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Enjeux d’un aménagement du territoire autour de la ville de Dakar : quel avenir pour l’agriculture périurbaine ?

Les productions agricoles autour de la ville de Dakar ont un fort enjeu de sécurité alimentaire pour les populations urbaines. La production maraîchère de la région de Dakar représenterait 30% de la production nationale et occupe de nombreux actifs, intermédiaires et détaillants. Cependant du fait de son rôle de principal carrefour économique du pays et de zone d’accueil de migrant, la région de Dakar fait face à une forte urbanisation qui est entrain de déstructurer ses relations avec sa campagne et qui menace les pratiques agricoles et les fonctions écologiques des espaces destinés à l’agriculture. Cet article propose une analyse des enjeux de l’aménagement du territoire autour de Dakar pour la durabilité de l’agriculture périurbaine.

La circulation des ressources entre l’espace rural et les espaces urbanisés a toujours été perçue du point de vue particulier du ravitaillement des citadins par les ruraux. Le thème récurrent des relations villes campagnes a généralement été abordé de manière dissymétrique, tantôt par des ruralistes plus soucieux d’analyser les permanences que le changement, plus attentifs aux initiatives endogènes qu’aux influences extérieures, tantôt par des spécialistes de l’urbanisme pour qui la ville était l’indispensable moteur du développement et de la modernité, et la campagne le pourvoyeur de sa main d’œuvre, éventuellement de ses approvisionnements (Rochefort et al. 1967 ; Van Chi-Bonnardel 1978 ; Pélissier, 2000, Ba, 2000 ; Lombard et Ninot 2012).

Dans bien des cas, la relation est bâtie entre des zones rurales de production opposées à des zones urbaines de consommation. Des enjeux ruraux (nourriture de masses rurales dominantes durant l’ère coloniale, poids décisif des cultures de rente, environnement de l’économie de traite tissant une armature urbaine d’escales et de ports) on est passé à de nouveaux enjeux urbains (Ba, 2000). A une nouvelle phase de croissance urbaine accélérée se sont associés des séquences de sécheresse sévères, une accentuation de la dégradation des espaces et systèmes d’exploitation, des mouvements migratoires généralisés. Selon Pélissier (2000) cette approche dualiste occulte non seulement la relation d’interaction elle-même, mais encore la nature de l’espace de relation dans lequel s’inscrivent les lieux, les distances, les aires, les réseaux, les infrastructures, les flux, les acteurs et tous les autres phénomènes d’accompagnement d’ordre général. Porter (2002) cité par Lombard et Ninot (2012) a montré, en partant d’un travail d’archives et d’enquêtes personnelles menées sur plusieurs décennies, comment le développement d’axes routiers dans les campagnes a favorisé la croissance de la commercialisation des produits agricoles, a surtout poussé les populations à se rapprocher des routes. L’amélioration de la qualité des infrastructures et des systèmes de production peut permettre aux zones rurales périurbaines d’accroitre leur productivité et d’accéder au marché urbain, qui est essentiel pour le développement de ces zones, en ce sens qu’il permet à ces dernières d’avoir recours à des intrants en quantité et en qualité ainsi de passer à une agriculture subsistance à une agriculture commerciale. Les infrastructures de transport, en ce sens qu’elles contribuent à l’accessibilité, peuvent constituer un élément déterminant pour le rééquilibrage entre villes et campagnes et contribuer au réaménagement de l’espace national.

L’agriculture une activité importante pour la ville de Dakar

La région de Dakar est encore une zone de production agricole importante du pays malgré l’extension urbaine qu’a connu la presqu’île au cours des dernières décennies (CRDI, 2001). L’agriculture urbaine profite des espaces naturels difficilement constructibles encore disponibles (Mbaye, 1999). Les fonctions vitales de l’activité agricole en ville participent à son maintien et à son développement malgré les contraintes auxquelles elle se trouve confrontée. Et dans le cas des villes comme Dakar, ces fonctions sont notamment l’enjeu alimentaire (le maraîchage approvisionne la ville à plus de 90 % de sa consommation en fruits et légumes), l’insertion des groupes sociaux (l’activité maraîchère est menée par des personnes provenant de l’exode rural et ne disposant pas d’autres qualifications pour mener une activité professionnelle), la participation à l’assainissement de la ville (la réutilisation des eaux usées, les composts effectués à partir des déchets et utilisés comme engrais organique), la création d’espace vert (ceinture verte aux alentours des artères (technopole, dalifort…)

