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Innover pour restaurer les sols de la région des hautes terres de l’Ouest Cameroun !

La gestion des sols pour le maintien de leur fertilité et de leurs capacités productives a toujours été une équation pour les petits producteurs agricoles des régions tropicales. Ainsi de génération à génération, des réponses innovantes ont été mises en place pour garder la santé des sols dont leur survie et leur avenir dépendent fortement. Cet article fait le récit de quelques expériences en région montagneuse de l’Ouest Cameroun.

Innover ou alors déguerpir…mais où aller ?

Le rapide développement des sciences du sol avec l’avènement des sciences agronomiques a permis une meilleure connaissance des processus d’évolution des sols. Un sol nait, et un sol peut « mourir ». Différentes formes de représentations des sols que l’on appelle « terre mère » constituent la matrice de la gestion de cette dernière. Et le modèle le plus dominant, et aussi simpliste consiste en des croyances naïves sur la constitution et le maintien de la fertilité des sols, sans besoin d’ajustement dans la gestion. Dans quelques langues de l’Ouest Cameroun, la perte de fertilité des sols se résume par une image anthropomorphe : « la fatigue du sol ». Dans un tel entendement, dès les premiers signes, un temps de jachères s’imposait. L’observation permit aussi de se rendre compte des effets des feux de brousse sur la reprise des plantes aux cycles courts, et vint la pratique des brulis. L’utilisation plus ou moins réussie des engrais de synthèse comme moyens de lutte contre la perte du potentiel agricoles de terres fit son entrée dans les pratiques agricoles nouvelles. Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir des combinaisons de solutions, selon les contextes. Pour la majorité des « petits agriculteurs », la vie quotidienne, la survie et l’avenir dépendront de la bonne santé des terres, dont les surfaces se réduisent inexorablement. Et il faut faire face comme des générations avant nous aux défis du moment : innover (durablement) ou déguerpir. Mais où aller ? Et le contexte est encore moins reluisant dans les situations d’exploitation foncière qui manque de flexibilité en direction des petites agricultures. Pour autant, les ingéniosités ne manquent pas à l’observation.

Compostage des ordures ménagères

De nombreuses familles urbaines procèdent régulièrement au retour des déchets de cuisine vers les petites parcelles agricoles plus ou moins lointaines. Il n’est pas rare de voir dans certains ménages des espaces aménagés pour stocker dans des sacs usagés des rebuts de cuisines (épluchures, fanes et autres) qui seront enfouis dans les parcelles agricoles aux temps convenables. Quand les ordures ménages ne suffisent plus, pourquoi ne pas emprunter celles du voisin ou du quartier ? Il est courant, notamment aux retours des premières pluies d’observer une ruée vers les décharges non aménagées des quartiers populeux. En effet, de nombreux ménages, femmes et jeunes surtout, récupèrent délicatement la matière organique constituant un compost immature. Ces cribles de déchets sont triés sur place pour ensuite prendre la direction des parcelles agricoles par enfouissement. D’autres ménages n’hésitent pas d’ailleurs à collecter régulièrement et par anticipation en prévision aux ruées de dernière minute. Cependant, la contrainte majeure à ces cribles de déchets, est de toute évidence le risque de l’importation dans ses parcelles des métaux lourds et autres contaminants (minéraux ou organiques) pouvant même affecter directement la santé humaine. A ce jour, deux villes de l’Ouest Cameroun, Bafoussam et Dschang expérimentent avec un certain bonheur la gestion décentralisée des ordures ménagères par compostage. Les expériences s’exportent déjà vers d’autres collectivités et surtout vers des ménages, qui en intégrant ces technologies facilitent des formes de préservation des sols par recyclage de la matière organique. La matière organique qui est d’ailleurs à l’origine de 40% de la fertilité des sols. Un gros avantage de cette approche est la gestion des ordures fermentescibles qui constituent tout de même au moins 80% des ordures ménagères dans les villes du Cameroun. Certaines unités agroindustrielles génèrent des grandes quantités d’issus d’usinage dont l’exploitation à des fins de restauration des sols tarde encore.

