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Saliou Sidy Mbaye, migrant de retour à la terre : « Dynamiser l’agriculture, c’est régler le chômage, l’émigration clandestine... »

« Revenir au Sénégal et me lancer dans l’entrepreneuriat après des années d’études et d’expériences au Canada est l’une des meilleures décisions que j’ai pu prendre dans ma vie », Voilà comment Saliou Sidy Mbaye, jeune entrepreneur et agriculteur sénégalais, partage sa fierté d’être aujourd’hui à la tête d’une exploitation agricole de 16 hectares à Tassette, dans la région de Thiès.
Après avoir exploré l’Amérique du Nord sous ces nombreuses facettes en tant qu’étudiant à Atlanta aux Etats-Unis et à Québec au Canada, Saliou Sidy Mbaye revient sur ses nombreuses expériences de travail acquises aux pays des eskimos, et sur son retour au pays amorcé depuis trois ans.

Monsieur Mbaye, pourquoi avez-vous porté votre choix sur l’entrepreneuriat l’agricole ?

J’ai toujours eu un faible pour la verdure, mais je dois avouer que j’ai vraiment eu un attachement pour la nature en général lors de mon séjour au Canada où j’ai émigré pour continuer mes études après l’obtention de mon Baccalauréat. J’ai eu l’opportunité d’être embauché à temps partiel dans un champ pour travailler dans les vendanges, c’est à partir de là que j’ai développé ma passion pour l’agriculture.

J’ai ensuite fait plusieurs excursions dans des provinces canadiennes où l’agriculture occupe une place prépondérante dans leur économie, pour apprendre et m’enrichir des méthodes agricoles modernes. Pour mon retour au Sénégal entreprendre dans l’agriculture était une des options d’investissement que je laissais murir dans mon esprit, et finalement, c’est le créneau dans lequel je me suis lancé dès mon retour. Je ne suis d’ailleurs pas le seul qui soit revenu au pays, en ayant eu comme projet d’investir dans le secteur primaire.

« La finalité de l’agriculture, c’est la nutrition. »

Pouvez-vous nous partager vos impressions sur l’agriculture au Sénégal de manière générale ?

L’agriculture au Sénégal a beaucoup évolué dans les mentalités. Les sénégalais commencent à accorder beaucoup plus d’importance aux corps de métier reliés à l’agriculture. De plus en plus, en zone urbaine ou péri-urbaine, les pratiques agricoles se multiplient, même si c’est le plus souvent à temps partiel. Cependant, dans la structuration du secteur et la mise en place de plans d’action concrets pour développer notre agriculture, nous avons beaucoup d’efforts à faire. Nous avons beaucoup de potentiels au Sénégal avec une terre fertile et une jeunesse qui est prête à s’y investir. Seulement, la finalité de l’agriculture, c’est la nutrition, il faudrait que nous puissions inciter nos populations à consommer local. Tant que nous n’arrivons pas à produire pour notre consommation, nous dispersons nos efforts.

Beaucoup de jeunes sans emploi aspirent à émigrer pour sortir du chômage, mais pensez-vous qu’entreprendre dans le secteur agropastoral peut être une solution à long terme pour ces derniers ?

« Dynamiser l’agriculture, c’est régler les problèmes de chômage, d’émigration clandestine et tous les autres problèmes liés à une jeunesse désespérée, et qui pourtant est disponible. »

Je pense que c’est la solution la plus pertinente pour sauver notre jeunesse du fléau de l’émigration. Aujourd’hui, nous avons beaucoup de jeunes qui veulent s’expatrier, ou même des Sénégalais de la diaspora qui veulent rentrer et investir aux pays, et c’est d’actualité un peu partout en Afrique. Dynamiser l’agriculture, c’est régler les problèmes de chômage, d’émigration clandestine et tous les autres problèmes liés à une jeunesse désespérée, et qui pourtant est disponible. Nous devons former les jeunes, et leur donner les moyens de s’insérer dans le milieu agropastoral avec un accompagnement et un suivi au niveau de la chaine de valeur. Il faut créer un écosystème pour encourager l’entrepreneuriat agricole sur toute la chaine de valeur. Si on veut que la jeunesse de notre pays s’implique davantage dans ce secteur, il faut lui donner les outils et l’information nécessaire.

