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« Villes et changement climatique », entretien avec Serigne Mansour Tall (ONU Habitat)

« Les changements climatiques sont là, et il faut une résilience à la fois des institutions, mais aussi des populations ».

Dans cette interview, Serigne Mansour Tall, Chargé de Programme à ONU Habitat et de a représentation de l’agence auprès des partenaires nationaux et des partenaires techniques et financiers, analyse l’évolution des dynamiques d’urbanisation au Sénégal et dans les pays du tiers monde, les principaux risques climatiques dans les villes, l’engagement de l’Etat dans la proposition de solutions et ses limites et les opportunités offertes par le changement climatique pour renforcer la résilience des économies et des populations.

Croissance urbaine et risques climatique au Sénégal

PsR : Comment appréciez-vous l’évolution de l’urbanisation au Sénégal
au cours des 30 dernières années ?


SMT :
Le Sénégal a connu une urbanisation très rapide, à l’image des
pays du tiers monde (Amérique latine, Afrique). C’est une urbanisation
très rapide alimentée par la mobilité, c’est-à-dire les déplacements
des populations des zones rurales vers les zones urbaines, mais qui
aujourd’hui est beaucoup plus alimenté par les dynamiques du croit
démographique et du taux de fécondité extrêmement élevé dans les
villes et les parties périphériques de la ville, contrairement à une idée
préconçue qui veut que l’urbanisation dans nos villes soit le résultat
d’un exode massif.

PsR : Quelles ont été les réponses du gouvernement du Sénégal
pour essayer « de maitriser » la forte croissance urbaine ?

SMT : L’Etat du Sénégal a mis en oeuvre des programmes et politiques
pour tenter de gérer l’urbanisation rapide. Mais ces initiatives n’ont pas
totalement répondu aux défis que posait l’urbanisation. En effet, Dakar
c’est aujourd’hui 0,3% du territoire national, mais c’est le quart de la
population du pays et près de la moitié de la population urbaine (45%
environ). Il y a une extrême concentration de l’activité et des populations
dans un espace très réduit. Cela peut se faire, mais à condition
que cette intensité et cette concentration soit prise en charge par les
pouvoirs publics. Mais dans la majorité des pays du tiers monde dont le
Sénégal, cela n’est pas le cas. Le développement des villes se fait par
l’apport de populations sans que cela soit planifié. Et la conséquence
est que ce ne sont pas les villes qui croissent rapidement mais plutôt
des bidonvilles. On assiste à une prolifération d’établissements périphériques
non planifiés avec leur cortège de problèmes liés à l’environnement,
à la santé, à l’absence d’infrastructures de proximité, de titre
de propriété pour les occupants, etc.

Aujourd’hui l’urbanisation dans les pays africains n’est pas maitrisée.
Autant on a une forte concentration à Dakar, autant on a une faible
concentration dans les régions périphériques de Tambacounda et
de Matam qui sont relativement vide. Cela est lié, comme on a pu le
constater il y a plus de 15 ans, à des changements climatiques, même
si on ne les appelait pas comme ça à l’époque car le nom n’existait pas.
On utilisait plutôt la notion de péjoration des conditions climatiques,
qui se sont détériorées très fortement depuis 1973 et qui ont facilité la
reconversion des acteurs du secteur agricole, mais surtout les déplacements
des populations lorsque les conditions dans les milieux ruraux
étaient devenues très difficiles.

PsR : Si on peut dire que les populations ont délaissé les zones rurales
à la recherche de meilleures conditions de vies dans les villes,
aujourd’hui ces mêmes villes constituent un pôle de vulnérabilité
face au changement climatique. Quels sont selon vous les principaux
risques climatiques auxquels sont soumises les villes/les habitants
des villes ? Quels sont les impacts ?

SMT : La question des risques climatiques que l’on qualifie aujourd’hui
de « désastres », selon l’acceptation anglo-saxonne, est devenue une
réalité dans les villes pour plusieurs raisons. D’abord parce que dans
les villes il y a une extrême concentration et lorsqu’il y a une extrême
concentration le risque est démultiplié. Du fait de la forte concentration,
les effets des risques sont plus ressentit dans les villes qu’en milieu
rural.

