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Editorial : Terreau d’emplois à fertiliser

En Afrique, l’échec des politiques agricoles successives ne se manifeste pas uniquement à travers la persistance de l’insécurité alimentaire. Plus que l’exode rural, il a fait des jeunes ruraux de potentiels migrants. Pourtant, l’agriculture demeure un terreau capable de fixer les jeunes qualifiés et non qualifiés dans les terroirs. Pour parer au départ massif de la main-d’œuvre agricole, il faudra ressusciter l’intérêt des jeunes pour une agriculture durable et apte à répondre à leurs attentes, à travers une formation, l’accès au financement, à la terre et aux marchés.

Dans une édition antérieure, la revue AGRIDAPE avait passé au peigne fin la place des jeunes dans l’agriculture familiale . Un examen des différentes études de perception sur l’activité agricole avait montré que l’intérêt de ces derniers pour l’agriculture avait fortement baissé. Celle-ci ne pouvait plus leur assurer un emploi durable et des revenus décents à même de les fixer dans leurs terroirs. L’échec de l’agriculture conventionnelle et le changement climatique en sont des causes.

Du coup, les jeunes ruraux préféraient l’exode rural, en exerçant de petits métiers dans les centres urbains. Face au renchérissement du coût de la vie, ces activités ne sont plus en mesure de leur assurer des revenus leur permettant de subvenir aux besoins de leurs familiales restées en milieu rural. Saisonnière au début, cette migration urbaine est devenue définitive. La suite est moins flatteuse.

En effet, la paupérisation des villes et campagnes et le chômage des jeunes a créé une nouvelle dynamique, cette fois-ci plus risquée. Les jeunes tentent l’immigration clandestine en destination de l’Europe avec tout le lot de drames et d’indignités observés sur le trajet.

Un défi politique

Ne pouvant pas être indifférents à ce phénomène, les décideurs politiques tentent de prendre en charge la question de l’emploi des jeunes en Afrique. Au niveau régional, l’agriculture est considérée comme un secteur stratégique capable de générer plusieurs milliers d’emplois et de résoudre en même temps la question de l’insécurité alimentaire. A ce titre, le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) et la Banque africaine de développement (BAD) ont donné les grandes orientations.

La mise en œuvre du PDDAA repose sur les organisations sous-régionales comme la CEDEAO pour dérouler les programmes d’investissement aptes à trouver une réponse agricole au chômage des jeunes. De son coté, la BAD a développé une stratégie pour l’emploi des jeunes en Afrique, principalement axée sur l’agriculture en mettant le focus bien sûr l’accès au crédit.

Miser sur la formation

L’ insertion durable des jeunes dans le secteur agricole requiert un préalable : favoriser des systèmes de productions durables respectueuses des écosystèmes et propices à l’esprit d’innovation des jeunes. Il ne fait aucun doute que les jeunes ruraux qui ont pour la plupart grandi sous l’ère de l’agriculture conventionnelle ont besoin d’une formation sur les pratiques agricoles durables.

En Afrique, cette « porte d’entrée » semble faire l’objet d’un consensus. En effet, plusieurs initiatives qualifiées de bonnes pratiques sont prises par les organisations d’appui au développement et de producteurs allant dans le sens de former des jeunes à l’agroécologie . Ces formations pratiques de base sont préalables à toute insertion durable des jeunes ruraux et urbains. Elles viennent combler un gap creusé par le système formel de formation académique. Celui-ci offre des cycles long et intermédiaire qui s’adressent à de jeunes diplômés capables de réussir un concours d’entrée.

Au Mali par exemple, la plateforme d’expérimentation, d’adaptation et d’innovation autour de l’agroécologie paysanne dite « Benkadi Bougou » forme et installe des jeunes défavorisés dans les communes de Ségou. Au Niger, une approche similaire développée par la coopération luxembourgeoise a contribué à l’installation des jeunes dans des filières agricoles porteuses (page ?). Au Bénin, le réputé centre Songhaï continue de former de jeunes agriculteurs et les accompagnent dans leur processus d’installation. D’ailleurs, ce modèle est en train d’être reproduit au Nigéria, en Sierra Léone et au Libéria.

