qu’ « un poisson sur trois pêché en mer ne finira pas dans nos assiettes, car il aura été pêché par erreur, qu’il n’aura pas atteint la taille adéquate ou qu’il n’aura pas réussi à être conservé sur toute la chaîne ». Le rapport précise en parallèle qu’« un tiers des espèces est surexploité » et que « 35 % des prises mondiales sont gaspillées. » (FAO, 2018).

Ces résultats concordent parfaitement avec la situation des pêcheries sénégalaises, si on se réfère aux résonnances recueillies lors des conversations effectuées par les équipes de l’UICN et de IED Afrique, en octobre 2018. « Pour défaut de moyen de conservation, nous sommes souvent obligés de vendre à perte notre poisson aux usines où entreprises qui exportent », regrette un pêcheur au quai de pêche de Joal.

L’adoption de pratiques durables (utilisation de mailles réglementaires, respect des tailles de capture et du repos biologique, abandon de la pêche à l’explosif, ou de plongée, etc.) va contribuer à permettre aux acteurs de continuer à exploiter les ressources halieutiques (permettre la régénération des ressources), à réduire la pression sur certaines espèces (Sardinelle), valoriser les débarquements et créer, par ricochet plus d’emplois.

La transition verte, une aubaine pour la pêche artisanale

En 2013, la pêche artisanale est pratiquée en moyenne par 62 444 pêcheurs avec une flotte de 11 889 pirogues (SESS, Ed 2013). Le volume des débarquements s’élève à 398 214 tonnes en 2013, contre 405 974 tonnes en 2012, soit une diminution de 7 760 tonnes (-1,9%).

La transition verte permettra de diminuer la pression sur la sardinelle qui constitue l’essentiel des prises de la pêche artisanale et de protéines animales des citoyens.
Selon les résultats de l’enquête UICN et IED en octobre 2018 à Mbour et Joal, la transition verte pourrait s’appuyer sur quatre leviers majeurs de verdissement de l’économie halieutique sénégalaise. Il s’agit de :

  • la restauration de l’écosystème marin-côtier et la gestion rationnelle des ressources halieutiques dégradées,
  • la valorisation des débarquements (renforcer les unités de transformation, de conservation…),
  • le recours aux données scientifiques pour réguler l’effort de pêche et ouvrir des perspectives de réhabilitation
  • la formalisation des bonnes pratiques telles que les conventions locales (repos biologique, zones de pêche, gestion des sorties de pêche…).

Opportunités vertes pour une pêche artisanale durable

Les opportunités présentes dans la pêche sénégalaise pour une transition vers une économie verte sont liées à la forte interconnexion avec les écosystèmes aquatiques et la portée économique et sociale de la pêche.

  • La Fisheries Transparency Initiative (FiTI) (lancée à Nouakchott en février 2016 et regroupant entre autres pays le Sénégal, la Mauritanie pour la transparence de la pêche). Elle est un moyen pour les acteurs de la pêche de se positionner dans un cadre cohérent de concertation, atteindre la transparence (processus) et rendre publiques les informations sur les licences de pêche. Par exemple, la publication des contrats va aider les investisseurs potentiels à mieux percevoir les niches disponibles et à éviter du coup la pression sur certaines espèces.
  • Le développement accéléré de l’aquaculture (SESS, Ed 2013) : C’est un projet de l’Etat, dont l’ambition est de produire grâce à l’aquaculture 50 000 tonnes de produits halieutiques avant 2023. Beaucoup de jeunes pêcheurs pourraient être orientés dans ce projet pour diminuer le nombre de pirogues et la pression sur les ressources.
  • La création de trois pôles industriels intégrés de transformation de produits de la mer. L’ambition stratégique de ce projet est le renforcement de la valeur ajoutée des produits halieutiques exportés (SESS, Ed 2013). Les produits halieutiques exportés par le Sénégal sont en général de faible valeur ajoutée.
  • De nouvelles technologies peuvent être explorées pour renforcer la surveillance des pirogues en mer, pour le respect des aires marines protégées (AMP) et la lutte contre les mauvaises pratiques, tout en améliorant la sécurité des embarcations et équipages en mer.

Références :

  1. IED, UICN et Green Economy Coalition, 2018, The Green Economy Barometer (Senegal Barmeter 2018, 18 Pages)
  2. UICN, Novembre 2017 Rapport de l’atelier national, Plateforme de réflexion sur le développement d’une Economie Verte dans les pêcheries artisanales sénégalaises : objet, méthodologie, axes de réflexion et composition (21-22 novembre 2017 Dakar, Sénégal)
  3. http://www.aprapam.org/peche-artisanale-maritime/initiatives/
  4. https://fr.africacheck.org/reports/senegal-dispose-t-de-5e-reserve-mondiale-de-gaz/
  5. FAO, 2018, Situation mondiale de la pêche et de l’Aquaculture
  6. Situation Economique et Sociale du Sénégal Ed. 2013 | PECHE MARITIME
  7. El Jadida, Juin 2016, Fisheries Transparency Initiative (FiTI), Atelier « Les Accords de Partenariat pour une Pêche Durable et la bonne gouvernance de la pêche dans la zone COMHAFAT
  8. Pierre MORAND (IRD, UMI Résiliences) & Jean-Yves WEIGEL (IRD, UMR PRODIG), 2013, Volet I, Contexte halieutique et propositions en matière de gouvernance des aires marines protégées ouest-africaines (zone CSRP), Cas du Parc National du Banc d’Arguin (Mauritanie), de Kayar et Bamboung (Sénégal), de Urok (Guinée Bissau) et de Tristao (Guinée) (41 pages)