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Région de l’Adamaoua au Cameroun : Des échanges ville campagne pour l’approvisionnement en œufs

La ville de Ngaoundéré est un carrefour important du commerce au Cameroun et la filière œuf est très fleurissante dans cette partie du Cameroun. Cependant, du fait que les pôles technologiques et les zones de production des œufs se situent à près de 800 km de Ngaoundéré et des difficultés dans mobilité pour relier cette région avec des routes pratiquement inaccessibles, il devient opportun de se poser des questions sur l’origine, la qualité et les problèmes rencontrés dans la commercialisation de ce produit qui desserre le septentrion du Cameroun ainsi qu’une partie du Tchad.

Circuit d’approvisionnement et relation grandes métropoles, villes et campagnes

Selon une enquête menée auprès de trente (30) grossistes et revendeurs des 08 arrondissements du département de la Vina par ailleurs carrefour entre le Grand Sud et le Septentrion du Cameroun, l’approvisionnement en œufs de table se feraient quasi totalement au Sud dans les grandes métropoles notamment Bafoussam où se situe le pôle technologique et toutes les compétences de production. Les œufs une fois arrivés de ces grandes métropoles sont redistribués de Ngaoundéré vers les chefs-lieux des arrondissements qui dans certains cas, approvisionnent encore les zones plus enclavées.

Selon les investigations, les œufs de 96,7% de commerçants enquêtés proviendraient directement ou indirectement des producteurs de la région de l’Ouest Cameroun dont Bafoussam, le chef-lieu est situé à plus de 800km de Ngaoundéré. Cette ruée vers le septentrion fait partie des stratégies mises en œuvre par les acteurs de la filière pour dépasser les contraintes de la commercialisation d’un marché local déjà saturé.

Ainsi, les œufs arrivent par camion et sont déchargés dans la ville de Ngaoundéré chez les grands distributeurs. Les grossistes de différents arrondissements et autres départements viennent sur place s’approvisionner avant de rentrer les revendre à leur tour. La chaine se prolonge ainsi jusqu’aux petits commerçants de campagne. En effet, compte tenu de la démographie galopante et des affectations en banlieues ou en campagnes de quelques fonctionnaires et agents de l’état, les œufs de poules villageoises qui parvenaient jadis à satisfaire les besoins des campagnes ne le peuvent plus. D’où la nécessité d’approvisionnement au niveau des villes. Il est cependant à noter bien que les quantités ne soient pas considérables, qu’il existe également un approvisionnement des villes en œufs de poules villageoises qui sont prisés pour leurs fraicheurs, leurs qualités nutritives ainsi que pour leurs utilisations en médecine traditionnelle. Ces œufs qui sont acheminés des campagnes vers les villes par des commerçants de poulets fermiers coûtent significativement plus chers que ceux des poules pondeuses élevées de manière intensive. Les œufs issus de la production des campagnes et vendus en ville sont principalement ceux des poules, des pintades et des canes.

Des paramètres sociaux à prendre en considération

La commercialisation des œufs fait intervenir des acteurs aussi nombreux que divers. Cette activité concerne majoritairement des jeunes âgées de moins de 25 ans (30%) ainsi que des individus relativement âgés entre 45 et 55 ans (26,7%). La commercialisation est pratiquée majoritairement par des musulmans et 60% d’entre eux ont un niveau d’éducation de base
Les femmes, qui ne constituent que les 10% sont détentrices des plus grandes chiffres d’affaires allant de 100 à 1000 cartons d’œufs vendus par semaine (01 carton contient 12 alvéoles de 30 œufs chacune).

Pour 63,3% des personnes enquêtées le commerce des œufs est associé à d’autres activités génératrices de revenus. Cette activité est exercée par 63,3% de grossistes depuis au moins 03 ans ; ce qui témoigne de la rentabilité de celle-ci.

Le fond propre constitue l’unique source de financement de 66,7% de commerçants ; cependant, 20% associe aux économies personnelles d’autres sources de financement.

La commercialisation des œufs est pratiquée autant bien par les hommes que les femmes de tout âge, de niveaux d’éducation variés et exerçant autres activités ou non.

Prêter attention à l’éloignement des zones de production et la disponibilité des œufs sur le marché

Bien que les zones d’approvisionnement soit considérablement éloignées et difficilement accessibles, 26,6% de commerçants achètent et vendent entre 20 et 1000 cartons par semaine dans tout le grand Nord et le Tchad. Mais seulement 16,6% disent être capables d’écouler entre 100 et 1000 cartons.

20% affirment que d’autres œufs, notamment ceux des cailles, de canes et d’oies sont également demandés. Si 30% des commerçants trouvent que le prix des œufs est abordable, 53,3% pensent qu’il est plus ou moins abordable. Les 6,7% restants parce fonctionnant en mode de « dépôt vente » pensent ne pas être à même de juger le prix des œufs. La figure 1 illustre en pourcentage les problèmes rencontrés dans la commercialisation des œufs à Ngaoundéré et ses environs. Il en ressort que l’approvisionnement, les casses et pourritures d’œufs constituent les contraintes majeures de cette activité.