Les effets adverses sont donc les inondations, l’érosion côtière, mais
aussi parfois la sècheresse, de même que les changements de température
qui ont un impact sur la biodiversité. Lorsqu’il y a des inondations
par exemple dans les campagnes ce sont des espaces ouverts. Il y a
des conséquences sur les récoltes et le bétail, mais rarement on assiste
des morts d’homme. Dans les villes cependant, ce sont des investissements
énormes qui sont détruits (pertes de maison, des millions de
FCFA d’investissement qui sont perdu en une nuit). Si l’on prend également
le cas de l’érosion côtière, on assiste aujourd’hui à une furie de
vague dans la partie Sud du Sénégal (de Dakar jusque vers la Casamance),
et beaucoup de personnes ont vu leur construction tomber et
les flots entrer dans la maison.

On constate aussi des impacts aussi sur la santé. Aussi, puisque la
planification n’a pas été correctement assurée, le confort thermique
est mis à rude épreuve par les changements climatiques et cela a un
impact sur les conditions de vie des populations.

Changement climatique et migration

PsR : Revenons un instant sur le lien entre changement climatique et
mobilité. Peut-on entrevoir un lien fort entre impacts du changement
climatique sur les écosystèmes et migrations des populations ?

SMT : La péjoration des conditions climatiques en milieux ruraux est
responsable de beaucoup de départ. Le départ se fait pour plusieurs
raisons : d’abord pour une reconversion professionnelle (on ne vit plus
assez de l’agriculture et on veut faire autre chose ou on veut faire l’agriculture
et autre chose), ou bien la dégradation des conditions offre des
perspectives si sombres que les familles décident d’envoyer quelqu’un
faire l’émigration. Il y a donc ces départs dû à la péjoration des conditions
climatiques. Mais en retour il y a également des opportunités car les investissements peuvent permettre aux communautés de départ
une plus grande résilience.

PsR : Pouvez-vous donner quelques exemples d’opportunités ?

SMT : On a vu par exemple dans certaines zones où il y avait beaucoup
de sècheresse que les seuls filets de sécurités étaient les transferts financiers
reçus des migrants, et ces transferts représentent aujourd’hui
une source non négligeable de financement du développement (près
de 600 milliards de FCFA en transferts de fonds pour l’exercice semestriel
cette année, soit une croissance de 14% des transferts des immigrés).
C’est donc une source non négligeable de développement si
nous arrivons à le canaliser. Les transferts d’argent peuvent donc être
une source de financement du développement.
Aujourd’hui il faut essayer de trouver un mécanisme à l’échelle des
grandes instances sous régionales ou continentale pour essayer de
taxer cette source et la réinvestir dans le financement du développement
de l’Afrique. Car le problème majeur au-delà des stratégies et
du renforcement de capacité, c’est bien le financement du développement.
Il faut donc être inventif et aller vers des financements innovants
pour financer le développement.

Le défi énergétique

PsR : Les défis démographiques des villes d’Afrique subsaharienne
sont donc colossaux et la consommation énergétique des villes en
forte croissance pose la question de ses effets sur le changement climatique.
Selon le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental
sur l’évolution du climat (GIEC), la consommation d’énergie
des zones urbaines en Afrique subsaharienne est aujourd’hui
responsable de 64 à 74 % des émissions de CO2 de la région. Quelle
analyse faites-vous du défi énergétique dans les villes aujourd’hui ?

SMT : Aujourd’hui il est urgent de développer des programmes pour
réduire les émissions de CO2 dans l’atmosphère et inverser la tendance
 ; et c’est pourquoi il y a beaucoup de programmes que les organisations
essaient de développer en rapport avec le gouvernement
et portant sur l’efficacité énergétique dans les bâtiments, qui sont les
premiers pourvoyeurs de gaz à effet de serre. Ce qui veut dire qu’aujourd’hui,
quelques actions dans les modèles constructifs pourraient
aider à utiliser moins d’énergie et par conséquent à produire moins de
gaz à effet de serre.