Les déjections de porc pour lutter contre la gale dactyloforme du chou à Bangang

Pour diversifier ses revenus dans le village Bangang, un groupe d’agropasteurs a reçu la formation de compostage des déjections des porcs. Avec un cheptel moyen de 10 animaux, ces agriculteurs qui utilisaient l’élevage porcin comme une forme d’épargne eurent la surprise de doubler leurs revenus issus de l’élevage en 12 mois. L’expérience partit comme un jeu et fit bingo !
Dans cette zone versant des Monts Bamboutos, au climat très froid autour de 1800-2000m d’altitude, les maraichers faisaient face depuis des années à l’émergence d’une nouvelle maladie sur les choux. En raison de l’acidité des sols, les bactéries causant la gale des racines s’étaient répandues dans toutes les parcelles et rendaient les récoltes aléatoires. Et le renchérissement des coûts des engrais minéraux ne facilitaient pas les choses. Un maraicher après avoir fait usage du lisier composté de porcs se rendit compte de la disparition progressive des symptômes et de la maladie sur ses parcelles. La nouvelle se répandit et la demande du lisier composté explosa dans la zone. Pendant des années, tout en gagnant de l’argent sur les déjections porcines, ces éleveurs ont aussi contribué à la restauration des sols pour la production des maraichers marchands ! Et d’autres exemples de l’intégration de l’élevage dans le cycle des sols existent !

Quand les bovins répandent de l’humus

L’exploitation du kraal est ancienne, d’abord par les riverains et maintenant objet d’un transfert intense et migratoire…avec ses risques de transfert des adventices souvent difficiles de contrôle. Dans les parcs de bovins, en ville, près des abattoirs ou dans les petits ranches non loin des villes, il est courant d’observer la collecte régulière de la bouse bovine. Appréciée pour ses qualités fertilisantes ou pour les performances quand elle est utilisée en amendement des sols, la bouse bovine est devenue un enjeu. Dans certains villages, il n’est plus rare de voir des agriculteurs « négocier » les passages avec séjours prolongés des troupeaux dans une zone de parcage aménagé en vue de l’accès privilégié à la matière ! En guise de compensation ou de rémunération, les éleveurs transhumants pour la plupart exigent des sacs de sels ou des vivres pour leur alimentation. La bouse, peut parfois héberger des nombreuses graines d’adventices si elle ne subit pas un bon compostage total de 3-6 mois avant utilisation. Les gros herbivores peuvent être mis à contribution pour l’amélioration des sols, via leurs déjections.

Potentiels du crottin de cobayes en milieu rural

Ce petit rongeur peut contribuer durablement à l’assainissement des sols ! Un cobaye en engraissement consomme 8 % de son poids vif par jour et un animal d’un poids moyen de 500 g consomme 40 g de MS/jour. Chaque cobaye produit : 14,8 g MS de déjections/jour. Ce qui fait environ 30 g de déjections fraîches par jour. Un élevage de 20 cobayes va produire : 108 kg MS de déjections/an (soit en fait 219 kg de déjections fraîches/an), et alors 18,84 kg de N/an ce qui représente 8,6 % de N par contenu de déjections fraîches. A cela, s’ajoute aussi l’azote produit par la litière des reproducteurs. A titre d’exemple, l’azote produit annuellement par un élevage de 20 cobayes permet de fertiliser une surface de culture de 125 m². Le fumier de cobayes, qui représente la partie riche en azote est mélangé pour 1/3 avec des éléments riches en carbone (paille, feuilles, résidus de culture,…) et pour 1/3 avec des éléments structurants (branches coupées et écorces,..). Le temps de compostage qui correspond à la fermentation de la matière organique par des micro-organismes en présence d’air, est d’environ 8 semaines. Les micro-organismes du compost favorisent la vie microbienne du sol. Le compost a la faculté de détruire les agents pathogènes ainsi que les semences de mauvaises herbes grâce à la température qu’il dégage lors de sa transformation et des microorganismes antagonistes qu’il renferme. Dans de nombreux ménages où le cobaye est très présent, en dehors de la viande, cet animal sert essentiellement à la production d’un crottin riche et très apprécié pour les jardins de case destinés à la production des légumes domestiques.

Le défi de la mise à l’échelle…

L’observation engendre une belle science. Sa réplique réfléchie entraine l’innovation par une maitrise et une orientation des principes sans en détourner les incidences. Les sols sont vivants et vitaux pour l’humanité, d’où un besoin urgent de l’intégration des dimensions agroécologiques dans les formations agronomiques pour susciter des saines pratiques de conservation, et au besoin alors de restauration du principal support de la production de nourriture humaine ! Différentes solutions existent, devant la variété des problèmes vécus en divers endroits, notamment dans les zones de montagnes, régions les plus exposées aux dégradations parfois irréversibles des sols agricoles.

Félix Meutchieye

Ingénieur Agronome-Environnementaliste/Généticien

Université de Dschang – Cameroun