Parfois, des organisations développent des partenariats avec des écoles de formation publiques reconnues. C’est la voie suivi par le Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (CNCR) au Sénégal pour créer un centre d’incubation au sein de l’Ecole national supérieur d’agriculture (ENSA), afin d’initier des jeunes paysans ruraux et urbains à l’aviculture . Les gouvernements sont manifestement absents sur ce terrain, en dépit des multiples mécanismes de financement visant à développer l’entrepreneuriat agricole chez les jeunes.

Accès au financement

Bien qu’utile, le CNCR a compris que la formation est de loin de suffire. L’accès au crédit est une condition nécessaire à une installation durable des jeunes dans l’agriculture. Dans l’esprit du banquier, le jeune sans revenu fixe et durable est client à risque élevé en matière de crédit. Mais le démarrage d’une exploitation agricole requiert un minimum de ressources.

Dans un processus d’octroi de crédit, une contribution personnelle n’est pas exclue. Elle permet de minimiser les risques. Dans la région de Dosso (Niger) par exemple, LuxDev a demandé un apport personnel de 7% aux jeunes bénéficiaires de micro-crédit.

Par ailleurs, il est actuellement observé un regain intérêt pour l’agriculture. Le plus souvent, ce sont des jeunes qui étaient dans d’autres activités professionnelles ou des migrants de retour. Au Sénégal, dans la commune de Tasset, le jeune Saliou Sidy Mbaye dévoile toute sa fierté d’un retour au pays réussi grâce à sa ferme agricole qui lui procure des revenus et offre des emplois à ses pairs de la localité.

Il n’en demeure pas moins que l’accès au financement reste un défi majeur pour les jeunes paysans. En général, ceci est assujetti à une garantie de type mobilière ou immobilière. Le foncier rural étant ce qu’il est, c’est-à-dire enregistré à titre précaire, les institutions financières ne prennent pas souvent le risque d’accompagner un projet agricole quelle que soit par ailleurs sa pertinence.

Accès à la terre et aux marchés

La terre est pourtant le premier facteur de production. Par conséquent, l’accès des jeunes à un foncier sécurisé est une nécessité, si l’on veut éviter d’en faire de potentiels migrants (page ?) ou de les confiner dans une agriculture de subsistance. L’accès aux terres productives est alors une condition lorsqu’ils souhaitent gagner leur vie dans le secteur agricole. D’une part, la terre permet d’exercer l’activité agricole et d’autre part, le fait d’en posséder permet d’augmenter la considération sociale du jeune.

A ce titre, l’implication des collectivités territoriales dans les initiatives d’insertion des jeunes dans l’agriculture est une condition sine qua non. Au Mali, l’initiative Benkadi Bougou a contribué à l’exploitation de plus de 120 ha par les jeunes. Mais pour contourner les obstacles administratifs, elle avait ciblé des jeunes dont la plupart exploitaient déjà des périmètres agricoles.

Une fois ce défi relevé, les productions réalisées par les jeunes ont besoin d’être écoulées dans des délais raisonnables et à un prix rémunérateur. En milieu rural, les foires agricoles et les marchés hebdomadaires jouent encore un rôle important dans la commercialisation des produits agricoles. Certes utiles, ces espaces marchands ont montré leurs limites.

C’est dire que l’accès au marché doit être mieux adressé par les décideurs africains. La faiblesse des revenus générés par l’investissement agricole est de nature à décourager les jeunes agriculteurs. Cela suppose l’existence d’infrastructures de transport et le développement des chaînes de valeur agricoles quand on sait que la transformation des produits agro-alimentaires est une niche d’emplois. Ensuite, le désenclavement des zones de production facilite l’écoulement de la récolte brute dans les centres urbains.

Au-delà, c’est toute l’articulation entre les secteurs agricoles, l’industrie et le commerce qui doit être adressée. L’effet d’entrainement significatif que l’agriculture a dans les économies africaines est évident, mais les gros investissements réalisés par les pouvoirs publics ont du mal à être efficaces au point de résoudre la question de la sécurité alimentaire, du passage à l’agro-industrie et à la commercialisation, tout en préservant les écosystèmes. Ceci fait que certains jeunes à la recherche de revenus décents et durables ont encore du mal à percevoir l’agriculture comme un terreau très fertile.

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