La production agricole de la région est dominée par l’horticulture (maraîchage et floriculture) et dans une moindre mesure par l’élevage. 3000 exploitations agricoles y sont recensées, représentant notamment 30% de la production maraîchère du Sénégal et une part significative de l’aviculture intensive (poulets de chair et poules pondeuses) [1] . Le poids de la production dans la consommation alimentaire des ménages de la région de Dakar reste difficile à estimer.

La production maraîchère, l’arboriculture fruitière, l’horticulture ornementale, l’aviculture et l’élevage jouent, au côté de la pêche un rôle significatif dans l’économie régionale et la sécurité alimentaire et la dynamique des relations villes campagnes (Dièye et Henzi, 2006).

A partir d’une enquête réalisée sur plusieurs chefs d’exploitations répartis dans 22 sites de la région en 2010, Ba a élaboré une classification pour montrer une agriculture très diversifiée avec des types d’agriculteurs hors-sol (microjardiniers, éleveurs avicoles, ovins et caprins mais aussi bovins et porcins) ; des type d’agriculteurs de pleine terre (maraîchers, arboriculteurs, riziculteurs, éleveurs bovins et caprins) et des types d’agriculteurs spécifiques (floriculteurs et pêcheurs). Cette typologie a montré aussi une agriculture dynamique, malgré la pression de l’urbanisation, avec un accroissement du nombre de nouveaux producteurs au fil des ans et surtout à partir des années 1994-2000. Donc, l’exode rural que connaît le pays depuis la fin des années soixante, le chômage et la paupérisation renforcent l’attraction de l’activité agricole aussi bien pour des citadins de longue date que pour de nouveaux arrivants (GRDR, 2015).

La production maraîchère de la région de Dakar représenterait 30% de la production nationale et occupe de nombreux actifs, intermédiaires et détaillants. Les zones de production se concentrent dans le département de Rufisque (grande niaye), Pikine (niaye deYeumbeul…) et Guediawaye (Cambérène…) (GRDR, 2015). Les données sur les niveaux de production sont relativement rares et contradictoires. Ba (2010), sur la base d’une enquête réalisée sur un échantillon de 90 producteurs pratiquant le maraîchage dans la région, établit que la production de tomates, laitues, choux pommés, menthe, oignons, betteraves et patates douces occupe une place de premier ordre. Les services statistiques, qui ne comptabilisent souvent pas l’ensemble des producteurs, indiquent qu’en 2008, les spéculations qui ont occupé les plus grandes superficies en région de Dakar sont le haricot vert (25,6%), le chou pommé (22,8%) et la tomate cerise (11,7%). Ces trois seules cultures totaliseraient à elles seules 60% de la superficie totale emblavée. La tomate cerise et les haricots sont pour l’essentiel destinés à l’exportation vers l’Europe et ne suivent pas ces circuits de commercialisation. Les autres productions sont écoulées via des réseaux d’intermédiaires sur les marchés de gros de la région (Thiaroye, Pikine, Diamaguene, Patte d’oie…). Elles sont ensuite distribuées via un réseau très fourni de détaillantes, implantées dans tout le territoire et dans tous les quartiers urbains (GRDR, 2015).

Plusieurs contraintes entravent le développement de l’agriculture et pourraient même remettre en cause sa présence sur le territoire à moyen terme. Le taux de croissance démographique de 4% par an que connaît la région depuis plusieurs décennies, associée à une urbanisation incontrôlée conduit à une forte extension du tissu urbain bâti (Awa Ba et Paul Moustier, 2010). La forte pression urbaine engendre une demande importante en logements. Ainsi le foncier agricole se retrouve de plus en plus sous la pression de l’immobilier. A cela s’ajoute la problématique de l’insécurité foncière (FAO et CRDI, 2007) des exploitations agricoles, la majorité des petits exploitants urbains ont hérité des terres selon le droit coutumier et ne possèdent pas de titres de propriété.

