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Opinion - L’agriculture biologique permettra-t-elle de nourrir l’Afrique à sa faim ?

A l’heure où nourrir les populations représente encore un défi dans certains pays africains, il peut sembler utopique de s’intéresser à l’agriculture biologique, et aux bénéfices dont pourraient en tirer les économies africaines. Pourtant ce type d’agriculture permettrait de lutter contre la désertification progressive qui sévit sur le continent, et de garantir une meilleure autosuffisance alimentaire.

L’agriculture biologique en Afrique se résume pour certains à un doux rêve de bobo idéaliste. Pour d’autres, il est souhaitable que les pays africains se tournent vers ce type d’agriculture dans une perspective de durabilité des ressources. L’on conçoit souvent l’autosuffisance alimentaire comme le résultat d’une agriculture intensive, dont les hauts rendements exigent l’utilisation d’engrais industriels et de pesticides. Bref, faut-il vraiment produire plus pour manger plus ?

Une étude publiée par l’Institut de Développement Durable basé à Addis-Abeba, en partenariat avec la FAO et la Société Suisse pour la Conservation de la Nature retrace l’une des premières expériences scientifiques d’agriculture biologique menée sur la période 2000-2006. Les recherches ont porté sur la région de Tigray, située au nord de l’Ethiopie, où les terres agricoles ont subi une forte dégradation dans un contexte de sécheresse persistante. La conversion des terres en terrains biologiques, qui nécessite trois à quatre ans, a permis de doubler les rendements dans la région, notamment grâce à l’utilisation de fertilisants naturels, à une meilleure gestion des eaux de pluies, et à la réintroduction de végétaux permettant de lutter contre l’érosion des sols.

Cette expérience a le mérite de démontrer que la désertification progressive du continent n’est pas une fatalité. L’agriculture biologique, en optimisant et modernisant les méthodes de l’agriculture traditionnelle, constitue une solution efficace face à la dégradation des terres cultivables et à l’érosion des sols. L’intensification agricole de ces dernières années a eu de lourdes conséquences sur la qualité des sols africains : les monocultures, le surpâturage, l’agriculture sur brûlis et l’irrigation mal maîtrisée ont considérablement appauvri les terres cultivables. La transition agricole tant attendue ne s’est pas accompagnée d’une hausse réelle des rendements. La lutte contre le processus de désertification à travers la généralisation de l’agriculture durable permettrait ainsi d’accroître la production et de réduire la dépendance alimentaire du continent.

L’agriculture biologique est pourtant loin de faire l’unanimité chez les experts africains. Lors d’une conférence au Rwanda en octobre 2015, le CIALCA (Consortium for Improving Agriculture-based Livelihoods in Central Africa) a écarté l’idée d’un débat idéologique opposant agriculture intensive et biologique. Les deux approches sont, selon les experts, complémentaires et pertinentes à des stades de développement différents. Cette approche pragmatique part du constat que l’agriculture africaine est par nature biologique, avec la faible utilisation d’engrais et de pesticides, qui conduit à de faibles rendements. La « troisième voie » proposée, celle de « l’intensification durable », combine ainsi les deux approches, avec comme objectif d’éradiquer la faim dans les régions sous forte pression démographique, à travers l’introduction de variétés de fruits et légumes améliorées, et de cultures intercalaires (juxtaposition de plusieurs cultures, pour bénéficier de synergies de production).

Au-delà de la préservation des terres, le développement de l’agriculture biologique permettrait à terme aux populations locales d’obtenir une meilleure rémunération de leur travail. Les produits issus de ce type d’agriculture offrent de meilleures marges que les produits standards. La demande de produits biologiques est en forte croissance dans les pays européens. Les producteurs africains tournés vers les marchés d’export pourraient sensiblement améliorer la rentabilité de leurs exploitations après la conversion de leurs surfaces en terres biologiques. L’agriculture biologique convient d’ailleurs particulièrement aux petites exploitations, qui cultivent souvent les terres selon les méthodes traditionnelles. Certains pays ont bien compris la manne que pourrait représenter une production agricole biologique de qualité, et encouragent les producteurs dans leurs démarches de certification grâce à des programmes financés par la FAO. La certification étant indispensable pour exporter sur les marchés européens. Les pays bénéficiant aujourd’hui des plus grandes surfaces agricoles biologiques sont l’Ouganda, la Tunisie, l’Ethiopie et la Tanzanie, avec des cultures dites de rente comme le café, le coton, le cacao et l’huile de palme.

Face à l’échec de l’intensification agricole de ces dernières années, l’agriculture biologique présente de réels avantages pour les producteurs africains : proche de l’agriculture traditionnelle, elle contribue à limiter l’érosion des sols, et permet aux populations de bénéficier de ressources durables dans un contexte de forte pression démographique. La structuration progressive des filières export, notamment grâce à la certification, constitue une assurance pour les exploitants africains de vendre leurs produits à bon prix, se protégeant ainsi contre les fluctuations des marchés agricoles mondiaux.

Concertation à l’échelle du terroir autour de l’agriculture

Leïla Morghad  
Leïla Morghad est franco-algérienne et diplômée de Sciences-Po Paris