Ces programmes sont d’autant plus intéressants que si on intervient
dans les bâtiments, qui sont les gros consommateurs, notamment les
cités universitaires, on arrive très rapidement à des résultats très importants
en termes d’économie d’énergie et donc d’économie d’argent.
En termes d’énergie, il est très facile de tirer avantage de la montée des
températures pour trouver des sources alternatives notamment l’énergie
thermique qui peut valablement être utilisée dans le confort des
maisons (plaque chauffante, éclairage, climatisation, etc.).

Des pistes de solutions

PsR : Comment organiser des villes en croissance rapide pour permettre
à tous les citadins de bénéficier d’emplois, de services et
de logements décents tout en faisant face aux enjeux climatiques ?
Quel rôle le gouvernement doit-il jouer pour renforcer la résilience
des villes face au changement climatique ?

SMT : Il y a d’abord un problème de vision stratégique à régler. On peut
constater que quelques mairies ont commencé à privilégier l’éclairage
publique à partir du solaire pour faire des économies sur les factures à
payer. De la même manière, si nous pensons que ces investissements
sont rentables sur le long terme, il faudrait que nos communes pensent
de plus en plus à les promouvoir.

Le problème majeur est que le plus souvent, les maires ne s’engagent
pas dans des investissements ou des actions qui dépassent la durée de
leur mandat. Parfois c’est légitime. Cependant, il faudrait qu’on ait plus
de perspectives à long terme et que de telles initiatives soient prises en
charge par les municipalités pour faire des économies de ressources et
aussi promouvoir une économie verte. Dans les grandes municipalités il
faut aller plus loin en s’orientant vers la construction de centrales à biomasse,
de centrales solaires. Avec 3000 heures d’ensoleillement par
année, cette énergie qui est gratuite ne doit pas être perdue.

PsR : Quelles devraient être, selon vous, les priorités pour relever
ces défis et renforcer la résilience des villes face au changement climatique
 ?

SMT : La priorité serait de revoir un peu le cadre institutionnel et règlementaire. Sans quoi nous ne pourrions faire grand-chose. Il faut revoir
les textes qui sont souvent dépassés par le contexte et les opportunités
actuelles en matière d’énergie et de changement climatique.
Ensuite il faut aller vers des sources de financements innovants. Il y a
sur le marché international le marché du carbone et le marché vert et
d’autres qu’il faut explorer et voir jusqu’à quel point la prise en charge
du changement climatique et l’économie verte puissent être financées
à partir de nouvelles sources de financement, même si l’on n’exclut pas
le rôle clé et la contribution primordiale des collectivités et des Etats.
Le troisième élément aujourd’hui c’est le renforcement de capacité des
acteurs. On est encore très peu formé sur la maitrise de certaines énergies
comme le solaire, l’éolien, etc. donc il faut qu’on aille vers ce mix
de sources d’énergie, et de tous les acteurs (y compris les ouvrier).
Aujourd’hui il y a un potentiel énorme. Le renforcement de capacités
c’est aussi des efforts importants dans la recherche. On pense par
exemple à la section de l’Université de Saint Louis qui va s’ouvrir à
Géoul et qui aura un département sur les énergies renouvelables. On
devrait se positionner très rapidement sur ça parce que ce sont des
choses très rentables et faisables. Ce sont des économies d’échelle
qui peuvent nous placer sur le chemin de l’émergence parce que si
nous ne maitrisons pas l’énergie, nous ne produirons pas assez. Pour
l’exploitation agricole par exemple il y a énormément d’eau souterraine
qui nous échappe parce qu’on ne maitrise pas les coûts de la technologie
et énergétique pour les remonter. Alors que ce sont des sources
qui pourraient être utilisé pour la production agricole.

PsR : Avez-vous un message à l’attention des décideurs qui prendront
part en Novembre prochain à la COP21 ?

SMT : Il y a un consensus sur les priorités qui devraient structurer
l’action du monde pour les 15 à 20 prochaines années. Paris devra
permettre aux africains d’aller avec une position commune. Aller de
façon éparse ne permettra pas que notre voix soit entendue car Il y a
également un parallélisme des institutions à respecter. Si l’Union Européenne
parle en tant que union, il faut également que l’Afrique parle par
ses grands ensembles. Le débat doit être porté par l’Union Africaine et
non par les Etats.