Les enjeux d’une urbanisation galopante

Depuis 2008, on constate une mutation géographique majeure, à savoir la transition urbaine mondiale de ces dernières décennies. La population rurale serait actuellement autour de 3,3 milliards d’individus soit un peu moins de la moitié de la population mondiale. Près de 700 villes nouvelles, hébergeant plus de 250 millions d’habitants, se sont créées depuis les années 1990 (Blanc, Nd). Les mégalopoles grossissent, s’étendent, accroissent leur emprise tant en termes d’infrastructures et de bâti qu’en termes de réseaux et de mobilités (notamment pendulaires), sur l’espace rural environnant. Elles consomment donc l’espace, parfois même les plus riches terres agricoles, en grande quantité [2].

L’urbanisation rapide, pose des défis de logement et d’alimentation à la communauté internationale dans son ensemble et particulièrement aux pays en voie de développement. Phénomène universel, elle a connu une accélération particulière dans les pays du Sud. La différence de niveau de développement économique entre milieux et la recherche d’emploi, de débouchés et d’une vie meilleure provoque surtout l’exode des jeunes vers les villes. La conséquence est une urbanisation galopante et anarchique. D’ici 2030, la population mondiale augmentera de 3 milliards d’individus, dont 95 % dans les pays en développement, la production de nourriture devra doubler, et celle des déchets et effluents sera multipliée par quatre dans les villes (Conchita et al, 2010). Ces tendances et leurs impacts potentiels, tout comme le défi que pose la gestion de ces impacts, seront particulièrement prononcés dans les régions en voie d’urbanisation rapide, comme l’Afrique subsaharienne (Mougeot et Moustier, 2004 ; Mougeot, 2006). Ces impacts peuvent affecter durablement les villes sénégalaises si rien n’est fait.

En effet, la population urbaine du Sénégal en 2013 est estimée à 6 102 800 habitants, soit un taux d’urbanisation de 45,2% contre 54,8% de ruraux. Or en 2002, le pays comptait 59,3% de ruraux contre 40,7% de citadins (RGPHAE, 2013). Rappelons que le taux d’urbanisation du Sénégal est passé de 34 % en 1976 à 39 % en 1988, 40,7 % en 2002 et 45,2% en 2013. Ce niveau cache des disparités importantes entre les différentes régions du Sénégal. La région de Dakar concentre près de la moitié (49,6%) de la population urbaine du pays suivie de celle de Thiès (14,3%). Kédougou enregistre la proportion la plus faible de la population urbaine (0,6%) (RGPHAE, 2013).

Avec un taux d’urbanisation de 96,4%, Dakar se caractérise par une urbanité très poussée. La capitale concentre la plus forte densité de population, les services, les infrastructures, le pouvoir décisionnel et les richesses. L’importance de l’attractivité de Dakar s’apprécie au regard de la densité de population extrêmement élevée de la région. En effet, la région de Dakar reste la plus peuplée avec ses 3 139 325 habitants et présente une densité exceptionnelle de 5739 habitants au kilomètre carré (habitants/km2), alors que la densité moyenne du pays est de 69,0 habitants/km2 (RGPHAE, 2013).

La région de Dakar est une conurbation qui s’est développée très rapidement, sous l’effet combiné de la croissance naturelle de sa population et de son rôle de principal carrefour économique et de zone d’accueil de migrants. L’espace contraint de sa situation de presqu’île, ajoutée à l’urbanisation de la région non maitrisée, crée une enclave qui amplifie les dysfonctionnements urbains et la pression foncière sur les zones naguère utilisées pour l’agriculture et l’élevage.

A l’échelle de la région, les espaces boisés, agricoles et vacants qui représentaient 80% de la superficie du territoire en 1980, occupent aujourd’hui moins de 55%. Au même moment, la superficie occupée par l’habitat et la voirie a environ été multipliée par 4. Elle atteint aujourd’hui près de 40 % de la surface régionale dakaroise. Au niveau du département de Rufisque, la superficie en bâti a été multipliée par 2,4 entre 2002 et 2014 (12 ans). Dans la grande niaye de Rufisque enfin, la superficie en bâti a été multipliée par 2,4 en 25 ans (de 1978 à 2003), alors que les dunes et leur végétation disparaissaient.

