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Le dialogue social pour sécuriser les droits fonciers des femmes rurales

Adopté en juin 2009, la loi sur le foncier rural au Burkina Faso ouvre la porte aux femmes à la propriété foncière. Profitant de cette innovation, la commune rurale de Cassou au centre-ouest du Burkina, appuyée par le Groupe de recherche et d’action sur le foncier (GRAF), a expérimenté avec succès la mise en œuvre de cette loi dans deux villages. Des hommes y ont accepté librement de céder définitivement des terres aux femmes qui en deviennent ainsi propriétaires.

Le 16 juin 2009, le Burkina Faso s’est doté d’une nouvelle loi sur le foncier rural, la loi 034 portant Régime Foncier Rural. C’est l’aboutissement de plusieurs mois de consultations auxquelles a participé activement le Groupe de recherche et d’action sur le foncier (GRAF). Cette nouvelle loi introduit plusieurs innovations. Désormais, la terre n’est plus la propriété exclusive de l’Etat comme l’indiquait la loi portant Réorganisation agraire et foncière de 1984. Les collectivités territoriales et les individus ont également leurs domaines fonciers.

Habituellement marginalisées dans l’accès aux terres rurales, les femmes ont désormais voix au chapitre. La nouvelle loi foncière reconnait explicitement leurs droits à accéder aux terres rurales, au même titre que les hommes. De nombreux experts du foncier s’accordent pour dire que cela est une grande avancée.

Théoriquement, sur le terrain, les esprits encore très conservateurs vont-ils admettre cela ? Comment traduire cette disposition légale en une réalité, surtout pour une question aussi controversée voire taboue que l’accès des femmes à la propriété foncière rurale ?

La loi à l’épreuve du terrain

« Dès l’adoption de la loi, le plus important pour nous au niveau du GRAF a été de concevoir une démarche et des instruments afin de la mettre à l’épreuve du terrain pour voir véritablement ce qu’elle vaut et en tirer des enseignements », explique Pierre Aimé Ouédraogo secrétaire exécutif du Graf. C’est ainsi qu’à la demande de la commune rurale de Cassou, dans le Centre-Ouest du Burkina, le Graf met en œuvre depuis 2011 un projet de « sécurisation foncière des femmes des villages de Panassian et Nessian ».

Dramane Diassou, 1er adjoint au maire de Cassou explique le choix des deux villages pilotes : « Il faut savoir que notre commune a enregistré beaucoup de cas de vente de terre ces dernières années, le plus souvent des ventes anarchiques. Pour ce projet qui est expérimental, nous cherchions deux villages où le problème de la vente de terre ne se posait pas. C’est ainsi que nous avons choisi Panassian et Niessian. On s’est dit que si l’expérience était concluante dans ces deux villages, cela pourrait faire tache d’huile dans les autres villages et mêmes dans les communes voisines ».

L’initiative bénéficie du financement du Fonds Commun Genre (FCG), un consortium de partenaires au développement. « Sécuriser des femmes, c’est bien beau et du moment où c’est une question d’équité et de justice sociale, ça nous intéresse au niveau du GRAF. Mais il fallait d’abord que l’on ait la preuve que le projet souhaité par la commune correspondait aux besoins des femmes de ces deux villages », déclare Pierre Aimé Ouédraogo. Une étude diagnostic de la situation socio foncière a été réalisée dans les villages retenus par la commune. Les résultats ont permis au GRAF, en tant que structure d’appui technique, de se convaincre davantage de la pertinence de l’initiative de la commune.

Se lancer sans trop y croire ?

Après plus de deux ans de mise en œuvre, le projet prendra fin en décembre 2013. A ce jour, de nombreux acquis ont été enregistrés. Il s’agit entre autre de la mise en place dans les deux villages des structures locales de gestion foncière conformément à la nouvelle loi. Il y a d’une part la commission foncière villageoise (CVF) chargée de la gestion des terres rurales à l’échelle villageoise et d’autre par la commission de conciliation foncière villageoise (CCFV) chargée du règlement des conflits fonciers au niveau local. Au niveau de la commune, le service foncier rural (SFR) a également été mis en place. Il est chargé, entre autres, de l’établissement des titres sur le foncier à l’échelle communale.

Dans les deux villages, une soixantaine de possesseurs fonciers coutumiers ont été recensés. Réticents au départ, pratiquement tous ont accepté de céder à titre définitif des portions de terres allant d’un hectare à plus de cinq hectares au profit d’environ une centaine de femmes. Les femmes bénéficiaires sont leurs épouses, sœurs, filles, belles-filles, etc.

Des hommes qui acceptent librement et en toute connaissance de cause de céder définitivement des terres à des femmes, cela surprend plus d’un observateur. A commencer par les intervenants eux-mêmes. « Faire de la femme une propriétaire foncière en milieu rural au même titre que les hommes, ce n’était pas du tout évident. Je peux même dire que personne n’y croyait au début », confie Pierre Aimé Ouédraogo secrétaire exécutif du Graf.

