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Zone soudano-guinéenne du Cameroun : des ressources locales, base de la production d’aliments de volaille
Au Cameroun, une expérience en production d’aliments de volaille à partir du son de maïs, des feuilles de Moringa et de la farine de grillon a porté ses fruits. Ce recours à des ressources disponibles dans le milieu naturel des aviculteurs est une alternative aux matières premières qui entrent dans la composition conventionnelle de la nourriture des volailles déjà sous pression, parfois importées et qui crèvent les portefeuilles des producteurs.
En élevage en général et en aviculture en particulier, l’alimentation compte pour prêt de 70% des charges totales de production. Les ingrédients utilisés sont généralement des sous-produits de l’agroalimentaire et des céréales qui mettent en compétition l’homme et l’animal pour certaines ressources alimentaires.
Pourtant, la majorité des familles africaines et des pays en voie de développement vivent sous le seuil de pauvreté et ne peuvent pas couramment satisfaire leurs besoins nutritionnels au quotidien. Bien plus encore, leurs besoins en viande et autres produits d’élevage comme les œufs et le lait, le coût élevé de production les rend inaccessibles à certaines couches de la société.
Il existe cependant dans la nature des possibilités de réduire les charges de production par la valorisation des sous-produits agricoles et même des ressources animales n’entrant pas dans les mœurs alimentaires de certaines régions. C’est le cas dans la zone septentrionale du Cameroun.
En effet, pour ce qui est de la transformation du maïs en farine pour l’alimentation humaine, les mœurs alimentaires de ces régions exigent un traitement du maïs et son dépulpage. Cela rend disponible du son qui, dans certains cas, est simplement jeté, et dans d’autres cas, utilisé de manière anarchique et avec des conditions d’hygiène très douteuses dans l’alimentation des animaux tels que les bovins, porcins, caprins et volailles.
La farine de poisson, principale source de protéines dans l’alimentation des volailles, constitue non seulement un poste de charge élevé pour les aviculteurs en ce sens que le kilogramme se vend à 500 F CFA (0.9 euro) au moins dans cette région. Cet ingrédient est pour la majeure partie du Sénégal. Il est cependant connu qu’il se pose un réel problème d’approvisionnement en matières premières pour sa fabrication.
En effet, avec l’accroissement quasi-exponentiel de l’aviculture moderne, il y a une demande accrue en farine de poisson. Ce qui entraine une profusion des industries de production de farine de poisson avec près d’une quarantaine installée à ce jour dans seulement trois pays de l’Afrique de l’ouest (Sénégal, Mauritanie et Gambie).
Cette forte concentration amène certains industriels à ne plus respecter non seulement les quotas de pêche, mais vont au-delà des aires de pêche et des gabarits de poisson recommandés. Les alevins et juvéniles pris dans les filets, au lieu d’être relâchés pour la pérennité des différentes espèces et l’assurance d’une pêche durable, sont utilisés pour satisfaire la demande en farine animale.
Dans la région septentrionale du Cameroun, on observe pendant la période de transition, entre la saison des pluies et la saison sèche (fin octobre début novembre), une profusion de grillons (Acheta domesticus) non consommés par l’homme et qui colonisent tous les environnements (maisons, stations-services, boutiques et tous points lumineux) éclairés dans la nuit. Ces grillons, une fois collectés, pourraient être utilisés en alimentation animale pour réduire le coût de production compte tenu du fait qu’il est collecté dans l’environnement direct et permet également de réduire la nuisance de ces derniers.
En plus de ces éléments, il existe dans l’environnement des plantes qui sont utilisé pour l’alimentation. Le Moringa Oleifera fait partie de ces plantes. Les feuilles et les graines sont très riches en protéines, lipides, vitamines et minéraux. Les feuilles sont utilisées directement ou après séchage et transformation pour l’alimentation humaine. La supplémentation de l’aliment en feuilles de Moringa pourrait améliorer le statut nutritionnel des animaux en général.