Parlez-nous de votre cursus scolaire, avez-vous suivi une formation en agronomie ?

J’ai eu mon baccalauréat au Collège Sacré-Cœur de Dakar, et je suis parti au Canada où j’ai poursuivi mes études supérieures en Sciences de Génie civil à l’université Laval au Québec. J’ai ensuite changé de programme à l’université de Trois Rivières à Québec pour me lancer en Administration des affaires, quand je me suis rendu compte que l’ingénierie civil n’était pas vraiment ce que je voulais faire. Concernant l’agriculture je n’ai pas vraiment fait des études dans le domaine, mais j’ai reçu une formation de terrain avec un technicien agricole. Cependant je compte m’inscrire à des cours du soir pour approfondir mes connaissances dans le domaine.

Quelles ont été vos principales difficultés durant votre installation à Tassette lors du démarrage de votre projet ?

Nous avons eu des problèmes à tous les niveaux lors de notre démarrage à Tassete Green Farm. Le plus dur, c’était de trouver des collaborateurs fiables dans ce pays, des gens honnêtes, des ingénieurs et techniciens agricoles qui sont sérieux et qui maitrisent leurs domaines comme il faut sans vouloir vous berner. Nous n’avons pas été chanceux concernant les recrutements que nous avons faits à nos débuts. Nous avons mal étudié notre projet et nous manquions de maitrise quant au marché local. A nos débuts, c’était vraiment un combat aussi bien dans la construction de la ferme, la mise en place de la clôture, la construction de notre forage, et. Nous nous sommes battus pour que chaque étape soit une réussite et nous avons eu beaucoup de gens qui nous ont mis les bâtons dans les roues.

Comment juger vous l’implication des jeunes dans le secteur agricole en milieu rural ?

Les jeunes du monde rural sont très impliqués dans l’agriculture de notre pays, même si beaucoup d’entre eux ont choisi de s’installer en zone urbaine pour y exercer d’autres métiers, ce qui est parfois tout à fait justifié. Il y a des jeunes qui continuent à s’investir dans la terre, maintenant il faut les outiller comme je l’ai énoncé plus tôt. Les jeunes ne peuvent pas dépendre d’une agriculture saisonnière, avec des campagnes de mil et d’arachide qui durent quatre mois. Il faut qu’on se dise la vérité et qu’on cherche des solutions pour que ces jeunes puissent pratiquer l’agriculture durant toute l’année.

C’est le défi que nos dirigeants doivent relever si on veut freiner l’exode rural. Nous ne pourrons pas atteindre l’autosuffisance alimentaire sans les jeunes de notre pays avec des petites exploitations et des techniques agricoles obsolètes. Selon moi, les jeunes qui ont quitté leurs villages pour Dakar n’ont pas compris les opportunités que regorge l’agriculture. Maintenant à qui revient la responsabilité de les informer ? Voilà ma question…Ce qui est juste dommage, c’est qu’en dehors de l’hivernage, ces jeunes travaillent pour des multinationales agricoles étrangères avec des contrats déterminés de très courte période, mais vu qu’ils sont obligés de le faire pour vivre et soutenir leur famille, on perd forcément cette main-d’œuvre qui nous aurait aidés à atteindre nos objectifs d’autosuffisance alimentaire.

« Nous ne pourrons pas atteindre l’autosuffisance alimentaire sans les jeunes de notre pays. »

Quels sont vos objectifs en tant qu’entrepreneur et agriculteur à long terme ?

Mon objectif, c’est de cultiver des produits qui sont le plus souvent exportés mais qui devraient aussi être proposés à nos populations. Nous avons l’exemple du maïs doux qui est exporté, alors qu’au Sénégal on ne parle que du mais local. J’aimerais offrir la même qualité, et les mêmes variétés à nos chers concitoyens. Il est temps que nous produisons pour le marché local des produits sains, de très bonnes qualités et en abondance. L’agriculture pour la nutrition locale d’abord, voilà un concept auquel j’accorde beaucoup d’importance. En tant qu’entrepreneur j’aspire aussi à augmenter ma clientèle sur le marché, et par conséquent mes exploitations agricoles afin de devenir un très grand producteur national.