C’est donc sans trop de conviction que le projet a démarré, mais avec la ferme intension d’expérimenter la mise en œuvre de la loi. Qu’est-ce qui a permis l’obtention de ces résultats ? Comment expliquer le succès enregistré par le projet ?

Faire connaitre la loi

La démarche du projet et le contexte local des deux villages expliquent grandement les bons résultats obtenus par le projet. En effet le projet a mis en avant le dialogue social en vue de susciter la compréhension et l’adhésion des populations autour de ses actions. Les premières activités du projet ont consisté à informer et sensibiliser les populations des deux villages sur le contenu de la loi sur le foncier rural. « Il était bon, dans ces deux villages, que les hommes et les femmes comprennent mieux le contenu de la loi, le processus d’obtention des titres sur le foncier, les modalités de cession de droits sur des terres, etc. », explique le secrétaire exécutif du Graf.

Des causeries-débats ont été organisées dans les villages. Séance populaire d’animation et d’expression libre, la causerie débat est marquée par trois temps forts. En premier lieu, il y a la projection d’un théâtre filmé d’environ 45 minutes en langue locale titré « La terre connait son propriétaire ». Le film traite d’un conflit qui oppose un vieux paysan et sa famille à une riche femme d’affaire venue de la ville. Chacune des deux parties réclamant la propriété d’une terre. Le conseil villageois est alors interpelé pour résoudre à l’amiable le conflit.

A la fin de la projection, l’animateur fait la synthèse du film et revient sur les points essentiels de la loi en utilisant une boite à images titrée « 12 messages clé de la loi 034 ».

Ensuite, la parole est donnée aux populations pour réagir sur le comportement des différents acteurs du film, poser des questions sur la loi, faire part de leurs inquiétudes, etc. « A travers le film que le Graf a projeté, nous avons beaucoup appris sur ce que dit la loi. Je crois que dans la commune de Cassou, nous sommes en avance en termes de connaissance de cette loi par rapport aux autres villages », témoigne Dominique Zizien, président de la commission foncière villageoise de Niessian. Parallèlement, des émissions sur la loi ont été produites et diffusées sur la radio Nemaro, implantée dans la commune.

Après les séances d’information et de sensibilisation sur la loi, place est faite à la communication sur le projet. « Après que nous nous sommes assuré que ces populations ont maitrisé, dans une certaine mesure la loi, nous nous sommes alors attelés à leur exposer la philosophie du projet qui est de négocier auprès de tout possesseur foncier reconnu comme tel dans les villages la cession de terres au profit des femmes », explique François Louré, membre de l’équipe d’experts mandaté pour conduire les activités du projet dans les deux villages. « La question qui revenait le plus souvent c’est « si je donne la terre à ma femme et qu’après elle me quitte, que devient cette terre » ? Cela a fait l’objet de débats intenses dans les villages. Nous avons expliqué et sensibilisé. C’est à l’issue de ça que nous sommes partis pour la négociation à proprement parler », ajoute Rose-Marie Sanwidi, également membre de l’équipe d’experts.

Le dialogue social à l’œuvre

Rose Marie Sanwidi, première femme ingénieure agronome du Burkina aujourd’hui à la retraite et Fatoumata Tall, juriste-planificateur ont été mandatées par le GRAF pour conduire les négociations entre les possesseurs fonciers et les femmes des deux villages. « L’un des défis majeurs c’était déjà d’obtenir l’accord de principe des hommes, qu’ils acceptent de s’engager dans le processus de sécurisation pour eux-mêmes d’abord, en obtenant leur attestation de possession foncière rurale, avant de pouvoir céder des portions de terres à leurs femmes. Cela ne semblait pas gagné au départ. A priori, les hommes étaient très réservés », explique Fatoumata Tall.

Il a fallu adopter une démarche à la hauteur du défi à relever. « Nous rencontrions d’abord les femmes du village pour savoir quelles étaient leurs préoccupations par rapport au foncier. On se renseignait aussi sur ce qui se passait dans leur coutume. Après cela, nous allions à la rencontre des propriétaires fonciers. Les femmes nous avaient dit que si elles gagnent les dons c’est bien, mais à défaut, des prêts de longues durées feront l’affaire. Ce qu’il fallait que les propriétaires acceptent c’est que les femmes aient un papier. Soit, c’est un don et elles ont l’attestation de possession foncière, soit, c’est un prêt et elles ont le contrat de prêt qui précise la durée pour éviter des retraits intempestifs », résume Rose Marie Sanwidi. « Nous parlons à l’homme, nous parlons à la femme et nous essayons de rapprocher les positions. La femme demande toujours un peu plus, le mari pense avoir fait suffisamment d’effort et est donc réticent à donner plus. Il est arrivé que certains refusent carrément le don, ils étaient plus favorables à des prêts en disant qu’ils laissent aux femmes les terres toute leur vie, à condition qu’elles restent leurs épouses », ajoute Fatoumata Tall.