Les casses et pourritures entrainent de l’avis de certains enquêtés jusqu’à 25% de perte par stock et ceci de manière récurrente. Ces pertes sont accrues pendant la saison sèche lorsque les températures augmentent drastiquement. De notre analyse, ces différents obstacles serraient dus à l’éloignement de la zone de production principalement. En effet, pour pouvoir générer assez de bénéfice, les producteurs des grandes métropoles sont obligés d’utiliser des camions de très grandes contenance afin de réduire les charges de transport. Ceci entraine un temps plus long (environ 02 semaines) de collecte et de conditionnement des œufs. L’acheminement quant à lui peut prendre dans les meilleurs des cas 02 à 03 jours en saison sèche lorsque les routes déjà impraticables ne sont pas boueuses. Cependant, les fortes températures de cette saison affectent les œufs qui pourrissent plus rapidement. En saison des pluies, les routes boueuses occasionnent très souvent des accidents et augmentent les risques de casse qui ne sont pourtant pas vérifiées carton par carton à l’arrivé. Cette analyse démontre que la majorité des œufs ainsi obtenus ne sont plus très frais et ne devraient pas rester très longtemps stockés ou sur les étalages au risque d’accroitre le taux de pourriture et ainsi d’en être un problème de santé humaine.

Des solutions et des perspectives

Face aux problèmes rencontrés, plusieurs stratégies sont élaborées et des perspectives sont envisagées par les commerçants. 40% envisagent d’augmenter le stock surtout en période de fraicheur pour pallier aux problèmes d’approvisionnement entre autres, 27% préfèrent continuer ainsi malgré les problèmes rencontrés car ce commerce selon eux est assez lucratif. 10% prévoient d’abandonner car ils ne trouvent aucun bénéfice avec autant de pertes. Cette catégorie de commerçant a pour cette activité un capital réduit et est par conséquent plus sensible à d’éventuelles pertes. Les 23% restants pensent et adoptent déjà une multitude de stratégies pour continuer cette activité. On note entre autres les grands grossistes qui réduisent le stock ou qui font le « dépôt vente » pour avoir plus de clients et ainsi pouvoir écouler plus rapidement leurs produits. Certains recherchent bien qu’ils soient rares, chers et très sollicités, les producteur locaux qui sont une garantie de la fraicheur des œufs parce que produisant sur place. D’autres encore se font tout simplement rembourser ou remplacer les pourritures par leurs fournisseurs.
Des meilleures conditions de production…

Compte tenu de la contribution de cette activité à l’atteinte de la sécurité alimentaire, l’amélioration du niveau de vie des familles démunies et surtout à l’essor économique du Cameroun en particulier, la résolution des problèmes présents dans la filière permettrait d’améliorer les avantages précédemment cités. Ainsi, les commerçants réclament à l’égard des pouvoirs publics la mise sur pied des conditions favorables pour une production locale ou dans des zones relativement proches et accessibles. Ceci passe par l’identification des producteurs locaux, des GIC (Groupements d’Initiatives Communes) et coopératives travaillant effectivement dans la filière avicole, l’identification et la résolution des problèmes par eux rencontrés, leur formation, leur financement et surtout suivi rigoureux.

Conclusion

La problématique de l’approvisionnement en œufs de table dans la région de l’Adamaoua en particulier affecte considérablement la qualité et la commercialisation de ce produit compte tenu de l’éloignement entre les grandes métropoles du Sud, producteurs d’une part et les villes et campagnes du Grand Nord, consommateurs d’autre part. La résolution de ces problèmes requière une implication forte du gouvernement pour un développement considérable et équitable. Ce n’est qu’à ce prix qu’on pourra effectivement parler d’une quelconque sécurité alimentaire et d’amélioration du niveau de vie des familles démunies dans le septentrion qui reste relativement enclavé comparativement au Grand Sud. Vivement que le « Plan d’Urgence du Cameroun » récemment initié par le politique puisse significativement y contribuer.

François Djitie Kouatcho


Biotechnologies et Productions Animales,
Département des Sciences Biologiques, Faculté des Sciences,
Université de Ngaoundéré- Cameroun

Avec la participation de :

Clautilde Megueni

Chef du Département des Sciences Biologiques,
Faculté des Sciences,

Université de Ngaoundéré-Cameroun

Félix Meutchieye

Génétique et Systèmes de Productions Animales,

Université de Dschang - Cameroun

Alexis Teguia

Nutrition Animale, Sciences Avicoles et Production.

Université de Dschang- Cameroun

Dieudonné Bitom

Doyen de la Faculté des Sciences,

Université de Ngaoundéré - Cameroun

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier, la Faculté des Sciences de l’Université de Ngaoundéré - Cameroun pour avoir rendu possible la réalisation de ce travail ; tous les délégués du MINEPIA de la Vina pour avoir facilité la collecte sur le terrain ; enfin Lazare Magama, Ernest Talla, Isaac Tizé et Katchouang Anne Solange pour leur contribution à la collecte et à l’encodage des données.