Occupation des sols à Dakar

L’axe Dakar Diamniadio, un exemple pertinent des mutations des relations villes-Campagnes

Face à l’avenir, la conurbation de Dakar se trouve confrontée à un double défi : d’abord, une expansion démographique forte et une croissance urbaine élevée, qui supposent une augmentation continue de l’effort de production ; ensuite, la fin des espaces à conquérir, qui remet en cause le modèle d’agriculture fondé sur une occupation toujours renouvelée de terres entrainant une forte mutation des campagnes. Autant pour améliorer le niveau de vie des couches pauvres et améliorer du coup son capital humain que pour relever le défi né de l’évolution démographique, le maintien des espaces agricoles apparaît à terme comme une nécessité. Si les réponses ressortent de choix et de décisions politiques, nous pouvons, face à ces enjeux, formuler quelques observations, nourries d’expériences, et qui peuvent constituer autant de pistes de recherches pour l’avenir. Comment peut-on promouvoir l’agriculture en accaparant les terres à vocation agricole au profit de l’urbanisation ?

L’attractivité de la ville de Dakar combinée à une mauvaise maîtrise de l’urbanisation a produit des contrecoups négatifs liés principalement au déséquilibre du tissu urbain, aux problèmes de mobilité urbaine, aux difficultés d’approvisionnement en eau et en électricité, à l’insalubrité, à l’occupation de zones à risques, à l’existence de quartiers irréguliers, au déficit d’assainissement et aux difficultés d’accès au logement. Pour les autorités, l’enjeu est de créer un renouveau urbain pour améliorer le cadre de vie des populations. Ainsi des stratégies in-situ de réorganisation du tissu urbain et d’amélioration de la mobilité urbaine, la promotion des pôles d’expansion urbaine et économique dans la périphérie de l’agglomération et des pôles d’équilibre devraient contribuer à atténuer la pression urbaine qui s’exerce sur Dakar. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre les aménagements à Diamniadio.

En effet, le pôle de Diamniadio est constitué des communes de Diamniadio, Bargny, Sendou et Sébikotane. C’est un territoire carrefour, zone de transition entre l’agglomération dakaroise et le reste du pays. Il se structure autour du projet de « pôle urbain de Diamniadio », du port minéralier de Bargny et des projets de développement industriel envisagés. En 2013, le pôle de Diamniadio comptait près de 100 000 habitants. Avec les projets structurants prévus dans cette zone et l’existence de superficies urbanisables, ce pôle va probablement connaître une croissance démographique et économique rapide. Dans le périmètre du pôle urbain de Diamniadio, il est prévu d’accueillir près de 300 000 habitants (ANAT 2015). Dans le cadre du niveau dispositif de l’aménagement du territoire, sa fonction essentielle sera de contribuer à la décongestion de la métropole dakaroise en offrant des services au public et aux entreprises et en favorisant la création d’activités économiques, d’emplois et la construction de logements. Ainsi, pour permettre à ce pôle de contribuer efficacement au décongestionnement de l’agglomération dakaroise, les objectifs prioritairement visés sont : (i) de renforcer les équipements ; (ii) d’assurer une gestion adaptée des risques sur l’environnement et sur les populations ; (iii) de lutter contre les risques de bidonvilisation ; (iv) de promouvoir le développement économique ; (v) et d’améliorer la gouvernance territoriale.