La transformation des produits agricoles fait-elle partie de votre plan d’action ?

Avoir des unités de transformation agricole est devenu un rêve pour moi, car une grande partie des produits agricoles sénégalais sont destinés à la consommation directe, alors que nous avons une richesse et un potentiel dans la transformation agroalimentaire inexploitée. Au Sénégal, les produits transformés en conserve ou autres sont généralement importés. Mon rêve, c’est d’avoir mon usine de transformation au sein même de mon exploitation afin de faire de la transformation de produits qu’on pourrait retrouver dans les supermarchés ou les grandes surfaces.

Prenez l’exemple de l’oignon, qui jusqu’à présent est pesé dans les boutiques, alors qu’il est possible d’avoir un emballage pour différentes quantités, selon les besoins du client, avec des sacs qui peuvent varier de 1kg à 10kg, ou même plus. Nous sommes dans une ère commerciale où le consommateur a besoin d’un produit fini, et de ce fait, le producteur se doit de fournir aux consommateurs un produit qui nécessite un minimum de préparation pour la consommation. Dans les pays occidentaux, les gens n’ont pas le temps de passer par certains processus de préparation pour consommer un produit, et voilà ce vers quoi on devrait tendre au Sénégal.

Songez-vous à retourner à Canada afin de trouver des marchés pour l’exportation de vos produits ?

Oui évidemment. J’aimerais retourner au Canada pour avoir des partenaires, bien que le Canada ne soit pas la seule destination de partenariat que je vise. Je suis très ouvert à d’autres pays mais vraiment pour un long terme. En ce moment, je me concentre sur mes objectifs de conquête du marché local qui est beaucoup plus important pour moi. Mais c’est sûr que je pense avoir des créneaux au Québec qui pourront me servir à développer un marché au Canada, sachant que j’y ai passé une grande partie de ma vie adulte.

Quel sont les différents types de cultures qu’on retrouve chez « Tassete Green Farm » ?
Tassete Green Farm développe depuis trois ans des cultures de piments, de gombos, de pastèques et d’aubergines.

Travaillez-vous seul ou avez-vous une équipe de production ?

Au début de notre toute première campagne, nous étions juste deux. Par la suite, nous avons agrandi notre équipe en recrutant deux autres travailleurs permanents. Lors des récoltes, ou en cas de besoin, nous faisons appel à des journaliers qui habitent dans les villages environnants.

« Je ne vois pas pourquoi je devrais quitter les champs pour aller me cloisonner dans un bureau. »

Projetez-vous un jour de quitter les champs pour retourner travailler dans votre domaine d’études ?

Je ne pense pas une seule seconde de ma vie à une situation pareille. J’ai développé une passion pour l’agriculture, je m’épanouie totalement dans ce milieu. Rien que se réveiller de très bonne heure et être en face de la verdure sous la rosée est une sensation que j’ai découverte et que je n’échangerais pour rien au monde. Vous savez semer une graine, et la voir vous donner des feuilles, ensuite la voir faire pousser des fruits ou légumes, est un phénomène extraordinaire. J’ai beaucoup mûri grâce à ce projet, aussi bien sur le plan professionnel que spirituel. Je sais qu’il me reste beaucoup de choses à apprendre et à découvrir dans le milieu agricole. De plus, je suis en train d’exercer mon domaine d’étude, car je me suis spécialisé en finance-comptabilité, et je gère la comptabilité de mon entreprise agricole, donc je ne vois pas pourquoi je devrais quitter les champs pour aller me cloisonner dans un bureau. Je suis un homme de terrain, j’aime la verdure et je me découvre plus en tant qu’entrepreneur.

Entretien réalisé par Seydou Ibrahima Faye

Directeur de publication du magazine SENAGRICULTURE
Contact : seydinaibrahima@gmail.com
www.senagriculture.com