Mais chaque possesseur foncier était libre de s’engager ou de ne pas s’engager. Pierre Aimé Ouédraogo précise : « Nous avons proposé trois options aux possesseurs fonciers des deux villages. Première option, le projet ne les intéresse pas du tout et donc ils refusent de s’engager. Deuxième option, le projet les intéresse et ils s’engagent à prêter une partie de leurs terres aux femmes. Et troisième option le projet les intéresse et ils s’engagent à céder à titre définitif des terres aux femmes ». En guise d’encouragement, le projet s’est engagé à prendre en charge les frais d’établissement d’attestation de possession foncière pour tous les propriétaires fonciers qui consentent à donner ou à prêter des terres aux femmes.


Les hommes adhèrent massivement à la loi et concèdent des terres à leurs épouses

Des résultats surprenants

A l’issue des négociations, les possesseurs fonciers du village de Niessian se sont presque tous engagés en faveur des prêts, refusant ainsi de céder définitivement des terres aux femmes. « Ils ont pensé que donner des terres aux femmes, c’est les rendre autonomes or de leur point de vue, les femmes autonomes sont difficiles à gérer », fait comprendre Fatoumata Tall. « Seuls quelques hommes avaient accepté de faire des dons et, là encore, les bénéficiaires étaient des femmes d’un âge avancé, en se disant qu’elles ne peuvent plus les quitter pour un autre homme », ajoute Rose Marie Sanwidi. Par contre, dans le village de Panassian, c’était la situation inverse. Les hommes se sont presque tous engagés en faveur des cessions définitives. « Certains de nos collègues consultants disaient que nous avons fait pression sur les hommes, tellement cela leur paraissait impensable », confie Rose Marie Sanwidi. Quelques semaines plus tard, l’équipe de négociatrices est repartie sur le terrain pour valider les positions recueillies, en première instance, afin de s’assurer que certains ne sont pas revenus sur leur décision. « Et là, au lieu que ceux qui se sont engagés pour des dons reviennent aux prêts, c’est plutôt ceux qui avaient opté pour des prêts qui ont voulu passer aux dons. Dans le village Niessian, où presque tous avaient décidé pour des prêts, tout le monde est passé aux dons sauf deux personnes, le chef de terre et son frère. Ces deux là, aussi, quelque temps après, ont souhaité passer aux dons. C’était la surprise totale », rapporte Rose Marie Sanwidi.

Les hommes dans les deux villages venaient ainsi d’ouvrir aux femmes la porte à la propriété foncière. Le changement se fait sentir chez certaines femmes. C’est le cas de Kayentié Ido du village de Niessian. Elle témoigne : « Le monde a changé. Tu dois inscrire ton enfant à l’école, si tu veux qu’il soit quelqu’un demain. Nous sommes en train de vieillir. Et aujourd’hui, les petites superficies ne suffisent plus aux femmes. En ayant leurs propres terres, les femmes pourront aider les hommes dans les dépenses familiales, dans la scolarité des enfants. C’est pour cela que mon mari m’a donné 2 ha. Depuis ce jour, il y a une amélioration dans mes activités car j’arrive à avoir mes propres récoltes ».

Un contexte local favorable ?

Si le projet a pu obtenir de tels résultats, c’est parce que le contexte local y était favorable. « D’abord ces deux villages disposent encore de réserves foncières considérables. Je crois que cela a été un élément déterminant. Quand il y a la ressource, on n’a pas de problème à céder une partie. Mais lorsque la terre se fait rare, on a tendance à privilégier une gestion plus parcimonieuse qu’en temps d’abondance. Il y a aussi que dans ce milieu les populations semblent ouvertes et réceptives au message. C’est aussi un élément sociologique qui a milité en faveur du projet. Sinon au départ, je partais avec suffisamment de scepticisme. Parce que je sais qu’en me référant à ma localité d’origine, je me disais que cela est impensable », explique François Louré, membre de l’équipe technique du projet. Les femmes bénéficiaires ont également joué un rôle déterminant. « Ce qui m’a le plus marqué, c’est la négociation-relais que les femmes faisaient, une fois qu’elles se retrouvent avec leurs maris à la maison. Il est arrivé que des femmes viennent le matin nous dire ne bougez pas mon mari va venir parce qu’on en a discuté toute la nuit. Le mari se présentait effectivement soit pour convertir le prêt en don ou pour augmenter la superficie pour satisfaire la femme qui en demandait plus. Cette implication des femmes nous a permis d’avancer plus vite », assure Fatoumata Tall. « Ce que je tire comme conclusion c’est qu’il faut toujours oser. Il ne faut pas rester là avec des préjugés en se disant que les gens ne vont pas accepter ceci ou cela, il faut toujours y aller, informer, expliquer, sensibiliser. On finit toujours par trouver un terrain d’entente », soutient Rose Marie Sanwidi.

Une chose est de permettre aux femmes d’avoir leurs propres terres, mais encore faut-il leur offrir l’appui nécessaire pour aménager ses terres afin de les rendre plus économiquement rentables. « Il y a encore beaucoup de choses à faire. Le projet devrait avoir une suite, autrement, sa démarche serait incomplète pour espérer apporter un véritable changement dans la vie de ces femmes », conclut Fatoumata Tall.

Inoussa Maïga

Consultant indépendant
Médias & Communication participative pour le développement
maiga.inou@gmail.