La connexion entre Diamniadio et l’agglomération est déjà facilitée par la mise en service de l’autoroute à péage. Cette desserte sera renforcée par le projet de prolongement de laVoie de Dégagement Nord et de mise en place d’une ligne de chemin de fer Dakar-Aéroport International Blaise Diagne. Actuellement, pour permettre à ce pôle de mettre à profit ses atouts et contribuer ainsi au désengorgement de l’agglomération dakaroise, il est essentiel de le doter d’équipements structurants pouvant répondre à la demande des populations et des acteurs économiques. La construction du Centre international de Conférence de Abdou Diouf et le projet de deuxième université de Dakar rentrent dans ce cadre. Pour renforcer l’attractivité de ce pôle, il est proposé de promouvoir l’émergence d’un grand pôle administratif et d’un grand campus universitaire et le renforcement des équipements socio-économiques par la construction d’un hôpital général de niveau 1 et d’un marché d’intérêt national. Ces équipements permettront, d’une part, de créer des échanges entre Diamniadio et la banlieue, ce qui aura comme impact de réduire les flux découlant du mouvement pendulaire Dakar-banlieue et, d’autre part, de faire face à la pénurie de réserves foncières et à la cherté de la location à Dakar. La réalisation de ces équipements va favoriser la délocalisation d’activités vers cette zone ainsi que l’installation de nouvelles populations.

Mais le processus d’urbanisation de Diamniadio est source d’inquiétudes pour les activités agrosylvopastorales de la zone pouvant aboutir à une insécurité alimentaire. L’agriculture est l’un des premiers leviers stratégiques sur lesquels comptent s’appuyer les pouvoirs publics pour l’émergence du Sénégal. Or, l’axe Sébikotane, Keur Ndiaye Lô, en passant par Diamniadio regorge des terres à fort potentiel agricole. La singularité de cette provient de conditions bioclimatiques, pédologiques et hydriques exceptionnelles. Les sols sont argilo limoneux et sont riches en matière organique (autour de 2%). La présence de l’eau est au centre du développement des terroirs et rythme l’essentiel des activités productives au niveau du littoral. L’eau est l’élément vital pour la réussite des cultures légumières et l’arboriculture. Cette ressource est présente sous toutes ses formes. La nappe phréatique est affleurante à sub-affleurante. Les eaux de surface sous forme de bassins de rétention sont relativement abondantes même si les conditions d’accès à l’eau pour les producteurs locaux sont contraignantes à cause d’un manque de moyens. Les agriculteurs en profitent alors pour cultiver certaines espèces sans arrosage mais souvent la baisse rapide des nappes d’eau imposera une irrigation supplémentaire. Le développement et la diversification des cultures maraîchères sont tels qu’aujourd’hui, plusieurs types de plantes sont cultivés dans la région et ceci en fonction des influences des facteurs physiques. C’est une région qui présente l’avantage de pouvoir produire aussi bien les variétés tropicales (Patate douce, Piment, Gombo…) que les variétés des latitudes tempérées (Chou, Pois, Fraise, Tomate, Melon, Oignon, Pomme de terre, Carotte…) (Wade, 2008). Ces conditions agro pédologiques faisaient jadis de l’espace de Diamniadio une zone à vocation maraichère et horticole.

Avec l’urbanisation galopante et l’effet structurant de l’autoroute à péage, les lotissements se multiplient, souvent de façon anarchique. Pour lutter contre les inondations et favoriser le désengorgement de Dakar, il est prévu la construction dans l’immédiat de 15 000 logements sociaux et l’aménagement de quatre arrondissements à vocation sportive dans le site de Diamniadio. L’installation des Cités immobilières et des Sociétés industrielles sur des terres aussi fertiles que celles de Diamniadio, cachent difficilement le paradoxe ambiant dont sont empreintes les politiques d’aménagement au regard des orientations du développement socio-économique du pays. En même temps, les transactions foncières s’intensifient malgré l’appartenance des terres au domaine national dont le régime juridique consacre leur inaliénabilité, n’accordant aux affectataires qu’un droit d’usage et non de propriété.

Des menaces sur l’agriculture périurbaine

La gestion et/ou la planification urbaine, enjeu majeur de nos sociétés urbanisées, pourrait faire passer, aux yeux de certains, la question du rapport ville-campagne au second rang des préoccupations. Voire de faire de cette question un sujet dépassé, épuisé. Ce qui reviendrait à dire que cette dialectique n’est plus opératoire et n’aide plus à penser l’avenir de nos territoires.