Description de l’expérience
Pour évaluer l’impact de l’utilisation de ces différentes ressources locales en aviculture, notre équipe de recherche a entrepris de mettre sur pieds un certain nombre d’essais scientifiques.
- Les feuilles de Moringa oleifera
Les feuilles fraiches de Moringa oleifera ont été collectées tôt le matin puis séchées à l’ombre avant d’être moulues et utilisées comme supplément alimentaire chez les pintades et cailles en phase de croissance et de reproduction. A cet effet, la poudre de feuilles de Moringa oleifera a été ajoutée à des taux de 0, 1, 2 et 3% de la quantité d’aliment distribuée.
- La farine de grillon
Les grillons (Acheta domestica) ont été ramassés dans la nuit sous les lampadaires et autres points lumineux autour duquel ils abondaient. Ensuite, ils ont été séchés, écrasés et utilisés pour remplacer la farine de poisson à 0, 15, 30 et 45% dans l’alimentation des cailles en phase de croissance et de reproduction.
- Le son de maïs
Le son de maïs a été obtenu auprès des coopératives agricoles de production et de transformation du maïs en farine destinée à l’alimentation humaine et dont le respect des procédés hygiéniques de transformation était vérifié. Le son a été séché puis utilisé pour remplacer à des taux de 0, 25, 50,75 et 100%, le son de blé dans l’alimentation des volailles.
Pour toutes ces expériences, les données ont été collectées sur la consommation alimentaire, le poids vif, le gain de poids, le rendement carcasse (quantité de viande produite par rapport au poids de l’animal vivant), le taux de ponte et le poids des œufs. Ceci dans le but d’apprécier l’effet de ces ressources sur la croissance et la reproduction des animaux.
Objectifs et acteurs impliqués
Les objectifs de ces expériences étaient de réduire le coût de production en élevage en général et en aviculture en particulier. Ceci par la valorisation des ressources disponibles et relativement inutilisées dans l’environnement proche afin de réduire l’importation de certains ingrédients facilement substituables.
Ils visent également à réduire la pression sur les ressources surexploitées telles que le poisson et le maïs qui sont également des aliments pour lesquels l’homme est en compétition avec les animaux. Ces travaux contribueront également à augmenter la disponibilité en produits d’élevage aux prix abordables pour les populations.
Pour mener ces activités, plusieurs acteurs ont été impliqués et ceci a contribué à la revalorisation de leurs niveaux de vie. Elles intègrent les sylviculteurs, particulièrement de Moringa qui pourront mieux bénéficier des feuilles, les producteurs et transformateurs du maïs avec le son de maïs, sous-produit de cette activité qui aura une valeur ajoutée.
Les autres acteurs sont les personnes collectant les grillons et enfin les chercheurs et éleveurs qui utilisent ces différentes ressources. Nous prévoyons également la domestication et un élevage des grillons pour soutenir de manière pérenne ce projet.
Résultats obtenus et impacts sur la vie des communautés
Les résultats de l’utilisation des ressources locales peu valorisées montrent que les poudres de feuilles de Moringa peuvent être utilisées comme supplément alimentaire pour améliorer les performances de croissances et de ponte chez les volailles.
La farine de grillon peut aussi être utilisée en alimentation animale en général et chez les volailles particulièrement pour remplacer jusqu’à 45% la farine de poisson et améliorer les performances de croissance, tandis que pour la ponte, on peut aller jusqu’à 30 % de substitution de la farine de poisson par la farine de grillon. Il en est de même pour le son de maïs dont l’incorporation dans l’aliment permet d’obtenir une croissance au moins égale à celle de l’aliment classique.
Ces travaux contribuent à l’amélioration des conditions de vie des communautés impliquées. En effet, la vulgarisation et la commercialisation des feuilles de Moringa, du son de maïs et éventuellement des grillons contribuent à l’augmentation des revenus des populations, ce qui les permet de mieux se prendre en charge.
L’utilisation de ces ressources locales contribue à réduire le coût de production qui devrait se traduire par une réduction même mineure, mais non négligeable du prix des animaux sur le marché.
Ressources locales pour une gestion durable des écosystèmes
Avec l’utilisation d’une source alternative de protéines qui est dans ce cas la farine de grillon, il y aura un peu moins de demande en farine de poisson. Ceci permettra à moyen et à long termes de réduire la surpêche et partant, une restauration graduelle des écosystèmes marins en péril.
La culture du Moringa contribue à l’épuration de l’environnement tant du gaz carbonique que d’autres éléments présents dans le sol. Son utilisation comme supplément alimentaire contribue à réduire les apports en produits chimiques de synthèse chez les animaux et le rejet de ceux-ci par les déjections de ces derniers.
Les limites ou difficultés rencontrées sont la saisonnalité de la disponibilité des grillons qui implique son utilisation temporaire qui ne devrait être contournée que par des recherches conduisant à une domestication et production importante de grillon. En ce qui concerne le son de maïs, les difficultés résident au niveau du séchage et du conditionnement qui, dans la majeure partie du temps, ne se font généralement pas de manière hygiénique.
Ce qui conduit à un développement des micro-organismes qui affectent la qualité du son et peuvent, par leur présence, constituer des facteurs antinutritionnels et/ou de pathogénicité chez les animaux qui en consomment. La culture du Moringa dans le septentrion du Cameroun reste encore très insuffisante du fait de l’environnement et des techniques culturales mal maîtrisées.
Durabilité et replicabilité
Les conditions de durabilité de l’utilisation des ressources locales dans l’élevage ne peuvent être acquises que par l’assurance d’une production et d’une gestion durable de ces ressources. La maîtrise des techniques de production et de transformation de ces ressources ainsi que leur vulgarisation sont des prérequis pour le développement et la durabilité de ce projet qui pourra ainsi être implémenté partout où besoin sera.
Ceci est en bonne voie puisque des coopératives de production, de transformation et de commercialisation du maïs existent et sont en augmentation compte tenu de l’appui du gouvernement camerounais qui ne cesse de mettre des conditions de plus en plus favorables à leur création et fonctionnement. Les coopératives de promotion du Moringa sont cependant bien moins représentées.
En conclusion, les ressources locales peuvent très bien être valorisées en élevage, pour non seulement contribuer à une amélioration des conditions de vie des communautés, mais également contribuer à réduire la forte pression sur les ressources les plus sollicitées qui entrainent, avec le temps, un déséquilibre dans les écosystèmes qui contribuent directement ou non aux changements climatiques.
Les principaux défis restent cependant l’acquisition des techniques et pratiques, le développement et de la vulgarisation sans lesquels on ne saurait assurer la pérennité des avantages d’une gestion durable des ressources environnementales.
Dr François Djitie
Zootechnicien, Chargé de Cours, Département des Sciences Biologiques, Faculté des Sciences, Université de Ngaoundéré - Cameroun
Avec la participation de :
Ndraouni Friki, Djanabou Moussa, Pidotcho Golomta, Bobga Aoudou & Dadi Aïssatou (étudiants)
Contact : franckdjitie@gmail.com
Bibliographie :
APRAPAM, 2017. Pêche illicite/Pêche artisanale responsable Sénégal. www.aprapam.org/senegal/peche-illicite
Sipanews 2017 : Sénégal : débat sur la production de farine de poisson et la surpêche. sipanews.org
GAIPES, GIEI, CLPA, UPAMES, 2013. Pêche au Sénégal : guide sectoriel d’autocontrôle pour le secteur pêche http://www.senegal-export.com/IMG/pdf/gsac-secteur9c91.pdf 168p.
FAO, 2014. Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture. 185 p
Paguia H. M., Paguia R. Q., Balba Ch., et Flores R. C. 2014. Utilization and evaluation of Moringa oleifera L. As poultry feeds. Apcbee Procedia. 8 : 343 – 347.