Malgré l’absence de données précises sur ce sujet, on observe une forte diminution des surfaces agricoles disponibles sur le territoire au profit notamment de lotissements. Les promoteurs immobiliers ont donc beau jeu, conduisant à une urbanisation incontrôlée et dévoreuse d’espaces, tout particulièrement d’espaces agricoles, de forêts et de zones humides naturelles.

En partant de l’exemple de Dakar, on remarque que la question majeure de l’approvisionnement subit les effets néfastes de l’urbanisation galopante, de la dégradation avancée des systèmes de production de ressources rurales et du dysfonctionnement des systèmes d’approvisionnement en eau qui sont au cœur des interactions villes campagnes. Les rythmes de la croissance urbaine et de dépérissement des campagnes, dans un contexte politico économique de dépendance accrue et de mal développement, ont contribué à modifier profondément la nature, la gamme, l’origine géographique, les flux et les formes d’inscription spatiale de produits et biens circulant entre la ville et la campagne. Avec l’occupation rapide et anarchique des espaces destinés à l’agriculture (Niayes) et à l’élevage et des projets d’aménagement à Diamniadio et autres zones périurbaines, on assiste à une déstabilisation des relations dynamiques entre Dakar et son arrière-pays. L’étalement spatial de la conurbation de Dakar, contribue à une forte réduction des superficies agricoles rendant ainsi vulnérable les familles impliquées dans les activités agricoles comme principales sources de revenus.

L’urbanisation à elle seule ne justifie pas le recul de l’agriculture. En effet, d’autres menaces pèsent également sur son avenir. L’appauvrissement des sols et l’accès difficile à l’eau et aux intrants ont été soulignés par plusieurs (Ba, 2007 ; Cissé et Fall, 2001). En situation de précarité et dans un souci de maintenir l’activité, des exploitants s’approvisionnent en eau auprès de la SDE et cela engendre une forte augmentation des coûts de production. D’autres par contre se rabattent sur les eaux usées pour alimenter en eau les cultures (Niang, 1999 ; Niang et al. 2009), ce qui présente des réductions de cout de production puisqu’elle est gratuite et riche en matières organiques, nitrates et phosphates [3], mais fait aussi peser des risques sur les exploitations, par sédimentation de mares et aussi sanitaires (Ndiaye et al. 2006 ; Ndiaye, 2009).

Dans un contexte où les terres agricoles deviennent de plus en plus rares, où l’accès à l’eau demande des moyens toujours plus élevés, les femmes et les jeunes multiplient les expériences professionnelles à la fois rurales et urbaines. Ils convoitent déjà les emplois futurs qui émergeront du projet de ville. En effet, les jeunes, qui sont de loin majoritaires sur le territoire d’étude, perçoivent de façon négative le concept de paysan, dévalorisé par de multiples connotations : techniques archaïques, très faibles revenus, forte sujétion aux aînés, sujétion des femmes. Avec la mise en œuvre du pôle urbain de Diamniadio, l’activité agricole sera durement affectée. Même si les agriculteurs ne doutent guère de l’importance du pôle, ils souhaitent pérenniser leurs activités. Mais les zones de cultures se réduisent de jour en jour sous l’avancée implacable des habitations et des infrastructures. La redynamisation de Bud Sénégal dans un nouveau site pourrait donner une certaine dimension à l’agriculture. C’est vers les années 1970 que cette superficie de plus de 1000 hectares était le lieu de rencontre des chercheurs d’emplois du Sénégal. L’exploitation de de BUD Sénégal jouait un rôle important sur le capital humain en employant entre 3.500 à 4.000 personnes. On y cultivait des spéculations destinées à la fois, à la consommation locale et à l’exportation. La production annuelle de cette exploitation était estimée à 12. 000 tonnes dans ces terres fertiles de Bud Sénégal.

L’aménageant de nouveaux périmètres irrigués avec des eaux retraitées amenées de la ville et enrichis par des composts issus du recyclage des déchets organiques urbains, dans le cadre d’éco villages où pourraient être réinstallées des familles déplacées des zones à risque, et où elles pourraient pratiquer une agriculture écologiquement intensive à but auto-alimentaire et sans doute aussi commercial.

Dr. Cheikh Tidiane Wade

Géographe

Chargé de programme à IED Afrique

cheikhwad@gmail.com

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